Le véhicule expérimental de LeddarTech permet de tester les technologies développées par l’entreprise. (Photo : courtoisie)
AUTOMOBILE. Des voitures complètement autonomes circuleront sur les routes, c’est inévitable, soutient Charles Boulanger, chef de la direction à LeddarTech. Selon l’ingénieur, dont l’entreprise installée à Québec développe des systèmes d’aide à la conduite pour de grands fournisseurs et manufacturiers automobiles, même si de nombreux défis restent à surmonter avant d’y arriver, les avantages de l’autonomie de conduite sont tout simplement trop importants pour passer à côté de cette avancée technologique.
Le premier bénéfice concerne la sécurité des passagers et des piétons, affirme Charles Boulanger. « Il se tue l’équivalent d’un Boeing 737 à l’heure sur la planète en raison de l’utilisation de l’automobile », avance l’entrepreneur, qui reconnaît que la technologie actuelle doit encore s’améliorer. Il note que les systèmes sur le marché en ce moment « manquent, grosso modo, 70-80 % des piétons », ce qui signifie que 7 à 8 piétons sur 10 ne sont pas repérés par les équipements actuels.
Si les systèmes d’aide à la conduite, comme l’assistance au stationnement et la couverture des angles morts, rendent l’utilisation des véhicules plus sécuritaire, il faudra du temps pour que l’intelligence artificielle rejoigne la fiabilité de l’humain, croit Denis Gingras, professeur titulaire au Département de génie électrique et de génie informatique de l’Université de Sherbrooke et directeur fondateur du Laboratoire sur l’intelligence véhiculaire de l’institution. Il souligne que « les 100 dernières années de statistiques sur la conduite humaine montrent que l’être humain est extrêmement fiable pour conduire ». D’un point de vue statistique, poursuit le chercheur, les accidents automobiles graves sont à ce point rares qu’il faudrait l’équivalent de cinq vies à un individu pour en être victime une seule fois.
Un défi important auquel sont confrontés les développeurs de systèmes de conduite autonome tient à la quantité phénoménale d’informations qu’ils doivent capter, traiter et discriminer en vue d’une prise de décision. « À 120 km/h sur l’autoroute, par exemple, l’environnement change toutes les trois secondes, illustre Denis Gingras. Ça veut dire que les systèmes installés dans les véhicules intelligents doivent être capables de faire une quantité énorme de calculs en temps réel, pour constamment se mettre à jour et s’adapter à la variation de l’environnement. » De l’avis de Charles Boulanger, « la vraie question, c’est comment on peut arriver à avoir des données que les logiciels peuvent utiliser pour prendre des décisions de façon rapide et peu coûteuse ? »
Les risques de la connectivité
Le traitement de l’information qui provient du cyberespace constitue un défi tout aussi colossal que celui de l’environnement immédiat. L’autonomie complète des véhicules suppose en effet qu’ils soient connectés à un réseau d’informations qui les renseigne sur une quantité presque inimaginable de situations comme les conditions météo à venir ou encore l’endroit où se trouve un espace de stationnement que la voiture rejoindra d’elle-même.
« Toutes ces voitures [autonomes] vont être interconnectées », rappelle Gabriela Nicolescu, professeure titulaire au Département de génie informatique et génie logiciel de Polytechnique Montréal. À partir du moment où le véhicule communique avec « l’extérieur », des vulnérabilités apparaissent. « Les données du propriétaire peuvent être exposées et le périmètre où il se trouve peut être identifié, comme dans le cas des données cellulaires », illustre-t-elle.
Dans ce contexte, la sécurité des passagers dépendra de la capacité du véhicule à gérer son environnement immédiat de manière efficace, mais aussi de sa capacité à se protéger contre des attaques malveillantes que pourrait permettre l’interconnectivité. « La conception se fait par l’intermédiaire de fournisseurs, explique la professeure. C’est donc toute une chaîne d’approvisionnement qui doit être sécurisée. Le manufacturier doit savoir d’où vient tel matériel, d’où vient tel logiciel pour s’assurer qu’il n’y ait pas de vulnérabilités sur lesquelles il n’a pas de contrôle ou dont il n’a pas connaissance. »
La question sécuritaire s’impose donc dès la conception des véhicules autonomes et des systèmes qui s’y greffent. Dans ce contexte, la réglementation gouvernementale occupe un rôle central. Elle doit prévoir l’intégrité des systèmes lors de leur installation dans les véhicules et tout au long de leur cycle de vie, soutient la professeure. « On parle d’objets qui évoluent dans le temps, rappelle Gabriela Nicolescu. Il y aura des mises à jour, des changements éventuels, qui sont aussi tous des portes ouvertes à des vulnérabilités. »
Quant à la question qui nous brûle les lèvres, à savoir quand la voiture complètement autonome sera disponible aux acheteurs, les paris restent ouverts. « La voiture autonome existe. Mais avant de l’avoir dans le garage, ça va prendre du temps », admet Charles Boulanger. « Quelques dizaines d’années », estime Gabriela Nicolescu.
« Un jour, on va se dire que ça n’a pas de bon sens qu’on ait laissé conduire des êtres humains, croit fermement le chef de la direction de LeddarTech. La réalité, c’est que la voiture autonome sera beaucoup plus sécuritaire. »