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«D’après nos indicateurs, je ne vois pas de récession au Canada», déclare Travis Shaw, premier vice-président, responsable des notations souveraines mondiales à Morningstar DBRS. «Si nous examinons les dernières prévisions des grandes banques, personne n’appelle à une récession pure et simple, mais la croissance économique va certainement ralentir.»
Les indicateurs économiques montrent en effet des faiblesses et «quand on regarde l’ensemble, on voit qu’il déçoit les attentes des économistes», souligne Alexandra Ducharme, économiste à la Banque Nationale du Canada. La banque a construit un indice qui mélange 16 indicateurs avancés tels que l’évolution du huard, les ISM manufacturier et des services, l’optimisme des PME, les demandes d’allocations chômage et les émissions de permis de construire, et cet indice «est à son plus bas depuis juillet 2019», ajoute Alexandra Ducharme.
La lecture de la Banque Nationale est plus pessimiste que le consensus. «Comme le consensus, ajoute l’économiste, nous voyons la croissance se poursuivre à 2,3% jusqu’à la fin de 2024 aux États-Unis et à 0,7% au Canada, alors qu’en 2025, elle chutera à 1% aux États-Unis, mais remontera à 1,2% au Canada. Il n’y a donc pas de récession à l’horizon, mais un fort ralentissement».
Les marchés canadien et américain pourraient encore ralentir, voire empirer
David Rosenberg, président et fondateur de Rosenberg Research, appartient à un camp plus pessimiste, tout comme Brooke Thackray, analyste de recherche à Global X. «La moitié des États-Unis est en récession, l’autre moitié ne l’est pas», affirme David Rosenberg. Le consommateur moins nanti souffre beaucoup, ainsi que la moitié de la classe moyenne, tandis que les consommateurs haut de gamme résistent. Le Canada, à mon avis, est dans une situation bien pire».
Ce dernier fonde ses observations sur quelques facteurs clés, au premier rang desquels les taux d’intérêt. «Rien n’est plus puissant que les taux dans une économie axée sur le crédit comme celle des États-Unis», explique-t-il, rappelant qu’en 2005-2007, lorsque le taux au jour le jour de la Fed est passé de 1% à 5,25% en l’espace de deux ans, les gens n’ont pas cru à une récession jusqu’au tout dernier moment, lorsque le krach s’est déclenché. Cette fois-ci, les taux sont passés de presque zéro à 5,5%. «Je ne crois pas que le cycle économique ait été abrogé», déclare-t-il, ajoutant que cette fois-ci, «je suis plus préoccupé par la durée d’une récession que par sa gravité».
«Je suis d’un même avis que David Rosenberg sur ce point», déclare Brooke Thackray. «Je suis convaincu que le chômage est l’indicateur clé à surveiller, et il est remonté à 6,1% après avoir atteint un plancher de 4,9% en 2022. Aux États-Unis, s’il s’approche des 5%, une récession pourrait survenir.» David Rosenberg est plus sensible à la vitesse à laquelle le chômage a grimpé de plus de 1% au cours de l’année écoulée. «C’est un indicateur de récession infaillible, affirme-t-il. Je pense qu’au Canada, la récession a déjà commencé. Aux États-Unis, elle va survenir dans les six prochains mois.»
La situation de l’immigration au Canada influe sur les chiffres de l’emploi
Travis Shaw pense que le taux d’immigration au Canada joue des tours aux chiffres du chômage, les rendant moins alarmants. «Ils ont montré des signes de fléchissement, reconnaît-il, mais c’est probablement surtout une question de population. La croissance [de la population] a été si forte que nous n’absorbons pas les nouveaux arrivants aussi vite que nécessaire, même si ce n’est pas nécessairement une mauvaise chose. Il s’agit plutôt d’un ralentissement de l’absorption que d’une baisse de l’emploi.»
Travais Shaw attire également l’attention sur le logement, qui pourrait être soutenu par les projets du gouvernement fédéral visant à stimuler la construction. «L’économie canadienne dépend fortement du logement pour soutenir la croissance. L’évolution du secteur du logement est un autre facteur qui écarte tout risque de récession.»
Forte augmentation des faillites d’entreprises au Canada
Un autre élément qui inquiète David Rosenberg et Brooke Thackray est le taux élevé de faillites d’entreprises, qui a augmenté de 56,7% au cours de l’année qui s’est terminée le 31 mars, selon le Bureau du surintendant des faillites du Canada, une hausse sans précédent, note le fondateur de Rosenberg Research. «Le chiffre le plus proche était de 47% au début des années 1990», ajoute-t-il.
Les taux d’intérêt élevés ont particulièrement fragilisé les petites et moyennes entreprises (PME), estime Brooke Thackray. Alors que les grandes entreprises peuvent emprunter à long terme, en profitant des taux bas qui prévalaient encore il y a seulement deux ans, les PME n’ont pas ce loisir ni le même contrôle sur les prix et les coûts que leurs consœurs plus importantes. Il souligne la situation aux États-Unis, où «40% des entreprises de l’indice Russell 2000 sont des zombies, vivant d’emprunts. Leurs bénéfices ne couvrent pas leurs opérations quotidiennes. En fait, elles ne gagnent pas d’argent».
Travis Shaw tempère ces inquiétudes en soulignant que, même si les défaillances sont en forte augmentation, «elles restent à des niveaux historiquement bas». Alexandra Ducharme abonde dans le même sens. «Le taux d’insolvabilité a atteint 0,8 pour 1000 entreprises en janvier 2024 avant de redescendre à 0,6 en mars», note-t-elle. Mais ces chiffres l’incitent à demeurer vigilante. «Cela reste élevé si l’on compare à la tendance depuis 2015. Cependant, le taux de défaillance reste en dessous du niveau que nous avons connu au début des années 2000», (lorsqu’il atteignait 1,4/1000).
Les mouvements des banques centrales sont un facteur clé de la réussite des PME. La manière dont elles calibrent leur lutte contre l’inflation détermine en grande partie la pression exercée sur les entreprises et les particuliers. «L’assombrissement des indicateurs économiques incite les économistes à rester optimistes, car ils pensent que les banques centrales devront baisser les taux», souligne Alexandra Ducharme.
Mais une douche froide vient de s’abattre sur cet optimisme avec le dernier relevé de l’inflation au Canada qui a bondi à 2,9%. «À ce stade, le marché a (comme il se doit) réduit les probabilités d’une baisse des taux en juillet, mais notre prévision d’une baisse en septembre reste intacte pour l’instant», a écrit Robert Kavcic, économiste principal à la Banque de Montréal. Si tel est le cas, d’ici là, la pression pourrait augmenter dans la cocotte-minute de l’économie canadienne.