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Les stratèges prônent la prudence

Siham Lebiad|Édition d'août 2019

Les incertitudes quant à une possible guerre commerciale et à une éventuelle récession perturbent les marchés et ...

Les incertitudes quant à une possible guerre commerciale et à une éventuelle récession perturbent les marchés et causent beaucoup de volatilité. C’est pourquoi les quatre experts que nous avons interrogés réduisent le risque de leur portefeuille modèle en mettant l’accent sur des valeurs refuges comme les obligations, les titres du marché monétaire ou l’or.

«Les données économiques continuent de se détériorer sur un fond de guerre commerciale, explique Dominique Lapointe, économiste chez Valeurs mobilières Banque Laurentienne. Dans un horizon à court terme, nous sommes plutôt pessimistes sur les perspectives du marché. Nous recommandonse donc aux investisseurs de sous-pondérer leur allocation aux actions et de surpondérer les obligations.»

La source de l’incertitude économique a commencé avec le raffermissement prononcé de la politique monétaire américaine l’an dernier, estime Martin Roberge, stratège et analyste quantitatif chez Canaccord Genuity. «Ensuite, nous avons eu une augmentation des tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine, qui crée un ralentissement de l’économie chinoise. Puisque la Chine contribue à la croissance mondiale à hauteur de 35 %, ce ralentissement est principalement responsable des mauvaises conditions économiques actuelles.»

La guerre commerciale entre les deux puissances a augmenté d’un cran lorsque le président Donald Trump a annoncé de nouveaux droits de douane de 10 % sur environ 300 milliards de dollars américains d’exportation chinoise. La Chine, pour sa part, a rétorqué en suspendant ses importations de produits agricoles américains. Au moment de mettre sous presse, Washington a mis un peu d’eau dans son vin et a repoussé à décembre les droits qui devaient entrer en vigueur le premier septembre.

Une récession des profits

Le ralentissement économique a mis fin à l’élan dont profitaient les bénéfices des entreprises encore à la fin de l’année dernière, grâce à la baisse d’impôt des entreprises américaines, notamment. En hausse de près de 20 % l’an dernier, les profits sont désormais en contraction.

M. Lapointe précise que ce sont principalement les entreprises qui sont exposées à la Chine, et à l’Asie en général, qui connaissent une baisse importante de leurs bénéfices. Il estime que le recul de la rentabilité continuera au moins jusqu’au trimestre prochain.

À ce rythme, à moins que le commerce international ne se rétablisse, les indicateurs économiques pourraient bientôt pointer vers une récession généralisée mondiale. «Le commerce mondial est en recul depuis trois trimestres consécutifs, commente Clément Gignac, vice-président principal et économiste en chef chez Industrielle Alliance. Ça fait plus de 15 ans qu’on n’a pas vu cette tendance. La majorité des indicateurs pointent vers un ralentissement assez important. Nous avons donc relevé nos probabilités de risques de récession de 25 % à 30 %.»

L’ex-ministre du Développement économique recommande de réduire la pondération des actions en portefeuille, d’augmenter celle des obligations et même d’introduire une petite participation dans l’or à hauteur de 3 % à 4 %, le but étant de diminuer le risque et la volatilité du portefeuille.

M. Gignac ajoute qu’avec un S&P 500 qui s’échange à 16,5 fois les profits des 12 prochains mois, les actions américaines ne sont pas une aubaine. «Nous avons eu une expansion de multiples parce que les gens étaient convaincus que le cycle économique mondial n’était pas à risque. Mais à mesure qu’on augmente les probabilités de récession, on se doit d’être plus prudents», prévient-il.

Des taux d’intérêt trop faibles ?

Dans ce contexte, les obligations sont perçues comme une valeur refuge, comme en témoigne la baisse des taux sur l’obligation 10 ans du gouvernement du Canada, qui sont passés de 1,47 % au début juillet à 1,23 % au 13 août. Rappelons que la valeur des obligations déjà émises augmente lorsque les taux d’intérêt diminuent.

Aux États-Unis, la Réserve fédérale (Fed) a déjà baissé son taux directeur de 25 points de base en juillet (équivalent de 0,25 point de pourcentage). «Il n’est pas exclu qu’on voie une baisse de 50 points de base en septembre, en cas d’entrée des tarifs envers la Chine, dit M. Gignac. S’il n’y a pas d’accord entre la Chine et Washington, on pourrait même voir une baisse de 75 points de base.»

Pour sa part, M. Lapointe croit même qu’on pourrait voir des obligations à taux négatif dans encore plus de pays à travers le monde, comme c’est le cas dans quelques pays européens comme l’Allemagne. Ce scénario devient probable, selon lui, si les banques centrales ne parviennent pas à faire monter les taux et si la demande d’obligations augmente chez les investisseurs.

Même si les obligations à long terme ont tendance à s’apprécier quand le marché boursier et l’économie connaissent des ratés, M. Dalpé préfère mettre ses billes dans les titres liquides à court terme. «La catégorie d’actifs la plus surévaluée, malgré son aspect sécuritaire, c’est les obligations, tranche-t-il. Le marché obligataire est beaucoup plus cher aujourd’hui que ne l’est le marché boursier. Je recommande une pondération qui est neutre, 50 % en actions et 50 % en placements à échéance inférieure à un an. De cette façon, on a beaucoup d’argent disponible en cas de reprise du marché, et qui n’est pas susceptible d’être pénalisé en cas de hausse des taux d’intérêts.»