Ce que les chiffres ne disent pas sur les entreprises exemplaires
Carl Simard|Édition de la mi‑octobre 2024(Photo: Adobe Stock)
EXPERT INVITÉ. Les pratiques en matière de gouvernance d’entreprise ont suscité un intérêt croissant de la part des milieux d’affaires, des gouvernements et du grand public au cours des dernières années, en raison notamment des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG).
Bien qu’il soit aujourd’hui essentiel pour tout investisseur de prendre en considération les critères ESG, l’analyse de la gouvernance sous l’angle du comportement organisationnel est souvent négligée. Cela s’explique par la difficulté des investisseurs à évaluer les facteurs humains et qualitatifs, comparativement à l’analyse plus classique de la performance économique ou du positionnement concurrentiel des entreprises.
Un savoir-être authentique
La recherche que nous avons réalisée sur cinq sociétés exemplaires dans le cadre de la rédaction du livre Dans le sillon de fleurons québécois, publié en 2024, nous a cependant montré qu’un savoir-être authentique permet aux entreprises de bâtir des modèles d’affaires durables et d’éviter certaines conduites menant à des dérives.
Craig Jelinek, ex-PDG de Costco (885,01 $ US), souvent salué pour ses pratiques singulières, a souligné l’importance de favoriser la promotion interne plutôt que de recruter à l’extérieur de l’entreprise. Cette remarque, bien que glissée discrètement lors d’une conférence avec les analystes, résume parfaitement l’ADN du populaire détaillant : maintenir une culture d’entreprise solide et alignée sur la création de valeur à long terme pour toutes ses parties participantes, y compris les actionnaires.
À l’inverse, la dernière décennie a illustré de façon éloquente à quel point des manquements sur le plan de la gouvernance peuvent précipiter la chute d’une société. L’exemple le plus frappant d’une entreprise inscrite en Bourse qui nous vient à l’esprit reste celui de la multinationale Valeant Pharmaceuticals, qui a installé son siège social à Laval en 2012.
L’entreprise, dont la capitalisation boursière a déjà rivalisé avec celle de la Banque Royale (RY, 167,90 $), avait mis en place une pratique de rémunération de ses dirigeants axée sur des incitatifs à court terme et encourageant une prise de risque malsaine. C’est sans parler des pratiques douteuses de ses dirigeants dans l’établissement des prix des médicaments et sur le plan comptable.
Aujourd’hui rebaptisée Bausch Health (BHC, 10,81 $), la société demeure financièrement fragile, neuf ans après avoir trôné au sommet de la Bourse de Toronto. Une destruction de valeur qui a non seulement affecté ses actionnaires, mais aussi ses employés, ses fournisseurs et le gouvernement québécois, qui lui avait accordé des incitatifs financiers pour l’attirer chez nous.
Une mission et une culture inspirantes
Les chefs d’entreprise interrogés pour le livre, comme Claude Bigras, de GDI Services aux immeubles (GDI, 36,14 $) et Richard Lord, de Quincaillerie Richelieu (RCH, 39,91 $), ont tous à cœur la pérennité de leur organisation. Ils sont eux-mêmes actionnaires de leur entreprise, ayant investi une partie importante de leur propre argent. Les programmes de rémunération des dirigeants sont raisonnables et arrimés aux intérêts à long terme des actionnaires.
Comme nous l’avons observé avec Valeant, des primes financières généreuses reposant sur la progression à court terme du cours de l’action peuvent menacer la viabilité d’une organisation. Les incitatifs accordés aux dirigeants doivent plutôt être conçus autour de paramètres cruciaux de valorisation d’une entreprise, tels que la croissance du bénéfice par action à long terme. Cela, toujours dans l’objectif de bâtir des entreprises pérennes.
Les sociétés exemplaires prônent le respect, l’écoute et la transparence. Leurs collaborateurs sont reconnus pour leurs contributions et jouissent d’une réelle autonomie, tandis que les erreurs sont considérées comme des occasions d’apprentissage. Si l’audace est encouragée, la prudence reste de mise sur le plan financier, afin de limiter l’endettement à un seuil raisonnable pour affronter les inéluctables récessions.
Enfin, le maintien de relations de confiance mutuelle avec leurs fournisseurs commerciaux et financiers transforme ceux-ci en de véritables partenaires. En effet, cet esprit d’équipe avec les fournisseurs favorise la recherche de solutions répondant davantage aux besoins des clients.
Lier le cœur de ses collaborateurs
En rédigeant cet article, je me suis remémoré l’histoire fascinante publiée par La Presse en février dernier, intitulée « Un contrat naval de 100 millions pour une (discrète) entreprise de Brossard ». En entrevue, le PDG du Groupe Bronswerk, Francis Fontaine, attribue le succès de la PME dans un marché international complexe à « l’avantage qu’on a dans ces marchés et ce pour quoi les gens aiment beaucoup travailler avec nous, c’est ce qui est représentatif des firmes québécoises, à savoir le côté humain, le côté très pratique de la gestion. » Soulignons par ailleurs que son organisation a été érigée sur une structure aplatie, laquelle se révèle plus efficace que les immenses organisations des grandes rivales internationales.
Si la simplicité en gestion paraît facile à atteindre, elle repose en réalité sur un équilibre délicat entre humanisme et capitalisme ; deux valeurs souvent perçues comme antagonistes. Cet équilibre exige une attention constante pour éviter que l’une ne prenne le pas sur l’autre, et c’est précisément ce défi que les entreprises remarquables ont su relever. En misant sur une vision à long terme, des liens de confiance avec les parties participantes et un savoir-faire distinctif, elles ont su bâtir des cultures organisationnelles profondément humaines tout en assurant une rentabilité durable. Comme investisseur, il vous faut aller au-delà des chiffres pour découvrir des entreprises exemplaires.
Divulgation : Medici détient une participation dans GDI Services aux immeubles.