Les entreprises familiales ont mieux performé à la Bourse depuis une dizaine d'années, selon l'étude «L'Avantage ...
Les entreprises familiales ont mieux performé à la Bourse depuis une dizaine d’années, selon l’étude «L’Avantage familial» produite par la Banque Nationale. Au 31 mai 2018, l’Indice BNC, composé d’une sélection de 30 sociétés canadiennes contrôlées par des familles, avait affiché un rendement annualisé de 9,0 % depuis juin 2005, comparativement à 6,7 % pour l’indice composé S&P/TSX Rendement total. Cette surperformance s’expliquerait par leur avantage concurrentiel, l’alignement de l’intérêt des actionnaires avec celui des dirigeants et le fait que ces sociétés maîtrisent souvent mieux leur niveau d’endettement. Nous avons demandé à quatre gestionnaires de nous présenter leurs entreprises familiales favorites.
VINCENT FOURNIER, GESTIONNAIRE DE PORTEFEUILLE CHEZ CLARET
Sur les entreprises familiales
«Les belles et bonnes entreprises familiales ne sont plus aussi nombreuses qu’autrefois, au Québec à tout le moins, déplore d’emblée Vincent Fournier. Soit elles ont été vendues à des intérêts étrangers, soit le prix de leurs actions est trop cher.» Il reconnaît que ces dernières recèlent des avantages indéniables. «L’objectif ultime de la famille est de maximiser sa valeur nette. Les intérêts des actionnaires minoritaires se trouvent ainsi directement alignés sur ceux des dirigeants. Ils ne sont pas là pour s’auto-escroquer», dit-il à la blague. Il voit néanmoins aussi des désavantages. «Ça ne veut pas dire que les succès de la première génération seront reflétés dans les générations suivantes. C’est documenté que les successeurs ne reproduisent pas toujours les succès d’antan.» Il rappelle aussi que les actionnaires minoritaires peuvent parfois se sentir impuissants devant les mesures, prises ou non par les dirigeants, pour maximiser leur plan d’affaires.
Thérapeutique Knight
(Tor., GUD.TO, 7,58 $)
Capitalisation boursière : 1,04 G$
Rendement du dividende : aucun dividende
Thérapeutique Knight, une société spécialisée dans l’acquisition de produits pharmaceutiques, est un exemple d’entreprise dont l’actionnariat minoritaire s’est senti impuissant. Un actionnaire mécontent avait entrepris une bataille de procurations afin d’imposer un changement de stratégie à la direction et à son PDG, Jonathan Ross Goodman. Malgré les vents contraires qui ont soufflé sur l’industrie pharmaceutique au cours des dernières années, le gestionnaire de portefeuille estime que si quelqu’un peut reproduire un succès passé, c’est bien le fondateur de cette entreprise montréalaise. «C’est l’un des entrepreneurs qui a remporté le plus de succès au cours des années 2000 avec Laboratoire Paladin. L’action de celle-ci avait décuplé entre sa fondation et sa vente en 2013.»
«M. Goodman est un gars patient, il achète seulement quand il est certain d’obtenir un rendement avec l’acquisition ajoute-t-il. Il n’essaie pas de faire des coups de circuit, mais des coups sûrs. Si tu achètes Knight actuellement, tu achètes ni plus ni moins un butin de guerre. Il a beaucoup de liquidités, environ 6 $ par action.»
