«J’étais épuisée, autant sur le plan psychologique que physique, parce que pendant toutes les dernières années, je fonctionnais comme si j’étais sur un pilote automatique toujours à plein régime.» Pour «geler tout ce qui se passe dans son corps», Marie-Christine Martel tombe dans l’alcool. (Photo: courtoisie)
300 PME: SANTÉ MENTALE DES DIRIGEANTS. Lorsque Marie-Christine Martel, cofondatrice des restaurants Thaïzone, vend les 24 succursales de la chaîne à son compétiteur MTY, en 2013, la femme d’affaires se retrouve du jour au lendemain face à une sorte de vide.
Pourtant, l’argent est là. Des millions garnissent désormais son compte de banque. L’entrepreneuse compte aussi sur un contrat de deux ans pour faciliter le transfert de l’entreprise et pour retomber sur ses pieds. Cela ne suffit pas. L’action manque à cette femme habituée à rouler à 200 kilomètres/heure depuis la fin de l’adolescence.
La chute
Marie-Christine Martel accouche de sa fille Mia deux ans après la vente de Thaïzone, en 2015. La jeune mère décide de rester au travail. Un nouveau projet d’entreprise occupe tout son temps. Pas question d’arrêter. « Je n’ai pas pris de congé de maternité. Je l’ai transféré au père. Je me suis engagé une nounou qui a commencé à me suivre partout, dès la naissance de ma fille », raconte la femme maintenant âgée de 41 ans, qui allaitait son bébé entre deux rendez-vous d’affaires.
Dans son esprit, il faut performer, coûte que coûte. « Quand j’ai quitté l’école, à 16-17 ans, je prenais un risque énorme, confie celle qui est aujourd’hui présidente de MSEA consulting. Quitter l’école après le secondaire n’est pas ce que la société et nos parents nous enseignent. J’ai décidé d’apprendre sur le tas, par mes propres moyens, alors je n’avais pas droit à l’erreur. Il fallait que j’aille jusqu’au bout. »
La réalité et la fatigue rattrapent l’entrepreneuse autodidacte. « J’étais épuisée, autant sur le plan psychologique que physique, parce que pendant toutes les dernières années, je fonctionnais comme si j’étais sur un pilote automatique toujours à plein régime. » Pour « geler tout ce qui se passe dans son corps », elle tombe dans l’alcool.
Dès qu’elle arrête d’allaiter, sa consommation d’alcool augmente, jusqu’à devenir quotidienne, « jusqu’à devenir un énorme problème », témoigne la mère de Mia, maintenant âgée de sept ans. « C’était devenu un problème au point de me trouver en état d’ébriété le soir en me couchant, et de l’être encore en me réveillant le matin parce que la nuit n’avait pas suffi pour dégriser. »
Maintenant sobre, la femme d’affaires affirme avoir eu recours à de nombreuses méthodes d’évitement avant d’admettre sa dépendance. « La maladie fait qu’on développe des stratégies. La bière me ballonne ? Je vais prendre du vin. Ou encore on se dit : peut-être que ce serait mieux avec du fort. Mais à bien y penser, le fort, ça me donne des absences, alors on change encore de stratégie », dit-elle.
Sortir du trou
La première étape a été d’admettre sa maladie. « C’est l’étape la plus difficile parce qu’il y a quelque chose de honteux à reconnaître qu’on est alcoolique, c’est très mal vu dans la société. »
Celle qui raconte son expérience dans son livre « Ma vie parfaitement imparfaite » confie qu’elle est allée demander de l’aide lorsqu’elle a « touché le fond du baril ». « Je savais à l’intérieur de moi que ça ne pouvait plus continuer, dit-elle. Je me suis rendu compte que mon comportement m’empêchait d’être une bonne mère, une bonne conjointe et une bonne femme d’affaires. »
Marie-Christine se soumet alors à une thérapie fermée de 21 jours, aux Maisons Péladeau, dont elle marraine la marche pour la sobriété, cette année. « Pendant ces 21 jours, on te met à l’abri de la tentation. Tu te retrouves comme dans une bulle, ce qui te permet de repartir de zéro. »
Aujourd’hui, même si elle contrôle sa maladie, l’entrepreneuse demeure vigilante. « Je ne suis pas guérie de ça. Tous les jours, il faut que je me parle. C’est un travail permanent », admet-elle. De tout ce qu’elle a fait dans la vie, sa plus grande fierté est de s’être sortie de l’alcoolisme. Juste d’être toute là, maintenant, c’est un beau cadeau », soutient la consultante.
Même si Marie-Christine Martel ne s’estime pas compétente pour prodiguer des conseils, elle invite ses collègues du monde des affaires à demeurer prudents. « La consommation d’alcool, ça fait partie de la routine de cet univers-là, avec les 5 à 7, les activités de réseautage ou les dîners d’affaires », souligne-t-elle. « Si quelqu’un porte la maladie, la personne peut facilement la développer à cause de son mode de vie d’entrepreneur. »