Logo - Les Affaires
Logo - Les Affaires

S’accrocher aux marchés émergents pour diversifier votre portefeuille

Pierre Théroux|Édition de la mi‑novembre 2024

S’accrocher aux marchés émergents pour diversifier votre portefeuille

(Illustration: Sébastien Thibault)

Est-il temps d’investir dans les marchés émergents ? Après avoir affiché un rendement à peu près nul au cours de la dernière décennie, les actions des marchés émergents ont finalement repris de la vigueur et deviennent plus attrayantes aux yeux de nombreux investisseurs.

Nous ne sommes pas complètement séduits par les marchés émergents, mais il reste que « pour la première fois depuis de nombreuses années, nous sommes moins craintifs et estimons que le rapport risque-rendement penche davantage du côté du rendement », affirme Francis Sabourin, gestionnaire de portefeuille et conseiller en placement chez Patrimoine Richardson.

Jules Boudreau, économiste principal au sein de l’équipe des stratégies multi-actifs chez Mackenzie, fait écho à ces propos. « On pense que les marchés émergents sont actuellement relativement attrayants, surtout pour un investisseur qui n’en a pas du tout ou très peu dans son portefeuille », précise-t-il.

Rebond des marchés émergents

Après avoir enregistré un fort recul de 20 % en 2022, et dans une moindre mesure de 2,5 % l’année précédente, les actions des marchés émergents mesurées par l’indice de référence MSCI Emerging Markets ont rebondi de 9,8 % en 2023. L’indice affiche encore un rendement de plus de 10 % en dollars américains depuis le début de l’année.

Cette performance est comparable à celle des marchés européens, mais reste néanmoins en deçà de la hausse de plus de 21 % de l’indice S&P 500 depuis le début de l’année. Or, cette sous-performance des marchés émergents est principalement tributaire du rendement des actions chinoises.

« Le poids de la Chine reste très fort, même s’il a diminué ces dernières années, et il influence encore grandement le rendement de l’indice des marchés émergents », constate Julien Tousignant, gestionnaire de portefeuille pour les marchés émergents chez Desjardins Gestion internationale d’actifs.

L’indice de référence des actions des marchés émergents a en effet été freiné par l’incidence disproportionnée de la Chine. Hormis celles de ce pays, les actions des marchés émergents ont plutôt très bien performé l’an dernier, particulièrement à Taïwan, en Corée du Sud, en Inde, au Brésil et au Mexique, qui affichaient tous un rendement de plus de 20 % en 2023.

Une meilleure diversification

Or, « on assiste à la transformation des marchés émergents, tant au chapitre du poids des pays que des secteurs d’activité figurant dans l’indice qui ont beaucoup changé ces dernières années. Aujourd’hui, ces marchés sont beaucoup mieux diversifiés qu’ils ne l’étaient au début de la pandémie », note encore Julien Tousignant.

D’octobre 2020 à aujourd’hui, le poids de la Chine a en effet grandement fondu dans l’indice de référence, passant de 43 % à 24 %. En revanche, le poids de l’Inde a grimpé de 8 % à 20 %, celui de Taïwan de 12,7 % à 18,7 %, tandis que celui de la Corée du Sud est resté relativement stable à 11,6 %.

« La performance des actions chinoises a été tellement mauvaise pendant cette période que, forcément, leur poids dans l’indice a considérablement reculé », explique Jules Boudreau, en ajoutant que cette pondération pourrait encore diminuer dans les années à venir.

Le recul de l’importance du marché boursier chinois dans l’indice est principalement attribuable à une reprise économique plus lente que prévu en Chine, souligne Francis Sabourin. « Ce n’est pas demain que les problèmes économiques vont s’estomper », prévient celui qui s’attend à ce que la croissance du PIB chinois tourne autour de 2 % dans les prochaines années, après avoir enregistré des croissances annuelles de 9 % dans les années 2000, puis un déclin à 5 % depuis 2010.

Des marchés porteurs

Par ailleurs, le portrait économique des marchés émergents a bien changé ces dernières années. Même si le secteur des biens de consommation de base joue encore un rôle clé dans le développement de leurs économies, ces marchés misent de plus en plus sur l’innovation et la technologie pour alimenter leur croissance. Le secteur des technologies de l’information représente ainsi près du quart (24,2 %) de l’indice MSCI Emerging Markets, suivi du secteur financier (22,6 %) et de la consommation discrétionnaire (12,2 %).

Fort de son économie composée de nombreuses entreprises technologiques, notamment dans le secteur des semiconducteurs, le poids de Taïwan a ainsi beaucoup augmenté ces dernières années. Le plus grand fabricant mondial de puces, Taiwan Semiconductor Manufacturing (TSM, 198,10 $ US), qui approvisionne notamment les géants Nvidia (NVDA, 139,80 $ US) et Apple (AAPL, 230,65 $ US), accapare à lui seul près de 10 % de l’indice MSCI Emerging Markets.

