(Illustration: Sébastien Thibault)
LES 300. «Bienvenue au royaume de la PME», lance d’entrée de jeu Martin Dupont, directeur général de la Société de développement économique de Drummondville (SDED) qui, depuis plus de 30 ans, s’est affairé à remettre sur pied une économie jadis moribonde, avec l’immense succès qu’on lui connaît.
La situation était en effet loin d’être rose au milieu des années 1980, lorsque plus de 50 % de l’économie de Drummondville dépendait de l’activité des grandes entreprises de l’industrie du textile telles que Dominion Textile et Celanese, qui avait été au coeur du développement industriel de cette ville du Centre-du-Québec à partir des années 1920.
Cependant, quand la production s’est mise à décliner pour être délocalisée en Chine et ailleurs en Asie, «on a vécu une période très difficile et on s’est dit qu’on ne voulait plus jamais revivre une telle situation», se rappelle M. Dupont, qui est en poste depuis 1988.
Située à mi-chemin entre Montréal et Québec, Drummondville est devenue l’exemple concret d’une ville dont la revitalisation est due en grande partie à l’émergence et à la présence accrue de PME, et ce, dans plusieurs sphères d’activité. «On compte une multitude de PME qui sont parties de zéro il y a 15-20 ans et qui ont aujourd’hui des revenus de plus de 20 millions de dollars et qui emploient des centaines de personnes», note le directeur de la SDED.
Son tissu économique est actuellement composé de quelque 600 PME manufacturières, actives dans une dizaine de secteurs, qui ont investi plus de 1 milliard de dollars au cours des cinq dernières années et qui ont créé plus de 1 000 emplois manufacturiers seulement en 2018.
«On a grandement diversifié notre économie grâce aux PME. C’est ce qui explique qu’on traverse les cycles économiques sans trop de peine», constate M. Dupont.
Les PME permettent en effet de renforcer et de diversifier le tissu économique d’une région, confirme Joëlle Noreau, économiste principale au Mouvement Desjardins. «Il y a moins de vulnérabilité non seulement par rapport à un seul employeur, mais aussi par rapport à un secteur économique. Ça donne des assises plus solides en cas de coup dur», fait-elle valoir.
Bien sûr, «la grande entreprise procure des centaines d’emplois et fait travailler un réseau de fournisseurs. Mais elle risque à tout moment de rationaliser ou même de fermer ses portes en période de crise économique», note également Frédéric Laurin, professeur d’économie à l’Université du Québec à Trois-Rivières et chercheur à l’Institut de recherche sur les PME.
Les régions ressources, comme l’Abitibi-Témiscamingue, le Saguenay-Lac-Saint-Jean, la Mauricie ou la Côte-Nord, s’en tirent d’ailleurs moins bien que les régions qui ont développé un plus grand esprit entrepreneurial, comme Chaudière-Appalaches et le Centre-du-Québec, parce qu’elles comptent principalement sur de grandes entreprises qui ont créé l’environnement économique dans des industries cycliques, estime Marc-Urbain Proulx, professeur et responsable du Centre de recherche sur le développement territorial à l’Université du Québec à Chicoutimi. «Oui, elles ont des PME, mais elles sont généralement dépendantes des grandes entreprises plutôt que des marchés d’exportation, au contraire des PME qu’on trouve dans le Centre-du-Québec ou en Beauce», souligne-t-il.
À la rescousse de Thetford Mines
Bâtie autour de l’exploitation des mines d’amiante, qui ont constitué le fer de lance de son économie pendant plus de 100 ans, Thetford Mines a justement connu les affres du déclin de cette industrie.
«Plus de 90 % de l’économie était axée sur l’industrie minière. Puis, le déclin du secteur de l’amiante a fait chuter les emplois de 5 000 à 0. Les gens quittaient la ville, il y avait un exode important de la population», rappelle Luc Rémillard, directeur général de la Société de développement économique de la région de Thetford (SDE).
Aujourd’hui, cette ville de 25 000 habitants porte de moins en moins bien son nom, et a bien meilleure mine depuis que son économie repose sur une plus grande diversification. Grâce aussi à la présence de PME, certaines ayant du succès à l’international. C’est le cas de LDetek, spécialisée dans la conception et la fabrication d’analyseurs de gaz. L’entreprise, lancée en 2009 dans un garage par Dany Gagné et Louis Paradis, compte aujourd’hui des clients prestigieux comme Apple, Air Liquide et même la NASA.
Au lieu d’attendre la venue du «Messie» – lire l’arrivée d’une grande entreprise qui générerait des centaines d’emplois -, Thetford Mines a décidé de miser sur l’émergence d’une culture entrepreneuriale.
«De 1996 à 2000, la région avait comme objectif de faire les beaux yeux à de grandes entreprises pour les attirer dans la région. Mais personne n’est venu. On a décidé de nous consacrer à notre terroir et on a mis notre énergie à faire naître des entreprises ou à aider les sociétés existantes à prendre de l’expansion», se souvient M. Rémillard. Il précise que les PME locales ont fait des investissements de 1,2 G $ au cours des 10 dernières années et ont créé des centaines d’emplois.
Ainsi, 95 % des entreprises de la région ont été fondées par des entrepreneurs locaux dans différents domaines d’activité. «Ça a d’abord été un entrepreneuriat de nécessité, mentionne-t-il. Plusieurs PME ont été créées par des gens qui travaillaient dans les mines et qui se sont retrouvés sans emploi.»
L’arrivée des grappes régionales
Dans les faits, ce sont les PME qui favorisent le développement économique en région, estime M. