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Le RAP créatif

Daniel Germain|Publié le 03 avril 2019

Le RAP créatif

(Photo: 123RF)

IMMOBILIER RÉSIDENTIEL. Le régime d’accès à la propriété offre des possibilités qui vont bien au-delà de la simple mise de fonds pour l’achat d’une maison.

Charles Hunter-Villeneuve a mis sa jeune carrière de planificateur financier en veilleuse pour se lancer dans des études de maîtrise en fiscalité à l’Université de Sherbrooke. Son mémoire, qu’il prépare sous la direction du respecté professeur Luc Godbout, porte sur un thème surprenant : le régime d’accès à la propriété (RAP).

Le RAP, qui permet aux premiers acheteurs de retirer sans pénalité une somme de leur REER pour faire une mise de fonds à l’acquisition d’une maison, représente-t-il un sujet assez consistant pour alimenter des travaux universitaires en fiscalité ?

Il faut croire que oui. « Au départ, je voulais me pencher sur des réaménagements qui pourraient améliorer ce programme, mais j’avais peur que mon mémoire se retrouve sur une tablette. En me concentrant sur les nombreuses possibilités qu’offre le RAP actuel, ma maîtrise a plus de chances de faire parler et d’être utile », dit l’universitaire de 30 ans, connu dans le petit milieu de la planification financière pour avoir publié une série de bandes dessinées de vulgarisation, Lire et Tirelire, dont le troisième tome, qui traite de l’impôt, paraîtra bientôt.

Charles Hunter-Villeneuve n’est pas le premier à creuser la question. Ses recherches s’inscrivent dans la même veine que certains travaux d’Yves Chartrand, fiscaliste renommé qui a démontré les multiples possibilités du RAP. Le fondateur du Centre québécois de formation en fiscalité (CQFF) a produit un petit ouvrage intitulé « Le régime d’accession à la propriété : des stratégies oubliées et des erreurs coûteuses ». Destiné aux clients de ses formations, le document de référence d’une vingtaine de pages décortique les rouages de ce programme implanté en 1992 par le gouvernement fédéral afin de stimuler le marché immobilier, alors en plein marasme.

On retient à sa lecture que le RAP est sous-exploité et incompris. Quiconque se qualifie pour ce régime, qu’il en ait ou non besoin pour acheter une habitation, devrait en profiter au maximum, pensent Charles Hunter-Villeneuve et Yves Chartrand.

Les critères d’admissibilité du RAP ouvrent en effet la porte à des stratégies financières astucieuses inconnues autant des acheteurs de maison que de la majorité des conseillers hypothécaires. « Des erreurs de perception persistent à l’égard du RAP », affirme Yves Chartrand. La principale est de croire que les retraits du REER effectués dans le cadre du régime d’accession à la propriété doivent obligatoirement servir à financer l’achat d’une maison. Vu le nom et le positionnement du programme, cela n’a rien étonnant.

En réalité, l’argent du RAP peut être utilisé pour n’importe quoi : rembourser des dettes, se constituer un fonds d’urgence, contribuer au REEE, remplir le CELI ou même cotiser au REER. Il offre surtout l’occasion de déclencher d’importantes déductions fiscales à côté desquelles passent de nombreux acheteurs.

Pour mieux comprendre, il faut d’abord rappeler le fonctionnement du programme. Le régime d’accès à la propriété permet depuis peu à un « premier acheteur » de retirer 35 000 $ de ses REER (c’était 25 000$ encore récemment), sans payer d’impôt ni encourir de pénalité, au moment d’acquérir une maison qu’il a l’intention d’habiter. Un couple qui ferait son entrée sur le marché immobilier a donc la capacité de puiser 70 000 $ de ses REER.

Il y a une condition : il faut se rembourser. Deux ans après avoir eu recours au RAP, les nouveaux propriétaires ont 15 ans pour le faire, au rythme de 2333 $ par année dans le cas de ceux qui auraient retiré le maximum permis.

Cette restitution s’effectue de manière automatique. Pour une cotisation REER annuelle subséquente de 5 000 $, par exemple, 2333 $ seront affectés au remboursement du RAP; seule la différence (2 667 $) sera considérée comme une nouvelle cotisation REER donnant droit à une déduction fiscale. Dans le cas où aucune contribution REER ne serait versée une année, 2333 $ s’ajouteraient sans prévenir au revenu imposable de l’utilisateur du RAP.

