La demande pour des espaces de bureaux augmente à Montréal. Cependant, dans les secteurs de McGill College et du Quartier international, il plafonne à 8,2 % et à 4 % dans la Cité du Multimédia, selon Devencore. (Photo: Andrew Welch / Unsplash)
IMMOBILIER COMMERCIAL. Les frontières se brouillent dans le développement immobilier. Pendant que les centres commerciaux et les hôtels se mettent au résidentiel, les promoteurs inventent des quartiers entiers. Avec un défi pour les villes : assurer un développement urbain cohérent et équitable.
Le boom immobilier ne se dément pas à Montréal. En 2018, les mises en chantier d’appartements locatifs y ont augmenté de 8 %, pour atteindre leur plus haut niveau en 30 ans, selon la Société canadienne d’hypothèque et de logement (SCHL). Cela a atténué l’impact d’une baisse de 6 % de la construction de copropriétés. La SCHL explique cette poussée par le taux d’inoccupation relativement faible, la demande plus forte provenant des jeunes ménages, ainsi que le vieillissement de la population (qui suscite la construction de résidences pour personnes âgées).
Parallèlement, la demande pour des espaces de bureaux augmente. Le taux de disponibilité des bureaux à Montréal s’élevait à 11,8 % l’an dernier. Cependant, dans les secteurs de McGill College et du Quartier international, il plafonne à 8,2 % et à 4 % dans la Cité du Multimédia, rappelle Devencore. De plus, les grands blocs d’espaces contigus au centre-ville se font rares.
En conséquence, les promoteurs immobiliers cherchent à répondre à ces deux demandes en construisant des projets combinant des usages résidentiels et commerciaux. «Cela permet aux promoteurs de tirer profit de la demande en espaces résidentiels, locatifs et de bureaux, tout en diminuant leurs risques, puisqu’ils sont moins dépendants d’un secteur en particulier», explique Jean Laurin, président et chef de la direction de Devencore.
En 2018, certains des plus gros chantiers de 20 millions de dollars du secteur institutionnel et commercial répertoriés dans le Grand Montréal par la Commission de la construction du Québec étaient à usage mixte. C’est le cas du controversé projet Royalmount (1,7 M $), de Carbonleo, ainsi que des projets Solar Uniquartier, à Brossard (1,3 M $), et le Square Children’s (500 M $), de Devimco.
Une tendance lourde
Devimco en a d’ailleurs fait une spécialité. «Pour nous, cela fait des projets mieux équilibrés financièrement, explique Marco Fontaine, vice-président, Développement immobilier, chez Devimco. Dans le centre-ville de Montréal, le prix des terrains est très élevé et il devient difficile de rentabiliser un projet avec seulement du résidentiel.»
Il ajoute que les consommateurs les trouvent plus attrayants, car les condos se retrouvent dans un quartier bien développé et non dans un environnement dortoir. D’autant qu’ils bénéficient de nombreux services. Au projet Square Children’s, les résidents des deux tours à condos et des deux tours locatives auront chacun leurs espaces communs privés, mais en partageront d’autres. Devimco y offrira l’un des plus grands centres d’entraînement offerts dans une tour d’habitation à Montréal. Les résidents pourront aussi bénéficier du futur centre culturel et communautaire Peter McGill, ouvert à tous.
«Les commerces y trouvent aussi leur compte, puisqu’ils s’installent dans des immeubles occupés par des centaines de personnes, dans des quartiers en plein essor», ajoute M. Fontaine.
Le prix et la rareté croissante des terrains, autant que les goûts des consommateurs, lui laissent croire que les projets mixtes seront une tendance lourde au cours des prochaines années.
Assurer la cohérence
Ces projets, généralement bien desservis par les transports en commun et les commerces de proximité, constituent l’une des clés de la transition écologique en réduisant le recours à la voiture et en favorisant la mobilité active. Ils soulèvent toutefois d’autres enjeux.
«Nous venons de connaître un trimestre record pour les mises en chantier à Montréal et nous en sommes bien heureux, mais il faut s’assurer que ces quartiers qui se développent rapidement restent accessibles, inclusifs et mixtes socialement», soutient Robert Beaudry, responsable du développement économique et commercial, de l’habitation et du design à la Ville de Montréal. Ce dernier souligne le besoin de cohérence dans le développement urbain.
Or, c’est justement le problème que vit Montréal, croit pour sa part Michel Max Raynaud, directeur de l’Observatoire Ivanhoé Cambridge du développement urbain et immobilier. «Il manque une politique d’urbanisation à l’échelle de l’Île, voire du Grand Montréal», déplore-t-il.
Cela amène les arrondissements à développer par petits bouts, sans cohérence. Il donne l’exemple du mégaprojet Royalmount, qui prévoit la construction d’un genre de Quartier Dix30 à l’angle des autoroutes 15 et 40. «C’est très caractéristique, souligne-t-il. Mont- Royal approuve ce projet parce qu’il fait son affaire, même s’il perturbe deux arrondissements et cause un casse-tête de circulation.» Il ajoute l’exemple de Griffintown, où l’on veut attirer de jeunes familles, mais où l’on a omis de prévoir un terrain pour construire une école.
Ce type d’incohérence entrave la volonté de la Ville de préserver la mixité sociale et de garder les familles en ville. «C’est à la Ville de dessiner un quartier, pas aux promoteurs», conclut-il.