Or, le développement à vitesse grand V de l’intelligence artificielle, dont on parle beaucoup aux États-Unis, aura aussi des répercussions dans ce pays. « Certaines économies émergentes, comme Taïwan et la Corée du Sud, qui produisent des composants électroniques et font partie intégrante de cette chaîne d’approvisionnement, sont indissociables de la croissance de ce secteur d’activité qui en est à ses balbutiements », fait valoir Julien Tousignant.

La force de l’Inde…

Outre Taïwan et la Corée du Sud, qui devraient être les moteurs de la croissance dans les marchés émergents dans les prochaines années, l’Inde a aussi connu une forte poussée économique et devrait poursuivre sur sa lancée.

« Le marché boursier indien est l’un des plus dynamiques, affichant l’une des meilleures performances mondiales depuis l’émergence de la COVID-19 », souligne Jules Boudreau, en ajoutant que l’adoption, ces dernières années, d’importantes réformes législatives dans ce pays, portant notamment sur des limites moins strictes en matière de propriété étrangère, ont donc favorisé l’arrivée de capitaux internationaux.

« Contrairement à la Chine, la relance économique de l’Inde s’est faite très rapidement après la pandémie. Il y a beaucoup d’investissements dans le pays qui compte sur une jeune population et une classe moyenne qui continue de croître rapidement », renchérit Julien Tousignant.

Plus tôt cette année, la pondération de l’Inde dans l’indice MSCI Emerging Markets a d’ailleurs atteint son plus haut niveau, réduisant ainsi son écart par rapport à la Chine. L’année dernière, l’Inde a dépassé la Chine au chapitre de la population et devrait devenir la troisième économie mondiale d’ici 2027, indique Morgan Stanley Capital International (MSCI). Le revenu par habitant devrait croître de 8 % par an jusqu’en 2028, soit le double de la croissance générée au début de la décennie.

« L’Inde n’a pas le plus gros PIB du monde, mais c’est un immense marché de 1,3 milliard d’habitants dont la montée en puissance rappelle celle de la Chine il y a 10 ou 15 ans et se reflète aujourd’hui dans sa pondération dans l’indice MSCI », indique Francis Sabourin.

La Malaisie a un potentiel économique sous-estimé par les investisseurs internationaux depuis plus de dix ans, soutient Francis Sabourin. (Photo: Faris Hadziq pour Getty Images)

… et de la Malaisie

Autre pays d’intérêt : la Malaisie, dont le potentiel économique est sous-estimé par les investisseurs internationaux depuis plus de dix ans, estime Francis Sabourin. « Le taux de chômage est de 3 %, les ventes au détail sont en hausse et les ventes de biens durables sont à un niveau record. Son PIB a augmenté de 5,9 % au dernier trimestre, dépassant la progression de 2,3 % de son principal concurrent régional, la Thaïlande. La Malaisie bénéficie également d’une plus grande stabilité politique que la Thaïlande », précise-t-il.

La Malaisie est aussi devenue une plaque tournante importante pour les centres de données et l’industrie des semiconducteurs. Avec plus de 40 % de ses diplômés universitaires en technologie et en sciences, ce pays a développé une main-d’œuvre spécialisée.

« Un autre élément important est que contrairement à plusieurs pays émergents, sa dette publique est majoritairement libellée en monnaie locale, et non pas en dollars américains, ce qui a fait mal aux pays émergents ayant souffert de la hausse du billet vert et des taux d’intérêt », fait valoir Francis Sabourin.

La Malaisie est aussi dans la mire de Julien Tousignant, qui s’intéresse également à d’autres pays de l’Asie du Sud-Est. « Des pays comme les Philippines et l’Indonésie connaissent une bonne croissance économique et des bénéfices des entreprises. Les investisseurs étant moins présents dans ces pays, il y a donc des occasions qui ne sont pas encore reflétées dans le marché qui, de plus, est moins cher », note-t-il.

Et l’Amérique latine ?

Certains marchés d’Amérique latine se révèlent aussi intéressants, estime Jules Boudreau. « Le Brésil et le Mexique, qui ont bénéficié de l’augmentation des prix des biens de consommation de base entre 2000 et 2006, ont ensuite connu plus de difficultés. Mais on pense que les perspectives sont aujourd’hui meilleures parce que la demande pour l’énergie et les métaux est très forte et va continuer à profiter de la transition énergétique », précise-t-il.

Le Mexique, entre autres, profite aussi du phénomène de relocalisation de la production manufacturière. « Les pays riches, comme les États-Unis, veulent rapprocher leur production de leur économie domestique, dans un pays allié comme le Mexique par exemple, au détriment de la Chine », constate Jules Boudreau.

Cette tendance profitera non seulement au Mexique, mais aussi à d’autres pays, comme l’Inde et la Malaisie, note Francis Sabourin. Il cite en exemple le géant taïwanais de l’électronique Foxconn, un important sous-traitant de fabrication pour Apple et principal assembleur de l’iPhone, qui a notamment transféré sa production de la Chine en Inde, où elle a multiplié l’implantation d’usines ces dernières années.

« Nous vivons une nouvelle ère de mondialisation qui entraîne une reconfiguration des chaînes d’approvisionnement afin de réduire la dépendance à l’égard de la Chine. Ce qui ouvre de nouvelles occasions pour d’autres marchés émergents », souligne Francis Sabourin.