« Avoir un impact positif fait partie de notre formation, mais aussi de nos valeurs fondamentales », dit Elizabeth Coulombe, cofondatrice et présidente de Tero (à droite sur notre photo). « Ce n’est pas juste une tendance, c’est un élément qui doit faire partie de nos décisions désormais », enchaîne son associée Valérie Laliberté (à gauche). (Photo: Tero)
DESIGN INDUSTRIEL. «Des projets environnementaux et sociétaux ? Nous n’avons que ça chez nos étudiants», répond sans hésiter Caroline Gagnon, professeure agrégée à l’École de design de l’Université Laval et directrice du programme en design de produits. «Ce n’est pas non plus un hasard : il serait inconcevable, au 21e siècle, de ne pas sensibiliser de futurs designers de produits à ces enjeux dans le cadre de leur formation», précise Guillaume Blum, aussi professeur au même endroit.
Ce dernier veut en effet éviter que ses étudiants se retrouvent dans la situation de John Sylvan, le créateur des capsules de café pour la société Keurig qui, une vingtaine d’années plus tard, regrette son invention et déplore son impact sur l’environnement. «Ces choses ne seront jamais recyclables», se désolait-il dans une entrevue en 2015 dans The Atlantic.
«Avoir un impact positif fait partie de notre formation, mais aussi de nos valeurs fondamentales», ajoute Elizabeth Coulombe, cofondatrice et présidente de Tero, un petit appareil électroménager encore au stade de prototype qui offre une solution de rechange au compostage. «Ce n’est pas juste une tendance, c’est un élément qui doit faire partie de nos décisions désormais», enchaîne son associée Valérie Laliberté, qu’elle a rencontrée, justement, dans le cadre de son baccalauréat en design de produits à l’Université Laval.
Une génération qui veut faire la différence
Dallage en béton écoresponsable, système de récupération et valorisation de l’eau de pluie, casque de vélo aux matériaux biosourcés, turbines hydrauliques pour produire de l’énergie renouvelable en cas de catastrophes naturelles… Les projets des finissants de l’École de design de l’Université de Montréal (UdeM), cette année, sont également révélateurs de cette lame de fond. «La nouvelle génération est par définition sensibilisée à ces enjeux», explique Tatjana Leblanc, sa directrice.
Sylvain Duchesne, partenaire chez Katz Design, en a fait l’expérience, lui qui était récemment jury de cette cohorte de l’UdeM. «Il y avait cinq projets humanitaires, indique-t-il, surpris. Il y a 25 ans, le designer ne réfléchissait pas naturellement à cela.»
Malgré tout, le sujet n’est pas le strict apanage des jeunes professionnels. Katz Design, firme de design industriel de 32 ans, a elle-même décidé de se transformer en 2018 pour utiliser ses compétences vers le design social et de services.
«Utiliser nos lunettes et notre boîte à outils de designer pour aider notre prochain et avoir un impact sur la société vient d’un désir personnel de citoyen et d’entrepreneur», témoigne M. Duchesne. Une nouvelle collaboratrice, Sabrina Moreau, vient d’ailleurs d’être embauchée pour s’occuper de ces problèmes sociaux. «Le designer est formé pour résoudre des problèmes et passer en mode solution, peu importe la façon d’y arriver», explique-t-elle.
L’atout de la pensée complexe
De son côté, l’Association des designers industriels du Québec (ADIQ) a aussi lancé, cette année, un comité sur le développement durable et l’écoconception. «La démarche multicritères du designer permet de saisir les enjeux d’un problème sur l’ensemble de la chaîne de valeur. Cette pensée complexe amène une nuance nécessaire avant de prendre une décision», indique Geneviève Dionne, directrice, Écoconception et économie circulaire, au sein d’Éco entreprises Québec, elle-même designer industriel et administratrice à l’ADIQ.
L’organisme a ainsi accompagné la papetière Cascades, l’an dernier, dans le déploiement d’un panier de fraises fait à 100 % de carton recyclé, y compris sa poignée. «Elle était en plastique ou en bois auparavant, ce qui était un contaminant pour le recyclage», illustre Mme Dionne.
Cette vision globale du designer lui permet en effet de déceler les fausses bonnes idées. Des pailles en carton pour remplacer celles en plastique, par exemple. «S’il n’y a pas de filière pour le compostage en aval, elle ira dans la même poubelle que la paille en plastique; si elle dispose d’une protection en plastique pour éviter de ramollir, elle ne sera plus compostable», analyse-t-elle.
«Au final, on revient à l’essence même du design, conclut Mme Gagnon. Il est né en réaction aux effets pervers de l’industrie avec l’intention de réintroduire de l’humanité dans des systèmes qui tournaient un peu à vide.»