«Ce qu’on veut, c’est privilégier un remboursement par l’employeur des dépenses que l’employé ne peut réclamer sur sa déclaration de revenus.» (Photo: 123RF)
« Petite question en lien avec ma situation en 2023. À la suite d’une relocalisation à mon travail, plusieurs dépenses m’ont été remboursées (notaire, courtier immobilier, peinture, etc.) et ont été ensuite ajoutées comme revenu imposable. Actuellement, je n’ai pas de dettes de cartes de crédit, ni de marge de crédit, ni de dette de voiture, seulement une hypothèque pour la maison. Sachant que je n’ai pas payé d’impôt sur ces revenus imposables, mais que le tout va arriver rapidement, je me demandais si je devais investir en REER pour compenser ces revenus ou bien payer mes impôts dus et investir dans un CELI avec mon planificateur financier. — Patrice »
Cher Patrice,
Tout d’abord, bienvenue dans la «période des impôts», qui suit immédiatement la «période des REER».
Ces deux «périodes» ont la caractéristique commune de voir les principaux acteurs financiers (planificateurs financiers et gestionnaires de patrimoine pour la première, comptables et fiscalistes pour la seconde) louer une île déserte pour s’y cacher pendant un mois tout de suite à la fin de leur «période» respective qui se déroulent à un rythme plus infernal que le mythique spectacle de drum imaginaire de Michel Courtemanche.
Idéalement, sur cette île, le téléphone intelligent repose dans le fond de l’océan (ou d’un rhum and Coke, selon la profondeur de leur détresse post-traumatique).
Ceci dit, nous avons affaire ici à un problème (probablement) lié à la «période des déménagements» qui a des répercussions sur celle des impôts.
Avant de régler la question des REER et CELI (je sais, nous sommes une semaine trop tard pour les conseils REER, mais attendez deux minutes, vous allez voir que nos experts règlent ça rapidement un peu plus loin), attardons-nous aux avantages imposables et aux déductions possibles entourant un déménagement pour cause de travail.
Première chose à savoir: pour être en mesure de réclamer des dépenses liées à un déménagement, il faut:
A) avoir changé d’emploi (ou au moins de fonction) ;
B) s’être rapproché d’au moins 40 km de son nouveau lieu de travail, souligne Natalie Hotte, fiscaliste et planificatrice financière pour le Centre québécois de formation en fiscalité (CQFF), partenaire de Raymond Chabot Grant Thornton (RCGT).
Et si le patron décide de ne pas me donner de promotion et m’envoie compter les trèfles à quatre feuilles à Saint-Lin?
«C’est plus nébuleux, prévient-elle. Il y a autant de causes en jurisprudence qui disent oui que non lorsqu’on change seulement d’immeuble.»
Ajout au revenu
Bon, supposons que Patrice ait bougé de plus de 40 km à la suite d’une promotion. La première chose qui saute aux yeux de Normand Verville, vice-président planification fiscale et successorale (Québec) chez IG Gestion de patrimoine, ce sont les dépenses qu’aurait remboursées le patron de Patrice.
«Ce qui me surprend, ce sont certains frais, comme le notaire et le courtier immobilier, que l’employeur a payés, mais qui ne sont pas imposables selon le guide de l’Agence de revenu du Canada (ARC), avance-t-il. En théorie, les frais de notaire et de courtier n’auraient pas dû être ajoutés à ses revenus.»
La manière de procéder de l’employeur de Patrice pourrait toutefois se justifier si, au lieu de rembourser les dépenses, son patron avait décidé de lui verser une allocation ou un montant forfaitaire. Dans ce cas, indique Natalie Hotte, la somme serait effectivement imposable, et donc s’ajouterait à ses revenus.
Planifiez avec le patron
Elle aussi s’interroge sur les dépenses remboursées mentionnées par Patrice. La commission du courtier, les déménageurs, le notaire et les droits de mutation (la fameuse taxe de bienvenue) sont toutes des dépenses que Patrice aurait pu réclamer dans sa déclaration de revenus.
