À San Francisco, Dallas et Houston, le taux d'inoccupation a même dépassé les 25%. (Photo: 123RF)
Les immeubles de bureaux sont confrontés à une nouvelle réalité. Après la pandémie de COVID-19, la culture du télétravail s’est enracinée et, par conséquent, les centres-villes souffrent.
Une étude réalisée fin 2022, qui annonçait une apocalypse immobilière, a calculé que la valeur des immeubles avait chuté en moyenne de 44,8% à la fin de l’année. À la fin du troisième trimestre 2023, le taux d’inoccupation des bureaux aux États-Unis a dépassé les 20% pour la première fois depuis 2008, selon certains médias. À San Francisco, Dallas et Houston, il a même dépassé les 25%.
La situation au Canada est légèrement mieux
Au Canada, le taux d’inoccupation est plus faible, mais il continue d’augmenter. D’une moyenne de 16,9% à la fin de 2022, il est passé à 17,7% selon le dernier rapport de CBRE. Dans les centres urbains, le taux moyen est de 18,4%.
Ce chiffre cache une situation bicéphale. D’une part, dans les immeubles de catégorie A, le taux moyen d’inoccupation est de 15,9%, tandis que dans les immeubles de catégorie B, il est de 22,7%. D’autre part, certaines villes affichent des taux aussi élevés qu’aux États-Unis, notamment à Calgary (32%), à London (25,7%) et dans la région de Waterloo (23,3%).
Certains facteurs distinguent le Canada de la scène américaine. L’immobilier canadien «est moins compétitif», explique Christopher Tsichlas, vice-président principal, cote de crédit, immobilier et finances publiques, à DBRS Morningstar. «De nombreux propriétaires sont des institutions solides qui investissent à long terme. Il est donc moins probable que nous assistions à des ventes à des prix sacrifiés. En outre, le Canada est probablement un peu plus urbanisé que les États-Unis, ce qui est plus propice au maintien des centres-villes.»
Refinancement de plus de la moitié des prêts hypothécaires en immobilier commercial
«Plus de la moitié des quelque 2900 milliards de dollars américains (G$ US) de prêts hypothécaires à l’immobilier commercial devront être refinancés au cours des 24 prochains mois, et les banques régionales représentent 70 à 80% de ces prêts», rapporte une récente analyse de Morgan Stanley.
«Même si les taux actuels restent stables, ajoute Morgan Stanley, les nouveaux taux de prêt seront probablement supérieurs de 350 à 450 points de base. Pour les propriétaires d’immeubles eux-mêmes, les vents contraires séculaires dus à l’adoption du travail à distance et hybride présentent des complications supplémentaires qui pourraient accélérer la dépréciation de l’immobilier d’entreprise.» Morgan Stanley prévoit une chute de la valeur de l’immobilier commercial de plus de 40%, «pire que pendant la grande crise financière».
Les banques sont très affaiblies par la hausse des taux d’intérêt, une fragilité qui sera aggravée par la crise immobilière, selon une étude récente de la Stern School of Business de l’université de New York. D’une part, l’étude calcule que les actifs des banques (titres commerciaux adossés à des prêts et bons du Trésor américain) ont subi des pertes non réalisées de 780G$ US à ce jour en raison de la hausse des taux. D’autre part, le portefeuille total de prêts (commerciaux, individuels et hypothécaires) de 17,5 billions de dollars américains a perdu 10% de sa valeur, soit 1,7 billion de dollars américains.
S’appuyant sur ces chiffres produits par son alma mater, l’économiste Nouriel Roubini a récemment écrit dans un article publié par Project Syndicate: «En fait, à en juger par la qualité de leur capital, la plupart des banques américaines sont techniquement proches de l’insolvabilité, et des centaines d’entre elles sont totalement insolvables.»
Morningstar juge que les pertes des banques américaines seront gérables
Cependant, la détresse des banques n’est pas universelle, souligne Eric Compton, analyste boursier à Morningstar.
«Parmi les banques que j’analyse, je ne vois pas de problème majeur. Il y aura des pertes, mais elles seront gérables, car les banques que j’analyse ont suffisamment de bénéfices et de capitaux pour les absorber. Je pense que certaines petites banques subiront de lourdes pertes en raison de celles liées à l’immobilier commercial, mais aucune des banques que j’analyse ne fait partie de ce groupe, car elles ont toutes des actifs supérieurs à 50G$ US.»
Et il est loin d’être certain que le choc sera total pour les banques. Eric Compton énumère un certain nombre d’alternatives accessibles aux banques et aux propriétaires: vente des immeubles par le propriétaire ou par la banque en cas de rachat, restructuration des hypothèques, et enfin «le propriétaire peut trouver accès à d’autres sources de financement», souligne l’analyste.
C’est une évolution également envisagée par Josh Varghese, cofondateur d’Axia Real Assets. «Des prêteurs alternatifs pourraient entrer en scène et prêter à des taux d’intérêt plus élevés, dit-il. Cela pourrait contribuer à enrayer l’hémorragie.»
Les banques canadiennes ne sont pas aussi menacées
La situation des banques canadiennes n’est pas autant précaire, selon une étude de la Banque Nationale. Pour l’analyste Gabriel Dechaine, les prêts immobiliers de bureaux représentent en moyenne 12% du portefeuille total de prêts immobiliers commerciaux des six grandes banques, et jusqu’à 20% dans le cas de la Banque Royale.
Selon lui, les bénéfices des banques canadiennes pourraient subir des baisses allant jusqu’à 20%, alors que le choc serait plutôt de l’ordre de 8 à 10%. Selon Alexandre Brassard, économiste principal à CPA Canada, les banques canadiennes sont en meilleure position que leurs voisines américaines, car leurs portefeuilles de prêts immobiliers commerciaux ne représentent que 2% de leurs actifs totaux, contre 13% dans le cas des banques américaines.