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Du graphite «d’icitte» pour alimenter la révolution énergétique

François Normand|Édition de la mi‑mai 2021

Du graphite «d’icitte» pour alimenter la révolution énergétique

«On commence à s’attaquer au monopole de l’Asie en ce qui a trait au graphite sphérique non enrobé à compter de l’été 2021», dit Éric Desaulniers, PDG, Nouveau Monde Graphite. (Photo: Martin Flamand)

INDUSTRIE MINIÈRE. Partout sur la planète, une nouvelle génération de mines plus responsables — qui réduisent leur incidence sur l’environnement tout en maximisant les retombées locales — voit le jour dans différents secteurs. Le Québec n’échappe pas à cette tendance, notamment dans la filière du graphite, avec les projets de Nouveau Monde Graphite (mine électrique, carboneutralité) et de Mason Graphite (valorisation et commercialisation de résidus miniers). 

C’est d’une logique implacable : même si des minières le prétendent, elles ne peuvent pas vraiment faire du développement durable, car elles exploitent des ressources non renouvelables. En revanche, elles peuvent être socialement responsables en réduisant l’incidence de leurs activités sur l’environnement et les collectivités locales, comme on le constate de plus en plus au Québec.

Le producteur d’or Agnico Eagle — qui exploite des mines au Canada (dont la mine Goldex, à Val-d’Or), en Finlande et au Mexique — figure d’ailleurs parmi les leaders de l’industrie au Canada et, du reste, dans le monde. Son approche en responsabilité sociétale des entreprises (RSE) est enseignée dans le cours « Comptabilité responsable » au MBA de l’Université de Sherbrooke.

En juin 2020, l’Association minière du Canada a décerné à Agnico Eagle un prix soulignant son « intendance environnementale » et son « engagement communautaire » à sa mine Pinos Altos, au Mexique.

L’organisme a salué la nouvelle initiative de la société d’améliorer la régénération des sols dans le cadre de son programme de pâturage ultra-haute densité, qui imite l’effet de grands troupeaux d’herbivores piétinant les sols et les plantes — une première mondiale.

Au Québec, d’autres minières se démarquent également. C’est notamment le cas dans la petite filière du graphite, avec les projets de mines à ciel ouvert de Nouveau Monde Graphite (NMG), dans Lanaudière, puis de Mason Graphite, sur la Côte-Nord.

Le projet NMG est très avancé. En février, Québec a donné le feu vert au début des travaux pour construire à Saint-Michel-des-Saints une mine de graphite à ciel ouvert et un concentrateur, en plus d’amorcer la production commerciale de graphite sphérique enrobé à Bécancour, près de Trois-Rivières.

Par contre, celui de Mason Graphite — dont le conseil d’administration a été renouvelé récemment —, encore en phase préliminaire, est beaucoup moins avancé.

Aussi, plusieurs années pourraient donc s’écouler avant qu’on procède à la première pelletée de terre pour construire sa mine à son gisement du lac Guéret, à 285 kilomètres au nord-ouest de Baie-Comeau.

Le plan A de la minière est de transformer à Baie-Comeau (dans un concentrateur) le minerai extrait un jour du gisement du lac Guéret. L’entreprise possède déjà un site dans cette ville, sur lequel elle entrepose actuellement des équipements miniers qu’elle a déjà achetés pour la future exploitation de sa mine.

 

Électrification, carboneutralité et valorisation des rejets

Ces deux projets ont quelque chose en commun de fondamental. Outre le fait que leur production est essentielle à la transition énergétique (le graphite est utilisé dans la fabrication des batteries aux ions de lithium destinées aux véhicules électriques), les deux entreprises ont développé un modèle opérationnel qui réduira de manière importante leur incidence sur l’environnement.

NMG exploitera une mine 100 % électrique et carboneutre (elle atteindra en partie cet objectif grâce des crédits compensatoires), et ce, au courant de 2021.

Quant à Mason Graphite, elle exploitera à terme une mine qui misera sur l’économie circulaire : elle transforma ses rejets miniers (après le processus de concentration) en hématite à poudrage, en acide sulfurique et en silicates, des produits qui seront ensuite utilisés par d’autres entreprises québécoises.

Thomas Pabst, professeur en génie minier à Polytechnique Montréal, trouve leur modèle opérationnel très intéressant.

« Ces entreprises appartiennent à une nouvelle génération de mines, qui misent de plus en plus sur l’électrification de leurs procédés, la carboneutralité et la valorisation de leurs rejets miniers », dit ce spécialiste qui travaille entre autres sur la gestion intégrée des rejets miniers.

Pour autant, précise-t-il, l’industrie minière du Québec ne fait pas bande à part, car les mines sont de plus en plus socialement responsables dans le monde.

