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Quelle crise immobilière?

Claudine Hébert|Édition de la mi‑mai 2021

Quelle crise immobilière?

Le marché de l'immobilier commercial tient le coup au Québec, même à Montréal après la désertion du centre-ville en raison de la pandémie. (Photo: Michael Descharles pour Unsplash)

IMMOBILIER COMMERCIAL. Après plus d’un an de télétravail et de restrictions sanitaires, le marché de l’immobilier commercial tient le coup au Québec. Si certains s’en tirent moins bien, la plupart des propriétaires et des gestionnaires d’immeubles soutiennent avoir pu maintenir la tête hors de l’eau. Et ces derniers sont convaincus d’un retour à la «normale» d’ici l’automne.

Centre-ville déserté, taux de sous-location record depuis 20 ans, augmentation de locaux avec vitrines, les manchettes pessimistes sur le marché immobilier commercial fusent depuis un an. Pourtant, cette industrie ne se porte pas si mal que ça, soutiennent plusieurs de ses acteurs détenant des actifs à Montréal, à Québec et ailleurs en province.

«On voit défiler plusieurs gros titres qui donnent des frissons. Or, les principaux bailleurs commerciaux ne sont pas si touchés que ça par la pandémie», assure Me Stephen Lloyd, associé du cabinet Dentons, à Montréal.

Il y a peut-être une crise, concède cet expert en droit des sociétés. «Mais il faut prendre le temps d’analyser la situation en matière d’impacts réels, rappelle-t-il. Actuellement, il y a beaucoup de blabla qui se dit et s’écrit sur le sujet. Qu’à cela ne tienne, la grande majorité des locataires continue de payer leur loyer et de signer des baux à moyen et à long terme.»

 

Payer le prix fort

«La preuve que le marché immobilier commercial n’est pas si affecté: il n’y a eu aucune vente de feu en 2020. Et ne vous attendez pas à en voir en 2021», renchérit George Gantcheff, président de Cromwell Management, qui gère plus de 3,5 millions de pieds carrés d’espaces commerciaux et industriels au Québec et en Ontario, près de 40 % du portefeuille de l’entreprise. Ce grand propriétaire demeure convaincu que les acheteurs intéressés par des immeubles commerciaux vont même devoir «payer le prix fort» afin de réaliser de nouvelles acquisitions au cours des prochains mois.

Selon le premier rapport trimestriel de 2021 du groupe-conseil immobilier CBRE, très peu de locaux de grande superficie sont offerts dans les «marchés carrefours» du pays, y compris ceux du Québec. «Ce qui indique que les occupants d’envergure ne boudent pas les noyaux urbains, peut-on lire dans le document. Au contraire, CBRE observe une présence accrue de grands occupants qui désirent s’établir ou continuer d’évoluer au centre-ville, notamment certaines entreprises technologiques.»

Ce que confirme Richard Hylands, président de la Corporation immobilière Kevric. «Près de 90 % des 175 000 pieds carrés de notre immeuble 1100 Atwater, livré en pleine pandémie, ont déjà trouvé preneur. Ces nouveaux locataires sont essentiellement des entreprises technologiques», indique ce propriétaire immobilier qui gère 3,4 millions de pieds carrés répartis dans une quinzaine immeubles situés à Montréal et à Toronto. Il tient à préciser que tous ses locataires, sans exception, ont payé leur loyer. Et aucun, insiste-t-il, n’a évoqué le souhait de se départir d’une partie de son espace, bien que leur personnel soit majoritairement en télétravail.

Propriétaire de près de neuf millions de pieds carrés, notamment dans la grande région de Montréal, le Groupe Quint a même vu certains de ses immeubles accroître leur taux d’occupation de 10% à 15 % pendant la pandémie. C’est le cas du 2550, boulevard Daniel-Johnson, à Laval, et du 7405, route Transcanadienne, dans l’arrondissement de Saint-Laurent. «Nos immeubles en périphérie du centre-ville montréalais comptent de deux à six étages. Leurs espaces sont aisément accessibles par des escaliers et disposent de grands stationnements», souligne Ian Quint, président de l’entreprise.

 

Garder l’oeil ouvert

Glenn Castanheira, nommé directeur général de Montréal centre-ville en janvier dernier, croit lui aussi que la situation du marché immobilier commercial n’est pas aussi alarmante que ce qui circule dans les médias. «Sauf que ce n’est pas une raison de se mettre la tête dans le sable», avertit-il.

«Il est difficile d’avoir un portrait précis de la situation, parce qu’il manque trop de données. Il est vrai que certains bureaux du centre-ville montréalais se sont vidés. Ce sont toutefois en majorité des immeubles de catégorie C [plus âgés, moins bien situés et aux technologies obsolètes, NDLR], et ce type de bâtiment ne représente que 5 % du parc immobilier du centre-ville de Montréal.»

«En fait, maintient cet expert de l’immobilier commercial, la pandémie a seulement accéléré une transformation du marché qui aurait sans doute autrement nécessité une quinzaine d’années. Prenez l’exemple des restaurants. En moins d’un an, une bonne partie d’entre eux, qui n’avaient toujours aucun site web et service de livraison, ont corrigé ces lacunes.» Déjà, avant la pandémie, des études montraient que de 10% à 20% des employés souhaitaient faire du télétravail, poursuit-il.

Glenn Castanheira demeure persuadé que l’activité professionnelle urbaine de Montréal et des autres villes de la province va reprendre peu à peu grâce à la vaccination. «Mais attention, avise-t-il, ce sont les organisations qui proposent les meilleurs environnements qui accueilleront rapidement leurs employés. Et c’est au coeur des centres-villes où gravitent une variété de professionnels — des créateurs, des architectes, des experts en intelligence artificielle et autres technologies, des universitaires, des avocats, des financiers… — que se retrouvent ces environnements.»