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L’hydrogène pourra-t-il verdir le transport lourd?

Philippe Jean Poirier|Publié le 03 mai 2021

L’hydrogène pourra-t-il verdir le transport lourd?

Parmi les pistes explorées dans la Stratégie canadienne pour l’hydrogène, il est suggéré de convertir «les pipelines de gaz naturel» pour distribuer l'hydrogène. (Photo: 123RF)

ÉLECTRIFICATION DES TRANSPORTS ET MOBILITÉ DURABLE. Les constructeurs automobiles annoncent des projets de camion lourd à pile à combustible à l’hydrogène les uns après les autres: Toyota s’est associé avec Chevron alors que Volvo fait équipe avec Daimler Truck, et Hyundai fabrique déjà son modèle Xcient Fuel Cell. 

Ces projets émanent du même effort pour verdir le transport lourd, secteur qui voit ses émissions de gaz à effet (GES) augmenter année après année. Un constat qui cadre mal avec l’objectif du Québec, du Canada et des États-Unis d’atteindre la carboneutralité d’ici 2050. 

Notons que l’hydrogène est considéré comme « vert » seulement lorsqu’il est produit sans émission de GES, par un procédé d’électrolyse de l’eau.

À l’inverse, l’hydrogène « gris » est celui produit par le reformage des gaz naturels ou des combustibles fossiles. Ce carburant est considéré comme « bleu » lorsque le CO2 émis par ce même procédé de production est capté et enfoui. 

En matière de transport lourd, l’hydrogène devient plus avantageux que l’électricité à mesure le trajet s’allonge et que les marchandises s’alourdissent. « La pile à combustible permet une meilleure mise à l’échelle, explique Gabriel Antonius, professeur à l’Institut de recherche sur l’hydrogène de l’Université du Québec à Trois-Rivières. Lorsqu’on ajoute des batteries pour augmenter l’autonomie d’un véhicule lourd électrique, le poids des batteries finit par poser problème. En comparaison, augmenter la taille d’un réservoir d’hydrogène n’augmente pas beaucoup le poids du véhicule. » 

L’autre avantage du véhicule à l’hydrogène est son temps de recharge : seulement quelques minutes. Mais encore faut-il trouver une station. Pour l’instant, le réseau de distribution de l’hydrogène est quasi inexistant au Canada et au Québec, et son déploiement pose d’importants défis.

 

Kurt Sorchark, président et chef de la direction de Xebec (Photo: courtoisie)

Infrastructures de distribution

À l’atteinte de l’objectif de carboneutralité en 2050, la Stratégie canadienne pour l’hydrogène publiée en décembre dernier prévoit que l’hydrogène « propre » fournira 30 % de l’énergie produite au Canada. Parmi les pistes explorées dans ce plan stratégique, il est suggéré de convertir « les pipelines de gaz naturel » pour distribuer ce nouveau carburant.  

Kurt Sorchark, président et chef de la direction de Xebec, une entreprise de gaz renouvelable basée à Montréal, n’est pas convaincu que ces infrastructures puissent être reconverties. « Pour moi, c’est un gros point d’interrogation, affirme-t-il. Avec l’engagement des gouvernements d’atteindre des émissions nettes nulles d’ici 2050, les entreprises gazières sont menacées par la faillite, et leurs infrastructures risquent de devenir désuètes. Qui payera pour la reconversion ? » 

Le dirigeant croit qu’un modèle de distribution « décentralisé » s’accorde mieux aux caractéristiques de production de l’hydrogène. « Contrairement au pétrole et au gaz naturel, qui proviennent du sol, l’hydrogène peut être produit n’importe où dans le monde, rappelle-t-il. Tout ce qu’il faut, c’est de l’électricité ou une autre forme d’énergie. » 

Gabriel Antonius illustre ce point en évoquant la stratégie énergétique d’Hydro-Québec, qui produit de l’hydrogène par électrolyse pendant les heures creuses de demande d’électricité. « Ça permet à Hydro-Québec d’exporter son énergie sous forme d’hydrogène vert », précise le professeur. 

L’Ontario, poursuit-il, considère de son côté produire de l’hydrogène à partir des surplus d’énergie nucléaire. « C’est une avenue intéressante, sachant qu’une usine nucléaire est difficile à arrêter », note Gabriel Antonius. 

De l’hydrogène pourrait aussi provenir de l’exploitation de l’énergie solaire ou éolienne. Ou encore du « reformage » du biogaz présent sur les fermes, mentionne Kurt Sorchark, dont l’entreprise commercialise les unités BGX Biostream, qui transforment les déchets organiques agricoles en gaz naturel renouvelable.

 

Un site de production près de chez vous

Ces exemples montrent que les futurs sites de production d’hydrogène ne correspondront pas nécessairement aux routes empruntées par les pipelines actuels. Sans compter que pour franchir de longues distances, l’hydrogène gazeux doit être liquéfié, ce qui est un procédé coûteux. Les sites de production ont donc intérêt à être près des lieux de recharge ou de consommation. 

Kurt Sorchark donne l’exemple du modèle « décentralisé » de l’entreprise néerlandaise HyGear, acquise en décembre par Xebec. « Un site de production d’hydrogène d’HyGear dessert un rayon de 100 kilomètres ; au début, un camion livre quelques bonbonnes dans chaque station de recharge, détaille-t-il. Lorsqu’une station reçoit suffisamment de véhicules, un site de production est construit en remplacement de la station, afin de croître avec la demande. » 

Cette approche trouve écho au Québec. L’entreprise montréalaise Hydrolux veut bâtir un réseau « décentralisé » de sites de production de « moyenne capacité » ayant pour but de livrer de l’hydrogène vert à des clients industriels. 

« En déployant nos sites modulaires près de nos clients, nous pourrons livrer de l’hydrogène comprimé, qui n’a pas été liquéfié, donc à moindre coût », explique Friedrich Dehem-Lemelin, son PDG et cofondateur. Hydrolux, qui est à l’étape de prospection de site, compte aussi utiliser des algorithmes d’intelligence artificielle pour optimiser ses volumes de production et ses routes de livraison.