Le cabinet McKinsey indiquait, dans un rapport de 2018, que plus une entreprise accorde de l’importance au design, plus ses revenus et ses rendements aux actionnaires augmentent. (Photo : 123RF)
DESIGN INDUSTRIEL. Comment réussir à intégrer le design dans un processus de création, de fabrication, puis de commercialisation d’un produit ou d’un service ? Quelle place le designer a-t-il entre l’ingénieur et le marketeur ? Quelle influence peut avoir le design sur le revenu d’une entreprise ? Petit tour d’horizon d’une profession en mutation.
Qu’ont en commun Ikea, Lego ou Apple ? «Ce sont toutes des entreprises de design, répond Guillaume Blum, professeur à l’École de design de l’Université Laval. Chaque élément est pensé selon un prisme design, ce qui démontre bien que ce n’est pas incompatible avec les grandes multinationales.»
Selon lui, le design est en effet encore sous-utilisé dans bien des organisations québécoises. «On ne voit encore cette profession que selon une perspective esthétique alors qu’elle a beaucoup plus à apporter d’un point de vue stratégique.»
La raison de cette vision restreinte du métier ? «On ne juge que le résultat final et on pense que le design n’est que cela, analyse Tatjana Leblanc, directrice de l’École de design de l’Université de Montréal. On ne voit pas tout le cheminement pour arriver à cette forme d’expression.»
D’après certaines études, il semblerait que le design ait pourtant une influence sur les résultats économiques des entreprises. Dans un rapport d’octobre 2018 intitulé «The business value of design», le cabinet McKinsey indique que plus une entreprise accorde de l’importance au design, plus ses revenus et ses rendements aux actionnaires augmentent. Une corrélation positive que l’on retrouvait déjà dans le rapport sur le sujet, publié en 2004, par l’organisme britannique Design Council (qui n’aurait probablement pas conclu autrement étant donné sa mission de promotion du design dans la société).
«Les méthodes de design industriel et de pensée design se sont démocratisées dernièrement, car il y a eu une vraie prise de conscience mondiale qu’il devenait de plus en plus important d’être obsédé par son consommateur et de réussir à déchiffrer ses attentes», indique Grégoire Baret, directeur du design d’expérience multicanal au sein du Groupe Aldo.
Insuffler une culture design
«Le métier du designer, c’est de se demander comment repenser les produits et services que l’on offrira demain», explique Mme Leblanc. Pourtant, insuffler une culture design au sein de son organisation n’est pas toujours chose facile. «Soit cela vient du haut, avec un des créateurs ou des dirigeants qui est lui-même designer, ce qui est le cas d’Uber ou d’Airbnb, soit c’est grâce à la présence de designers qui arrivent à faire avancer leurs idées à l’interne», résume M. Blum.
Shopify entre dans le premier cas de figure, un des fondateurs étant responsable de l’expérience utilisateur (UX) dès l’origine de l’entreprise. La plateforme de commerce en ligne canadienne essaie ainsi de développer un maximum d’empathie envers ses utilisateurs pour améliorer son service.
«On encourage beaucoup les salariés à faire des visites chez nos commerçants, explique Cynthia Savard Saucier, directrice du design utilisateur de Shopify. On encourage aussi notre équipe produit à se rapprocher du service à la clientèle, à assister à des appels, pour comprendre directement l’usage, voire les frustrations de nos utilisateurs.» Sans oublier les nombreux tests avec des marchands qui sont effectués dans ses bureaux.
Autre exemple : l’enseigne montréalaise de chaussures et d’accessoires Aldo, qui a recruté M. Baret en 2015 pour qu’il contribue à améliorer l’expérience de vente, dans une démarche de design de service.
Parmi les concrétisations, la mise en place d’une application réservée aux vendeurs en boutique, qui leur permet de voir les stocks en temps réel. «Dans un magasin, on passe souvent beaucoup de temps à faire des aller-retour pour vérifier la disponibilité d’un produit, ce qui peut générer de la frustration chez le client. Cette application donne ainsi plus de temps d’accompagnement et de conseil aux vendeurs», relate M. Baret.
Pour bâtir cette application, un processus de 15 mois d’observations et d’itérations avec les utilisateurs finaux fut nécessaire. Si M. Baret ne divulgue pas l’effet sur le chiffre d’affaires, il concède : «On a décidé de la déployer dans nos 600 magasins en Amérique du Nord, car on estime que le rendement de l’investissement sera rapide.»
Les tests utilisateurs permettent aussi de mettre en relief des initiatives moins concluantes. L’installation d’écrans connectés à l’entrée des magasins, par exemple, qui devaient donner plus d’autonomie aux clients dans leur recherche de produits. «Les consommateurs nous avaient exprimé ce besoin, mais, dans les faits, ces écrans étaient perçus comme un outil de signalétique ou d’ambiance, relate-t-il. On a compris que la technologie devait faciliter les interactions humaines et sensorielles et non les remplacer.» Conséquence : ces écrans ont été supprimés dans certains magasins… mais gardés dans d’autres. «On continue d’expérimenter et d’apprendre.»
Les principaux effets du design industriel, selon ceux qui y recourent
• Augmentation de la créativité : 72 %
• Diversification de la gamme de produits : 61 %
• Augmentation du chiffre d’affaires : 57 %
• Développement d’une culture de qualité : 57 %
Source : Direction générale de l’industrie et du commerce du ministère du Développement économique, de l’Innovation et de l’Exportation, 2010