D’après le dernier Baromètre industriel québécois du STIQ (Sous-traitance industrielle Québec), l’impartition de certaines tâches ou activités par un tiers est une mesure prise par 44% des entreprises sondées. (Photo: 123RF)
Il est impossible d’être bon dans tout. C’est pour cette raison qu’impartir une partie de ses tâches constitue une solution souvent ingénieuse pour une PME désirant atteindre une efficience maximale. Et cette approche s’impose de plus en plus en ces temps de pénurie de main-d’œuvre.
«C’est un phénomène en émergence, explique Jamal Ben Mansour, professeur en gestion des ressources humaines à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR). Jusqu’à 80% des gestionnaires songent à l’impartition pour les années à venir. C’est considérable comme chiffre.»
D’après le dernier Baromètre industriel québécois du STIQ (Sous-traitance industrielle Québec), l’impartition de certaines tâches ou activités par un tiers est une mesure prise par 44% des entreprises sondées.
«Les PME font de plus en plus d’impartition à cause de la pénurie de main-d’œuvre, parce qu’on ne trouve personne ou qu’on n’arrive pas à développer une ressource interne», juge Jorge H. Mejia, professeur associé à HEC Montréal et directeur scientifique de l’Observatoire de l’Institut d’entrepreneuriat Banque Nationale HEC Montréal.
Cette réalité est particulièrement forte dans des domaines comme les technologies de l’information ou en comptabilité, où des PME délèguent à un tiers ce travail.
La difficulté à recruter et à retenir des employés fait aussi en sorte que le secteur des ressources humaines prend de plus en plus d’importance dans les PME qui doivent donc s’y intéresser davantage. Cela favorise ainsi l’impartition dans ce domaine, notamment par la location de responsable de ressources humaines à mi-temps à des firmes spécialisées.
Jorge H. Mejia, professeur associé à HEC Montréal et directeur scientifique de l’Observatoire de l’Institut d’entrepreneuriat Banque Nationale HEC Montréal (Photo: courtoisie)
La numérisation de l’économie et la montée du commerce électronique nécessitent également une expertise de pointe que plusieurs PME ne détiennent pas, d’où la pertinence de faire appel à des collaborateurs externes.
Toutefois, il est souvent difficile de trouver le bon partenaire. Cette connexion se fait normalement par des références, mais davantage devrait être fait, selon Jamal Ben Mansour. «L’écosystème, au Québec, ne facilite pas la recherche d’impartiteurs, mentionne-t-il. J’aimerais qu’on ait une plateforme pour ceux qui proposent de l’impartition et ceux qui en ont besoin.»
Pourquoi impartir?
Externaliser offre l’avantage d’augmenter l’efficience d’une PME qui consacre ainsi ses ressources pour sa mission centrale au lieu de tâches périphériques.
«On le fait aussi parce qu’on n’a pas l’expertise particulière pour chercher un avantage concurrentiel, explique Cécile Bertin, qui est notamment directrice de la gestion et du développement du Pôle entrepreneuriat, repreneuriat et familles en affaires de HEC Montréal. Parfois, c’est également pour baisser les coûts dans des pays où il y a des salaires moins élevés.»
Elle note aussi que l’externalisation permet de respecter des normes ou des processus spécifiques qu’on ne possède pas, mais qu’un fournisseur maîtrise.
La flexibilité dans la gestion des activités demeure peut-être l’avantage majeur de l’impartition, selon Jamal Ben Mansour. «On peut réduire ou augmenter la demande en fonction des besoins, estime-t-il. On n’a pas à composer avec des problèmes de roulement et je paye seulement pour le service que je reçois. On évite ainsi les coûts fixes liés aux salaires et aux avantages sociaux pour des ressources dont on n’a pas besoin à temps plein.»
Impartir signifie aussi se doter d’une expertise absente dans la PME ou qui produit un résultat supérieur à ce qui est fourni par l’équipe en place. Cette pratique permet également de répondre à une surcharge temporaire de travail.
«Je pense que de plus en plus d’entreprises font une réflexion en se disant qu’on ne peut pas exceller dans tout. Elles ont donc tendance à faire le tri», remarque Pascal Leduc, président de Leduc Stratégie et conseil en gestion commerciale.
Les désavantages de l’impartition
Le principal écueil de l’impartition réside dans la perte d’un savoir-faire existant pour les entreprises qui transfèrent des tâches qu’elles faisaient déjà.
«La PME peut devenir dépendante de l’impartiteur, constate le professeur Jorge H. Mejia. De plus, il faut éviter de trop faire confiance au fournisseur. Lorsqu’on développe une relation à long terme, on arrête parfois de poser des questions. Je conseille toujours de garder un esprit critique.»
Il existe aussi un danger de démobilisation de ses employés qui peuvent voir un mandat confié à un tiers comme un désaveu ou une étape préalable à la perte de leur propre gagne-pain.
«On ne doit pas l’utiliser pour créer une compétition avec un service interne, prévient Pascal Leduc. Cela va pourrir l’ambiance de travail. Il faut que cela soit une expertise complémentaire avec ce qui se fait à l’interne.»
De plus, l’impartition requiert un investissement en temps et en ressources avec les collaborateurs externes.
«La gestion de l’externalisation nécessite du temps et de l’énergie pour s’assurer notamment du respect des contrats et de la qualité finale, souligne Cécile Bertin. Il est aussi essentiel de sécuriser ses données et sa propriété intellectuelle.»
Par conséquent, le professeur Jamal Ben Mansour juge qu’une PME doit se poser deux questions vitales avant de se lancer dans l’externalisation: «Est-ce que cette activité est stratégique ? Si c’est trop stratégique, c’est trop dangereux. Deuxièmement, est-ce que j’ai la capacité de faire cette tâche? Si la réponse est deux fois non, alors l’impartition a du sens, car cela signifie en quelque sorte d’externaliser le risque.»
Il n’existe malheureusement pas de formule pour savoir si l’impartition en vaut la peine ou pas. «L’important, c’est d’analyser comment maintenir ou accroître son avantage concurrentiel, mais cela dépend du contexte externe et interne de l’entreprise, déclare Cécile Bertin. Ce n’est pas parce que la décision est valable maintenant qu’elle le sera dans un an. On doit réévaluer si cela vaut toujours le coût. Impartir ne se prend pas à la légère.»
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Les cinq étapes majeures vers l’impartition selon le professeur Jamal Ben Mansour, de l’UQTR
1 — Bien analyser sa chaîne de valeur
2 — Évaluer les capacités de son organisation
3 — Déterminer les activités à impartir
4 — Développer des habiletés internes pour gérer l’impartition
5 — Choisir l’impartiteur
Les trois grandes difficultés rencontrées par les PME québécoises qui impartissent la gestion des RH
1 — Difficultés à gérer la relation d’impartition
2 — La qualité des services offerts
3 — Méconnaissance de l’impartiteur concernant le fonctionnement et la culture de l’entreprise cliente
Données tirées d’un sondage quantitatif mené auprès de 200 PME québécoises par l’Observatoire sur l’employabilité durable et la reconversion professionnelle de l’UQTR, dont les résultats seront dévoilés en 2024.