Industries Lassonde
(Tor., LAS-A, 168,81 $)
Capitalisation boursière : 1,19 G$
Rendement du dividende : 1,41 %
Le producteur de jus, établi à Rougemont, au Québec, est un véritable fleuron québécois, selon M. Fournier. «On a toujours trouvé que c’était une entreprise de premier plan. Notre seul problème historiquement était soit le prix de l’action, que nous jugions trop élevé, soit le peu de volume qu’il y avait sur le titre. C’est très peu échangé à la Bourse et ça peut être compliqué de prendre une grosse position.» La hausse du coût des transports et de la résine (pour l’embouteillage) ainsi qu’une concurrence plus grande en provenance des États-Unis ont entraîné, selon lui, une baisse des marges, qui sont encore plus faibles qu’anticipées. «Cette concurrence plus grande n’a pas permis, à court terme, d’augmenter les prix des produits pour revenir au niveau des marges historiques.» Il rappelle que des stratégies sont en place afin de retrouver les marges d’antan dans la deuxième moitié de 2019. «Le résultat est que le titre s’échange aujourd’hui autour de 200 $ au lieu de 300 $. Par le passé, il s’échangeait entre 18 et 22 fois les profits. Et actuellement, il est à 15 fois les bénéfices attendus de 2019, ce qui est attrayant.»
PHILIPPE HYNES, PRÉSIDENT ET GESTIONNAIRE DE PORTEFEUILLE CHEZ TONUS CAPITAL
Sur les entreprises familiales
«La plus grande différence que je vois entre les entreprises familiales et les autres sociétés est l’horizon de temps dans la vision de la direction. Les entreprises familiales voient à beaucoup plus long terme», souligne Philippe Hynes. Il croit que si l’équipe de direction est capable d’investir les capitaux judicieusement et de générer de bons rendements à long terme, cela en fera des entreprises fantastiques. «En revanche, si la gouvernance est déficiente ou que les capitaux sont moins bien investis, ou pas du tout cela peut donner des entreprises qui font du surplace, qui sont moins performantes et moins attrayantes.»
Dollarama
(Tor., DOL.TO, 51,44 $)
Capitalisation boursière : 15,97 G$
Rendement du dividende : 0,34 %
M. Hynes aime tout particulièrement le titre de Dollarama, de la famille Rossy, qui détient toujours 7 % des actions. «Le fils du fondateur a pris la relève, il y a deux ans, et la transition s’est bien faite», précise-t-il. Il signale que c’est un modèle d’entreprise où il y a un avantage concurrentiel à être plus gros. Selon lui, les aspects positifs sont, entre autres, la qualité des acheteurs de produits et les emplacements stratégiques des Dollarama (plus de 1200 magasins au Canada) qui en font une enseigne difficile à concurrencer dans le secteur des détaillants à bas prix. «Si on les compare à d’autres entreprises publiques américaines, on constate qu’ils affichent de meilleures marges brutes.» Leur ratio de profitabilité est supérieur et cela s’explique, selon M. Hynes, par le fait qu’il y a moins de concurrence ici et que leur offre de produits est plus intéressante. «La direction table sur une croissance de 65 magasins par année, soit environ 5 %. La question est de savoir si l’entreprise pourra maintenir la cadence sur le plan de ses marges bénéficiaires.» Le président de Tonus Capital souligne que l’entreprise a récemment conclu une entente de partenariat avec Dollar City afin d’ouvrir des magasins en Amérique latine (El Salvador, Guatemala, Colombie).
Rogers Communication
(Tor., RCI.B, 64,86 $)
Capitalisation boursière : 35,60 G$
Rendement du dividende : 3,08 %
Rogers, contrôlée par la famille Rogers, qui détient environ 28 % des actions en circulation, a bien su s’adapter aux changements survenus dans l’industrie des télécommunications, croit M. Hynes «Le secteur des télécommunications au Canada est un oligopole. Mais c’est néanmoins un secteur changeant et Rogers a su bien adapter son modèle d’affaires au cours des vingt dernières années.» Il note que des changements ont eu lieu dans chacun des trois axes de développement : la câblodistribution, le cellulaire et les médias. «Ils ont crû de façon exceptionnelle en trouvant d’autres vecteurs de croissance dans ces mêmes secteurs. De nos jours, un peu plus de 50 % des revenus proviennent du cellulaire.» Le gestionnaire de portefeuille juge intéressant ce qui se passe actuellement avec la baisse du prix des forfaits de téléphone cellulaire, encore élevé par rapport aux prix des États-Unis, et l’introduction de forfaits illimités. «Cela risque d’inciter les gens à utiliser davantage leur téléphone. Avec le développement de leur réseau 5G dans les grandes villes, cela pourrait aussi signifier une croissance importante de la consommation de données, ce qui pourrait être profitable aux plus gros acteurs de l’industrie du cellulaire.» Il note également que le segment «câble» a subi une importante transition, d’un service presque exclusivement axé sur la télévision à un modèle d’affaires axé sur Internet. «Une partie grandissante de leurs revenus provient de l’Internet à domicile. Les gens consomment davantage via différents appareils et applications comme Netflix ; ils ont besoin de plus de vitesse et de données.»
