Adapter sa consommation pour réduire la pression sur le réseau
Katia Tobar|Édition de la mi‑septembre 2022Le président de l’Association québécoise des consommateurs industriels d’électricité (AQCIE), Jocelyn B. Allard (Photo: courtoisie)
EFFICACITÉ ÉNERGÉTIQUE. Le Québec pourrait-il devenir un pionnier dans le secteur industriel en produisant de l’aluminium vert ou de l’acier vert grâce à son électricité propre ? C’est en tout cas la possibilité que mentionnait le ministre de l’Économie et de l’Innovation, Pierre Fitzgibbon, lors de la 28e Conférence de Montréal sur la transition verte, en juillet dernier.
« On doit électrifier tout ce qu’on peut ici au Québec », affirmait-il alors, rappelant que l’hydroélectricité québécoise sera au cœur de la transition énergétique pour atteindre la carboneutralité en 2050.
Cependant, si l’électrification des industries permet de réduire les émissions de gaz à effet de serre du secteur industriel, deuxième émetteur du Québec en importance, elle risque aussi d’accroître considérablement la pression sur le réseau électrique.
Déjà, en 2018, 44,5 % de la consommation totale d’électricité de la province était attribuée à ce secteur, selon le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles. Le Plan d’approvisionnement en électricité d’Hydro-Québec — état d’avancement 2021 — prévoit entre 2019 et 2029 une croissance de l’ordre de 12 %, soit une augmentation de 20,0 térawattheures (TW h).
Plusieurs initiatives sont proposées aux industriels pour améliorer leur efficacité énergétique, indique Maxence Huard-Lefebvre, porte-parole d’Hydro-Québec, comme la participation au programme Solutions efficaces d’Hydro-Québec, la « gestion de la demande de puissance » avec la réduction de la consommation au moment des pointes hivernales en échange d’un crédit sur la facturation, ou la tarification dynamique.
Grâce à cela, la société d’État vise des économies d’électricité de 4 TW h d’ici 2025, dont 2,7 TW h pour la clientèle affaires, soutient le porte-parole d’Hydro-Québec.
«Culture du gaspillage»
Mais pour Johanne Whitmore, chercheuse principale à la Chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal, on a une véritable « culture du gaspillage d’énergie au Québec ».
« Pour chaque unité d’énergie utile pour les consommateurs industriels, près de deux unités d’énergie sont perdues sans être valorisées dans l’économie », rapporte l’édition 2022 de l’État de l’énergie au Québec, publié par la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal.
Cette situation s’explique par le prix très accessible de notre électricité pour les industriels, « l’un des plus avantageux en Amérique du Nord » décrit le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles.
En bref, « on a frappé le gros-lot géographique au Québec », s’exclame la chercheuse.
Cependant, cet avantage énergétique concurrentiel n’est pas immuable. Les besoins en approvisionnement d’Hydro-Québec risquent d’influer sur les tarifs dès 2027. Pour Johanne Whitmore, les industries doivent « se prémunir du choc des coûts à venir », en s’entraînant « comme des athlètes pour réduire leurs besoins en énergie ». Sans quoi, « ça va leur coûter très très cher, et ce sera également un coût pour l’économie du Québec ».
Le président de l’Association québécoise des consommateurs industriels d’électricité (AQCIE), Jocelyn B. Allard, rapporte déjà que le coût de l’électricité est « un des plus gros intrants » pour les industries.
« Pour les membres [de l’industrie] de la chimie, par exemple, cela représente jusqu’à 70 % de leur coût de production », précise-t-il.
Retour sur investissement
Toutefois, pour rendre les programmes d’efficacité énergétique fonctionnels et maintenir la compétitivité de l’entreprise, « le rendement de l’investissement doit être rapide », estime Jocelyn B. Allard.
Autre élément à prendre en considération selon lui : la consommation d’énergie dans le procédé industriel. La réduire implique de la recherche, de l’innovation et donc de la mobilisation de ressources. Mais en pleine pénurie de main-d’œuvre, alors que la plupart des industries lourdes se trouvent en région, « cela fait beaucoup d’enjeux à gérer avec moins de gens ».
Pour autant, certaines entreprises québécoises se démarquent pour leurs initiatives en efficacité énergétique. L’usine Produits Kruger de Gatineau a ainsi été la première au Québec à recevoir la certification à la norme ISO 50001 sur la gestion de l’énergie. Selon Laurence Jobin, conseillère en communications à la société Kruger, l’entreprise a investi plus de 75 millions de dollars dans divers projets d’efficacité énergétique depuis le 1er janvier 2018.
« Ces investissements ont permis de réduire non seulement nos coûts manufacturiers, mais aussi nos émissions de gaz à effet de serre, précise-t-elle. Il s’agit d’une réduction de 30 %, de l’ordre de plus de 120 000 tonnes sur une base annuelle. »
À Olymel aussi, on a fait le choix de l’efficacité énergétique. « Ce n’est pas parce que l’énergie est moins chère ici qu’ailleurs que cela nous dispense de l’utiliser plus judicieusement », souligne Richard Vigneault, responsable des communications.
Pour Johanne Whitmore, « il ne faut pas faire une transition énergétique, mais une transition économique ».
Il est essentiel, selon elle, de penser à des modèles d’affaires innovants permettant de revaloriser les ressources perdues dans son entreprise, en favorisant l’économie circulaire, pour entrer dans une industrie 5.0.