Propriétaire ou pas?

Qui peut être considéré comme premier acheteur ? Ceux qui n’ont jamais possédé leur maison, mais ce n’est pas une condition sine qua non. Une personne qui n’a pas été propriétaire de son lieu de résidence au cours des quatre dernières années peut aussi se qualifier. C’est donc dire qu’on peut profiter du RAP plus d’une fois dans sa vie. Avant de « raper » une seconde fois, il faut en revanche avoir remboursé la totalité de ce qu’on a puisé de son REER dans le cadre d’un premier RAP.

Dans certaines circonstances, on peut n’avoir jamais été propriétaire et se voir fermer les portes du régime. C’est notamment le cas lorsqu’on habite avec son conjoint (fiscal) et que celui-ci est propriétaire de la résidence.

Ce qui rend le programme intéressant, c’est qu’on peut disposer de l’argent retiré du REER comme on veut, ce qui laisse place à une certaine créativité. « Le fisc ne fait aucun suivi des sommes retirées du REER dans le cadre du RAP. Tout ce qu’il faut, c’est se qualifier comme premier acheteur et fournir la preuve qu’on acquiert une habitation », explique Yves Chartrand.

La plupart des premiers acheteurs utiliseront l’argent comme mise de fonds. Celle-ci s’établit au minimum à 5 % de la valeur de la transaction. Pour éviter de payer la prime d’assurance hypothécaire de la SHCL, cependant, l’acheteur doit verser 20 % de la valeur de la maison. Le taux de la prime varie entre 2,8 % et 4 % de l’hypothèque, en fonction de l’importance de la mise de fonds qu’on aura avancé, quelque part entre 20 % et 5 %.

La prime à payer lors de l’achat d’une habitation de 200 000 $ dans laquelle on injecte une mise de fonds de 5 % dépasse facilement les 7 000 $, une somme qui s’ajoute à l’hypothèque et sur laquelle sera calculé de l’intérêt. L’explosion du prix de l’immobilier au cours des dernières années a fait en sorte qu’il est de plus en plus difficile d’accumuler une mise de fonds de 20 % pour l’achat d’une première maison.

Réduire la prime d’assurance

Pour Charles Hunter-Villeneuve, la stratégie la plus sûre avec le RAP consiste à éviter ou à réduire la prime d’assurance. Il n’est pas garanti qu’elle s’avère la plus avantageuse, mais c’est la seule dont le résultat est prévisible, soit une économie de 2,8 % à 4 % de la valeur de l’hypothèque. « Pour des gens dont le profil d’investisseur n’est pas très agressif, c’est la meilleure chose à faire », croit l’étudiant de maîtrise.

Il y en a toutefois pour qui c’est plus facile de réunir la mise de fonds nécessaire sans dépendre entièrement du RAP, qu’on pense aux jeunes qui achètent en région où l’immobilier est moins cher ou, encore, qui reçoivent le soutien financier de leurs parents. Il y a aussi ces «faux premiers acheteurs », qui reviennent sur le marché les poches pleines après s’en être écartés quelques années, les expatriés qui rentrent au bercail ou simplement ceux qui ont patiemment épargné dans le but d’acheter une maison.

« Comme ils ont déjà l’argent pour leur mise de fonds, ces personnes ne pensent pas à recourir au RAP », remarque Simon Forest, représentant en épargne collective et conseiller en sécurité financière chez IG Gestion de patrimoine, anciennement le Groupe Investors. Selon lui, ces acheteurs ne devraient pas pour autant tourner le dos au régime d’accession à la propriété.

Le conseiller relate cette anecdote récente, un scénario classique, impliquant un de ses clients. Celui-ci répondait à tous les critères pour utiliser le RAP. Comme il n’en dépendait pas pour acheter son condo, le RAP n’a même pas effleuré son esprit. En outre, il disposait de droits de contribution REER inutilisés.

« On lui a fait emprunter 25 000 $, qu’il a versés au REER. Quatre-vingt-dix jours après, on a retiré l’argent du REER avec l’aide du RAP; la somme a servi à rembourser le prêt. L’opération a coûté 300 $ en intérêts. Elle a permis à notre acheteur de dégager des liquidités de 9 000 $ grâce au remboursement d’impôt généré par la cotisation REER de 25 000 $ », explique-t-il.

