Un changement de paradigme en vue

Publié le 05/07/2023 à 09:50

Un changement de paradigme en vue

Publié le 05/07/2023 à 09:50

Hydro-Québec a indiqué en avril dernier qu’elle évalue le potentiel hydroélectrique de la rivière Petit Mécatina, sur la Côte-Nord, mais qu’aucun projet de nouvelle centrale n’est confirmé à ce jour. (Photo: 123RF)

EFFICACITÉ ÉNERGÉTIQUE. Le Québec a des « choix déterminants à faire » en matière d’énergie et les Québécois doivent s’attendre à un « changement de paradigme » avec le dépôt à l’automne d’un projet de loi pour revoir l’encadrement du secteur énergétique de la province, affirme le ministre de l’Économie et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon. Les Affaires fait le point sur la question. 

« On s’attaque à une réforme importante, celle de l’énergie au Québec », a lancé le ministre Fitzgibbon le 30 mai dernier lors d’un événement portant sur l’avenir de l’énergie au Québec organisé par Les Affaires. Selon lui, cette modernisation à venir du cadre légal et réglementaire du secteur de l’énergie sera le leg de son deuxième mandat au sein du gouvernement de François Legault. 

Comme il le répète depuis quelque temps à différentes tribunes, il a annoncé son ambition de faire du Québec « le premier état carboneutre en Amérique du Nord », et ce, d’ici 2050. Pour atteindre cet objectif dans un contexte où la demande en électricité est très forte, le ministre priorise trois grands chantiers : l’efficacité énergétique, le rehaussement de la production d’électricité des installations existantes et le développement de nouvelles sources d’énergie renouvelables — sans doute de l’éolien, possiblement des barrages hydroélectriques et « peut-être un peu de solaire », a-t-il dit. 

Il faut « faire preuve d’intelligence et de sobriété énergétique », a affirmé Pierre Fitzgibbon lors de son allocution, reconnaissant que les Québécois sont parmi les plus grands consommateurs d’énergie par habitant au monde. « Mais si on dit ça, ce n’est pas parce qu’on demande aux Québécois de faire des sacrifices, bien au contraire », a-t-il ajouté, disant préférer la carotte (les incitatifs financiers) au bâton (les pénalités financières ou contraintes réglementaires) pour modifier les habitudes de consommation. 

Il assure que les efforts déployés par la population pour réduire sa consommation d’électricité ne serviront pas à enrichir des multinationales qui cherchent à s’installer dans la province, friandes de notre hydroélectricité propre et abordable. Le Québec ne deviendra pas le « Dollarama de l’électricité », a-t-il insisté, reprenant l’expression de l’ancienne PDG d’Hydro-Québec, Sophie Brochu. « Je rejette catégoriquement cette étiquette, a-t-il poursuivi. Arrêtons de démoniser les industries. »

 

Plan attendu 

Attentif lors du discours du ministre Fitzgibbon, le député de Québec solidaire et porte-parole de son parti en matière d’économie et d’énergie, Haroun Bouazzi, a bien hâte de voir le plan détaillé du gouvernement, notamment en ce qui concerne la possible construction de nouveaux barrages hydroélectriques. Hydro-Québec a indiqué en avril dernier qu’elle évalue le potentiel hydroélectrique de la rivière Petit Mécatina, sur la Côte-Nord, mais qu’aucun projet de nouvelle centrale n’est confirmé à ce jour. « C’est difficile de suivre un gouvernement qui ne nous donne pas les équations sur lesquelles il se base pour lancer des affirmations », a fait valoir l’élu solidaire. 

« L’idée de réfléchir aux barrages, c’est mettre la charrue avant les bœufs, a pour sa part plaidé Alain Dubuc, conseiller stratégique de l’Institut du Québec. On construira des barrages s’ils sont absolument nécessaires. Mais pour cela, il faut d’abord avoir une idée très claire et consensuelle de ce que sera la demande énergétique à combler. » 

Le dépôt du projet de loi sur l’encadrement et le développement des énergies propres est attendu à l’automne 2023. Des consultations ont débuté en mai et se poursuivront jusqu’au 1er août prochain.

 

Réforme nécessaire 

La réforme du secteur énergétique québécois paraît nécessaire à la lecture de l’État de l’énergie au Québec 2023, la plus récente édition d’un rapport préparé chaque année par la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal. On y constate notamment que le Canada (et le Québec, qui a une performance comparable) est un « cancre de la productivité énergétique » parmi un groupe de pays comparables, comme le Royaume-Uni, le Japon ou les États-Unis. Cela signifie que le Québec est l’un des endroits dans le monde où il se crée le moins de richesse par unité d’énergie consommée.

Cette piètre performance est en bonne partie due à notre consommation excessive d’énergie, elle-même liée à nos tarifs d’électricité très bas, explique le professeur et co-auteur de l’étude, Pierre-Olivier Pineau. « Des chercheurs ont fait des études pour déterminer la consommation d’énergie moyenne sur Terre qui serait compatible avec l’atteinte de l’objectif de limiter le réchauffement de la planète à 1,5 degré Celsius. C’est environ 60 gigajoules par personne, par année, alors qu’au Québec, on consomme 180 gigajoules par année, a-t-il expliqué lors de l’événement organisé par Les Affaires. Il faudrait donc diviser par trois notre consommation d’énergie. » 

À son avis, cette réduction de la consommation passe notamment par des maisons plus petites et mieux isolées (« nous avons un nombre de pièces vides inégalé dans l’histoire du Québec », a-t-il lancé lors de sa présentation) et un secteur des transports moins énergivore (plus de bateaux et de trains, moins d’avions et de voitures sur les routes).

« La bonne nouvelle, c’est qu’on peut le faire, mais il faut changer nos habitudes », a-t-il dit. Il est selon lui possible de maintenir un niveau de vie élevé, en ayant un style de vie plus sobre en carbone. « Il y a des pays qui, depuis 30 ans, réduisent leur consommation d’énergie et leurs émissions de gaz à effet de serre, tout en augmentant leur produit intérieur brut et leur démographie. C’est le cas en Allemagne et au Danemark », a-t-il précisé en entrevue après avoir quitté la scène.

Pour ce qui est du grand rebrassage du secteur énergétique promis par Pierre Fitzgibbon, le professeur Pineau a un « optimisme modéré ». « C’est la première fois que je vois un ministre de l’Énergie qui est aussi au fait des questions énergétiques, a-t-il noté. En ce qui concerne le discours, il va plus loin que ses prédécesseurs. »

Il ne faut cependant pas que la réforme à venir se limite à la création de nouveaux parcs éoliens pour alimenter des industries énergivores, a-t-il prévenu. « Si ça se résume à ça, cette politique sera un échec. Elle sera peut-être un succès industriel, mais elle sera un échec énergétique et environnemental. »

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