« C’est pas mal la tendance de valoriser les rejets miniers et de limiter les émissions de gaz à effet de serre afin de favoriser l’acceptabilité sociale des projets et de réduire leurs coûts », dit Thomas Pabst.

Beaucoup de travail reste à faire dans certains cas, sans parler du fait que les gouvernements doivent gérer d’anciens sites miniers abandonnés, notamment au Québec, puisqu’ils sont sans responsables connus ou solvables.

Au 30 mars 2020, selon le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles, le Québec comptait entre autres 223 sites d’exploration minière abandonnés et 111 sites restaurés, mais surveillés par le ministère.

 

Réduire la dépendance à l’Asie

Nouveau Monde Graphite (NMG) ne manque pas d’ambition. L’entreprise commencera bientôt à contester graduellement le monopole de l’Asie dans la production mondiale de graphique sphérique et de matériel d’anode pour les batteries aux ions de lithium destinées aux voitures électriques.

« On commence à s’attaquer au monopole de l’Asie en ce qui a trait au graphite sphérique non enrobé à compter de l’été 2021 et, à partir du début de 2022, à la production de matériel d’anode », explique à « Les Affaires » le PDG de NMG, Éric Desaulniers.

Actuellement, dans le monde, le graphite sphérique non enrobé et le matériel d’anode sont fabriqués au Japon, en Corée du Sud et en Chine. Toutefois, un nombre grandissant d’entreprises et de gouvernements en Europe et en Amérique du Nord souhaitent réduire leur dépendance à l’égard de l’Asie, à commencer par la Chine.

« Le graphite a été défini, notamment au Québec, comme un minerai stratégique faisant partie de la chaîne de valeur pour la transition énergétique et l’alimentation des véhicules électriques », rappelle Josée Méthot, PDG de l’Association minière du Québec.

Outre l’effet positif sur l’environnement, le fait d’exploiter une mine 100 % électrique contribue aussi « de manière significative » aux efforts de marketing des produits de Nouveau Monde Graphite. 

« C’est un élément distinct qui nous ouvre des portes tant au chapitre des discussions commerciales que du positionnement au sein des marchés de capitaux, explique Éric Desaulniers. Il peut aussi y avoir un effet stimulant pour tous nos employés de travailler sur un projet qui deviendra le modèle pour toute une industrie. »

C’est sensiblement la même logique sur le plan de la certification de carboneutralité des produits de NMG.

« Elle nous permet de nous positionner avantageusement auprès des clients potentiels, particulièrement les constructeurs automobiles en Europe, où les fabricants doivent assumer de lourdes pénalités pour l’empreinte des véhicules qu’ils vendent, et dans certains cas, elle peut signifier des primes sur les prix de vente », dit l’entrepreneur.

Ce dernier affirme que l’entreprise — cotée à la Bourse de croissance TSX, et qui a fait une demande d’inscription à la Bourse de New York, en mars — peut aussi se financer plus facilement grâce à la carboneutralité.

« Une plus grande accessibilité à des sources de capitaux diverses est permise, car plusieurs investisseurs spécialisés [dans les questions environnementales, sociales et de gouvernance] ESG sont à la recherche d’occasions de déployer des capitaux dans des projets comme NMG, répondant à de hauts standards ESG. »

 

Débouchés commerciaux pour des résidus

Mason Graphite ne manque pas non plus d’ambition. Pour autant, cette société ne se démarque pas parce qu’elle veut valoriser ses rejets miniers. Plusieurs minières se servent par exemple de leurs rejets pour construire des routes sur leur territoire ou des digues pour contenir leurs résidus miniers, souligne Thomas Pabst, de Polytechnique Montréal.

Mason Graphite se démarque plutôt par la valorisation des résidus de première transformation en produits commerciaux, c’est-à-dire de l’hématite, de l’acide sulfurique et des silicates, qui seraient vendus au Québec — elle produira aussi, comme NMG, du graphite sphérique enrobé pour les batteries aux ions de lithium.

L’hématite peut servir d’intrant pour les cimenteries. L’acide sulfurique a plusieurs usages industriels, tandis que les silicates peuvent être utilisés pour fabriquer des géopolymères (excluant des dérivés du pétrole et de la chaîne carbonée).

« On travaille là-dessus depuis plusieurs années. Plusieurs tests ont été faits », dit le chef de l’exploitation, Jean L’Heureux, qui a travaillé plusieurs années chez Imerys Graphite & Carbon Canada, la seule mine active de graphite au Québec.

Mason Graphite planche sur ce projet en collaboration, notamment, avec le Centre de transfert technologique en écologie industrielle (CTTEI) et avec Corem, un centre d’expertise et d’innovations qui offre des services aux sociétés minières, notamment pour réduire leur incidence sur l’environnement.