Il faut voir cette opération comme si celui qui l’exécutait se prévalait d’un seul coup des déductions fiscales des 15 prochaines années sur des contributions REER annuelles de 1667 $. Cet argent peut être mis au travail immédiatement dans le CELI, où il pourra fructifier à l’abri de l’impôt. Il peut servir à rattraper des cotisations REEE, qui donnent droit à des subventions de 30 %, ou encore à rembourser des dettes aux taux d’intérêt élevés, comme celle d’une carte de crédit.

Faire mieux

Dans l’exemple raconté par Simon Forest, les conditions sont encore loin d’être optimales. Il y a moyen de faire mieux. Imaginons que son client paie plus d’impôt. Il n’a pas besoin d’avoir un salaire plus élevé, il lui suffit d’avoir des enfants. En effet, les parents profitent de programmes de soutien aux familles qui s’érodent rapidement à mesure que le revenu familial augmente. Ces pertes peuvent être assimilées à de l’impôt, car elles surviennent avec une hausse du revenu. C’est d’ailleurs ce que traduit le taux effectif marginal d’imposition (TEMI) qui, pour chaque dollar supplémentaire gagné, tient compte, en plus de l’impôt sur le revenu, des pertes du côté des programmes dits « sociofiscaux ».

Si le client de Simon Forest avait été le seul pourvoyeur d’un ménage de deux adultes et un enfant de moins de 16 ans, le gain aurait été nettement plus important, de 50 % au moins de sa contribution REER, soit 12 500 $, du seul fait que les parents sont touchés par des TEMI élevés. Supposons aussi que sur les 25 000 $ de contributions REER, 5000 $ auraient été dirigés vers le Fonds de solidarité de la FTQ, qui donne droit à des crédits d’impôt de 30 % (5 000 x 30 %=1 500 $), eh bien le client se serait dégagé des liquidités de 14 000 $, moins 300 $ d’intérêt, grâce à cette simple manoeuvre.

Le « RAP à RAP »

Il n’y a qu’une seule contrainte dans cette opération. Il faut que les fonds restent au moins 90 jours dans le REER avant de pouvoir être retirés par l’intermédiaire du RAP. À partir de là, on peut imaginer de nombreux scénarios.

Charle Hunter-Villeneuve expose une autre astuce, à la fois simple et ingénieuse, appelée « RAP à RAP ». Imaginons un couple marié, dont un des conjoints détient au moins 35 000 $ dans son REER. L’autre dispose de droits de cotisation REER suffisants pour accueillir 35 000 $. « Le premier pourra « rapper » 35 000 $, prêter l’argent à son conjoint qui utilisera la somme pour contribuer à son REER, et les retirer 90 jours plus tard grâce au RAP », explique l’auteur de Lire et Tirelire. Ces 35 000 $ peuvent être utilisés pour la mise de fonds en vue d’acquérir la maison ou pour rembourser le premier conjoint qui, avec la somme, peut à son tour effectuer une nouvelle contribution REER pleinement déductible d’impôt. En « rappant » deux fois les mêmes 35 000 $, le couple peut bénéficier deux fois d’un remboursement d’impôt substantiel.

Cette opération est réalisable par une seule personne. Dans son document de formation, Yves Chartrand explique la marche à suivre. Un acheteur qualifié peut dans un premier temps retirer 12 500 $ des REER par l’intermédiaire du RAP, puis utiliser cette somme pour faire une nouvelle contribution REER, puis, trois mois plus tard, « rapper » une seconde fois.

Ce n’est pas obligatoire de faire un RAP tout d’un coup. À partir du moment où l’on remplit les conditions, et aussi longtemps que la transaction pour l’achat de la résidence n’est pas notariée [il a jusqu’au premier octobre de l’année suivant la signature du contrat d’achat], un acheteur peut retirer de l’argent de son REER autant de fois qu’il le désire à condition de ne pas dépasser la limite de 35 000 $ et d’effectuer les retraits dans la même année d’imposition.

Pour qu’une opération RAP créative vaille la peine, il suffit d’avoir des droits de cotisation inutilisés dans un ou plusieurs comptes qui offrent un avantage fiscal : le REER, le CELI et le REEE. Encore, une dette le moindrement onéreuse pourrait justifier à elle seule l’utilisation du RAP.