MARC GAGNON, VICE-PRÉSIDENT ET GESTIONNAIRE DE PORTEFEUILLE PRINCIPAL, ACTIONS NORD-AMÉRICAINES, INDUSTRIELLE ALLIANCE
Sur les entreprises familiales
Comme ses confrères, Marc Gagnon voit à la fois des avantages et des inconvénients à investir dans des entreprises sous contrôle familial. «Il y a un désavantage en ce qui concerne la succession d’un dirigeant fondateur. Il y a toujours un flottement lorsqu’un fondateur quitte ses fonctions et désigne le successeur. Cela peut entraîner une perte de valeur pendant un certain temps.» Il déplore aussi le système d’actions à droit de vote multiple, qui vient amoindrir l’importance du vote des autres actionnaires. «Les entreprises familiales utilisent souvent cette façon de faire pour garder le contrôle. C’est un phénomène bien canadien. On voit moins cela aux États-Unis.» Par contre, les entrepreneurs à la tête de ces sociétés sont généralement des visionnaires passionnés, qui ont bâti leur entreprise à la sueur de leur front.
Alimentation Couche-Tard
(Tor., ATD.B, 81,95 $)
Capitalisation boursière : 46,95 G$
Rendement du dividende : 0,61 %
Le gestionnaire de portefeuille se tourne d’ailleurs vers l’une de ces entreprises fondées par un des grands bâtisseurs du Québec inc. «Couche-Tard a réellement su créer de la valeur au fil du temps, principalement par des acquisitions. L’entreprise a une bonne diversification géographique avec des points de service à la fois en Amérique du Nord et en Europe.» Il fait remarquer que le cours du titre est bien évalué. «Ce n’est pas une aubaine par rapport au ratio cours-bénéfice, mais c’est une entreprise d’une grande efficacité opérationnelle, comme on l’a vu par le passé. Elle a justement ramené son bilan et son ratio d’endettement à un niveau où elle pourrait réaliser de nouvelles acquisitions. Il a été question de l’Australie, comme plateforme éventuelle pour accéder à l’Asie. Ça reste à voir.» En raison de sa stratégie éprouvée, c’est un titre que l’on peut acheter et conserver pendant longtemps dans ses placements, selon M. Gagnon.
Bombardier
(Tor., BBD.D, 1,67 $)
Capitalisation boursière : 4,03 G$
Rendement du dividende : aucun dividende
«C’est évidemment un titre dont le rendement potentiel est supérieur, mais qui comporte également un risque supérieur», soupèse d’entrée de jeu le gestionnaire de portefeuille chez Industrielle Alliance. Il avoue que ce n’est pas chose facile de recommander le titre de l’entreprise fondée par Joseph-Armand Bombardier dans les années 1930. «Bombardier a vendu récemment ses activités de jets régionaux (CRJ). Elle a eu des problèmes d’exécution et divers contrats problématiques dans sa division Transport. Ils ont récemment nommé un nouveau dirigeant à cette division. Bref, c’est une société qui est en transformation.» Il juge cependant que le titre est sous-évalué. «Sa division Avion vient d’élargir sa gamme d’affaires avec le Global 7500. Un avion très intéressant qu’elle est en train de commencer à produire. Elle doit en livrer de 15 à 20 en 2019 et de 30 à 40 en 2020. Cela pourrait dégager des marges intéressantes si les choses se passent comme prévu.» Il insiste sur le mot «si», mais mentionne du même souffle que le titre de Bombardier se négocie à escompte par rapport à la moyenne de ses pairs, les sociétés d’aéronautique et de transport. «Selon les attentes des analystes, en 2021, on serait à 6 fois les bénéfices de 2021.»