Jean L’Heureux affirme qu’il y a un intérêt dans le marché pour ce type de produit. « Nous avons eu des discussions avec des entreprises de béton du Québec, qui ont montré un certain intérêt. »

Pour valoriser ces résidus miniers, Mason Graphite devrait construire une usine tout près de son futur concentrateur.

La société n’est toutefois pas en mesure de chiffrer pour l’instant cet investissement, qui s’ajouterait aux autres coûts du projet global, qui devrait être en activité avant 2030, estime Jean L’Heureux.

Le projet global s’élève à 258 millions de dollars — dont 40 M$ ont déjà été dépensés (ingénierie, équipements, terrains, etc.). Par contre, cette estimation datant de 2018 doit être mise à jour pour tenir compte de l’inflation et de l’effet de la COVID-19.

 

*** 

La filière du graphite

Plusieurs gisements de graphite ont été recensés au Québec, selon le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles.

Les principaux sont le gisement du lac des îles (situé à 20 kilomètres au sud de Mont-Laurier, dans les Laurentides) et le gisement du lac Knife (situé à 27 kilomètres au sud-ouest de Fermont, sur la Côte-Nord).

Selon le ministère, le secteur au sud-ouest du réservoir Manicouagan (sur la Côte-Nord) offre également un « énorme potentiel » pour les minéralisations de graphite, entre autres dans les environs du gîte de graphite du lac Guéret, découvert en 2001.

Même si elle a du potentiel, la filière du graphite au Québec est assez limitée à l’heure actuelle.

La seule mine active dans la province est celle d’Imerys Graphite & Carbon Canada, qui est située au lac des îles.

Cette filiale canadienne d’un groupe suisse exploite aussi une usine de transformation à Terrebonne, sur la Rive-Nord, dans la région de Montréal.

Imerys Graphite & Carbon Canada n’a pas répondu à notre demande d’entrevue.

Selon l’Institut de la statistique du Québec (ISQ), la minière produit annuellement environ 24 000 tonnes de graphite en paillettes ultrafin à grossier à son usine de concentrés, à Terrebonne.

 

Plusieurs applications pour le graphite

Pour l’essentiel, le graphite est un carbone naturel cristallisé, de couleur gris-noir, tendre et friable. C’est aussi un bon conducteur d’électricité, ce qui explique que la demande soit entre autres si forte dans la fabrication de batteries aux ions de lithium pour les voitures électriques. Cependant, le graphite a bien d’autres applications souvent méconnues. Par exemple, la mine des fameux « crayons de plomb » — que tout le monde au presque a utilisé au moins une fois dans sa vie — n’est pas fabriquée avec du plomb, mais plutôt avec du graphite. Le graphite sert aussi à fabriquer, par exemple, des plaques thermiques que des entreprises utilisent dans les processus industriels nécessitant de très hautes températures, sans parler des composants que les Apple et Samsung de ce monde insèrent dans les téléphones intelligents.

Bref, les applications sont multiples et en croissance.

 

Le marché mondial du graphite connaîtra une forte croissance

En 2019, le marché mondial du graphite était évalué à 19,1 milliards de dollars américains en 2019 (24,1 G$ CA), selon la firme indienne Prescient & Strategic Intelligence. D’ici 2030, ce marché pourrait connaître une croissance moyenne de 7,4 % par année pour atteindre 36,9 G$ US à la fin de la décennie. Benchmark Mineral Intelligence, une firme établie à Londres, anticipe aussi une forte croissance de la demande de graphite jusqu’en 2040 — son analyse dans le temps s’arrête à cette année. En 2019, la production mondiale de graphite naturel a atteint 1,1 million de tonnes, selon le United States Geological Survey (USGS). La Chine était de loin le plus grand pays producteur, avec une production de 700 000 tonnes, soit 64 % du graphite produit dans le monde. Le Canada se classait au 5e rang (40 000 tonnes) derrière le Mozambique (100 000 tonnes), le Brésil (96 000 tonnes) et Madagascar (47 000 tonnes).

 

La planification stratégique de Nouveau Monde graphite s’appuie sur trois grandes phases

  • La première phase (2017-2022) met l’accent sur la réduction des risques. Cette phase comprend la mise en place d’une usine de démonstration et la construction de la mine 100 % électrique.
  • La deuxième phase (2023-2025) en est une d’exécution. Cette phase prévoit une production annuelle de 45 000 tonnes de matériel d’anode et de paillettes jumbo purifiées, sans parler de la construction d’une usine à l’étranger, probablement en Europe — NMG a d’ailleurs récemment ouvert un bureau à Londres.
  • La troisième phase (2025 et après) misera avant tout sur la croissance. Cette étape prévoit augmenter la fabrication de matériel d’anode à Bécancour (la deuxième phase), de même que la mise en service d’une usine de matériel d’anode à l’étranger.