Par contre, les frais d’inspection, les dépenses encourues dans l’ancienne résidence (frais de condo, dépenses reliées à la vente, etc.) et les frais pour modifications dans la nouvelle résidence pour y faire fonctionner des objets qui se trouvaient dans l’ancienne sont parmi les dépenses qui ne peuvent être réclamées.
«C’est pour ça qu’il vaut mieux s’asseoir avec l’employeur avant le déménagement et planifier en fonction de ce qu’il peut vous donner et ce que vous pouvez déduire, estime Natalie Hotte. Ce qu’on veut, c’est privilégier un remboursement par l’employeur des dépenses que l’employé ne peut réclamer sur sa déclaration de revenus.»
Elle suggère également, à juste titre, d’être accompagné lors de cette planification parce que la plupart des employeurs ne sont pas fiscalistes et que, bon, la Loi sur l’impôt est aussi simple qu’un cube Rubik pour les non-initiés.
Il ne sert à rien de courir, il faut partir à point
On peut aussi négocier la date du grand départ, mentionne quant à lui Normand Verville. Les dépenses qu’on peut déduire sont relatives au revenu gagné pendant l’année où vous déménagez.
Ce qui veut dire que si, par exemple, Patrice a déménagé en décembre, les revenus de son nouvel emploi sont fort probablement inférieurs aux dépenses qu’il peut réclamer.
«Si on n’a pas gagné suffisamment de revenus du nouvel emploi dans l’année du déménagement, il est possible de reporter des dépenses l’année suivante, observe-t-il. Ce qui veut donc dire qu’il aurait un retour pour les dépenses engagées en décembre 2023… en avril ou mai 2025. Mieux vaut tard que pas du tout.»
On peut donc attendre plusieurs mois avant de déménager pour synchroniser l’arrivée dans sa nouvelle maison avec une période plus propice dans l’année.
À l’inverse, si on se dépêche à déménager, mais qu’on n’a pas encore réussi à vendre son ancienne résidence, il est possible de déduire certains frais.
«Il y a des situations où les gens peuvent déduire beaucoup de dépenses, soumet Normand Verville. Les frais comme les taxes, les assurances ou les frais de chauffage pour la période où il n’habitait plus la résidence.»
Supposons un instant que Patrice ait acheté une résidence au sommet de la hausse des prix, disons en avril 2022. Supposons encore qu’il ait dû déménager un an plus tard, au moment où les valeurs marchandes des propriétés avaient chuté d’environ 8%. Il aurait donc vendu sa maison à perte.
Normand Verville indique que l’employeur de Patrice aurait pu lui rembourser une partie de cette perte.
«Dans ce cas, le premier 15 000$ n’est pas imposable, remarque-t-il. Si on reçoit plus que ça, la moitié de l’excédent devient un avantage imposable.»
Et les REER et CELI dans tout ça?
Le nœud de la question de Patrice est de savoir s’il devrait compenser l’ajout d’un revenu imposable pour 2023 par des REER supplémentaires.
Réponse courte: probablement pas.
Et pas seulement parce que je réponds à sa question le 7 mars, une semaine après la limite pour profiter de l’achat de REER sur sa déclaration de revenus de 2023.
«Avant de penser REER, il devrait peut-être regarder ce qu’il peut encore déduire comme dépenses de son déménagement, affirme Natalie Hotte. Il pourrait recouper une bonne partie des revenus supplémentaires qui lui ont été imposés.»
Normand Verville est du même avis. Les droits de mutation, à eux seuls, pourraient bien couvrir le remboursement de frais ajouté aux revenus de Patrice.
Natalie Hotte en profite d’ailleurs pour faire une parenthèse à propos du lien entre REER et revenus.
«Il faut se demander si l’avantage imposable est assez important pour faire augmenter son taux marginal d’imposition (TMI), soutient-elle. Les gens disent souvent, comme Patrice, qu’ils ne veulent pas payer une facture d’impôt en avril. La vraie question est plutôt de savoir si je peux réduire mon TMI avec un REER, parce que si j’économise 40% d’impôt maintenant pour en payer 40% plus tard, on arrive avec un avantage fiscal REER à zéro.»