ANDREW KOST, GESTIONNAIRE DE PORTEFEUILLE, ALLARD ALLARD & ASSOCIÉS
Sur les entreprises familiales
Pour Andrew Kost, le fait d’être une entreprise familiale ne constitue pas un critère d’investissement en soi. Par contre, la présence d’une famille peut parfois être un facteur de stabilité. À long terme, l’intérêt de la famille est souvent arrimé avec celui des dirigeants, note le gestionnaire de portefeuille.
ATCO
(Tor., ACO.X, 47,54 $)
Capitalisation boursière : 5,46 G$
Rendement du dividende : 3,41 %
Cette entreprise de services publics albertaine, établie à Calgary, est dirigée par la troisième génération de la famille Southern. La famille détient 32 % des actions en circulation et 87 % des droits de vote grâce aux actions à droits de vote multiples. «Le fait qu’il y ait un actionnaire majoritaire procure de la stabilité. À long terme, ce modèle de gouvernance assure une meilleure gestion du capital. Et cela rejoint notre vision en tant qu’investisseur», explique M. Kost. Il précise qu’ATCO, qui possède 52 % de Canadian Utilities (CU, 38,29 $) est en quelque sorte un investissement défensif, dont environ 85 % des revenus sont récurrents. Le reste provient du secteur industriel qui procure des solutions pour le déploiement d’infrastructures temporaires et permanentes, au Canada et à l’étranger. Il voit du positif dans l’important programme d’investissement de l’ordre de 4,5 milliards de dollars actuellement mis en place par la société, qui en profite aussi pour réaménager son portefeuille d’actif. «Toutes les mesures de valorisation que l’on suit nous indiquent qu’au cours actuel, le titre se négocie à un prix d’aubaine.» Il souligne que le ratio cours-bénéfice est à 14,4, alors que celui de l’industrie est de 16,7. Le niveau d’endettement d’ATCO est une donnée à considérer, mais le gestionnaire de portefeuille rappelle qu’il faut tenir compte qu’une partie de cette dette est, en fait, une dette consolidée avec Canadian Utililities. ATCO augmente régulièrement son dividende. En 2019, elle l’a fait pour la 26e année.
Linamar
(Tor., LNR.TO, 39,16 $)
Capitalisation boursière : 2,66 G$
Rendement du dividende : 1,23 %
Le fabricant de pièces automobiles ontarien exploite plus de 60 usines à l’international. La société a été fondée en 1966 par Frank Hasenfratz. «Elle est sous le contrôle de la deuxième génération. La fille du fondateur, Linda, gère l’entreprise. La famille possède 30 % des actions et des droits de vote», rappelle M. Kost. «Ce n’est pas un critère prédominant pour nous dans notre évaluation, mais c’est un plus quand nous voyons que leurs intérêts à long terme sont alignés avec les nôtres en termes de rentabilité et de thématique d’investissement. Nous avons aussi commencé à intégrer les critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance) dans nos évaluations, et c’est quelque chose qui est important pour les entreprises familiales dans leur processus décisionnel.» Il mentionne que Linamar a su diversifier ses activités après la crise financière de 2008. Sa division transport (automobiles et camions) génère 76 % des ventes alors que sa division industrielle récolte le reste des revenus grâce à sa marque Skyjack, un leader mondial des plates-formes de travail, et à ses produits de machinerie agricole (Macdon). «Sa division industrielle représente 24 % des ventes, mais 39 % des bénéfices d’exploitation. On voit bien l’effet positif de sa diversification sur son chiffre d’affaires.» Il souligne que Linamar est un de ses titres favoris, même s’il est conscient que le récent cycle économique a poussé le cours à la baisse. «Ses valorisations sont très intéressantes à l’heure actuelle.»