Une opération RAP rentable peut être aussi simple que celle-ci : retirer 25 000 $ du REER déjà garni pour transférer la somme vers un CELI. À l’intérieur du CELI, l’argent fructifiera à l’abri de l’impôt comme dans le REER, à la différence qu’à la sortie, les sommes retirées du premier sont exemptées d’impôt, ce qui n’est pas le cas de celles extraites du REER. Le fiscaliste Yves Chartrand souligne qu’un investisseur qui parviendrait à obtenir un rendement annuel de 6,75 % sur son compte libre d’impôt pourrait rembourser son REER uniquement avec les gains du CELI tout en créant chaque année 2 333 $ d’espace supplémentaire dans ce compte ; un retrait de ce dernier crée un droit de cotisation équivalent l’année suivante.

À l’inverse, un aspirant propriétaire qui aurait accumulé sa mise de fonds à l’intérieur de son CELI aurait intérêt à utiliser cet argent pour contribuer au REER et à recourir ensuite au RAP. La différence ? Cette méthode permet de déclencher une déduction fiscale sur une cotisation REER de 35 000 $. Le remboursement d’impôt pourra servir ensuite à regarnir en partie le CELI.

La même logique s’applique pour celui qui achèterait une maison avec le soutien financier d’un proche ou grâce à un héritage : contribuer au REER pour obtenir la déduction fiscale, puis retirer l’argent du REER dans le cadre du RAP.

La rentabilité de chacune des astuces dépend de quelques facteurs. « Il faut tenir compte des rendements du REER et du CELI, de l’intérêt sur la dette, du taux d’imposition et du temps », dit Charle Hunter-Villeneuve. Plus l’écart est important entre les coûts de la dette et les rendements des placements en faveur de ces derniers, plus il faut privilégier le CELI ou le REER plutôt que le remboursement de l’hypothèque. Plus le TEMI est élevé au moment d’acheter, plus il est avantageux de profiter d’une importante déduction fiscale.

Dans quelle mesure ? Quelle est la stratégie optimale ? C’est là le travail de sa maîtrise. « Ça dépendra de la situation de chacun, ce n’est pas blanc ou noir », dit le passionné de finances personnelles. Les premiers acheteurs devraient toujours se livrer à quelques calculs, mais il y a de fortes chances qu’il vaille la peine de recourir au RAP, qu’il soit ou non indispensable à l’achat de la maison.

Utiliser le RAP au maximum

* Une erreur commune consiste à utiliser partiellement le RAP pour couvrir la mise de fonds nécessaire. Mieux vaut l’utiliser au maximum et appliquer partiellement une stratégie créative.
* Il est inutile de se presser à rembourser le RAP. En fait, mieux vaut s’en tenir au minimum (1/15e) pour qu’une part importante de nos contributions REER des années subséquentes soit déductible. On pourra accélérer quand le CELI, le REER le REEE seront remplis, et les dettes, payées.
* Une contribution REER de 35 000 $ réalisée dans le but de recourir au RAP, que ce soit par emprunt de 90 jours ou non, donne droit à une déduction fiscale équivalente. Il peut être plus avantageux de répartir cette déduction sur plus d’une année ou de la reporter en entier sur une année ultérieure. Une déduction fiscale obtenue à la suite d’une cotisation REER peut être utilisée indéfiniment dans le futur.
* Si, pour une raison ou une autre, on a peu ou pas de revenu au cours d’une année, il est préférable d’escamoter une contribution REER et, par conséquent, de ne pas rembourser le 15e de ce qu’on doit rembourser à son REER. On sera alors imposé sur la somme due cette année- là, au maximum 2 333 $, ce qui pourrait ne représenter rien du tout s’il n’y a pas d’autres revenus.
* Lorsqu’on recourt au RAP à partir d’un REER d’un fonds de travailleurs, le remboursement doit se faire dans le même fonds de travailleurs.
* La rentabilité de l’utilisation créative du RAP peut dépendre du taux effectif marginal d’imposition (TEMI) au moment de la contribution REER et au moment où l’argent sera retiré du compte, à la retraite. Il est possible de connaître son TEMI en recherchant sur Internet les « courbes de Laferrière ». Elles sont mises à jour chaque année sur le site Internet du Centre québécois de formation en fiscalité.

Note: ce texe a été publié avant les modifications apportées au régime lors du dernier budget fédéral du 19 mars 2019. Les chiffres ont été mise à jour.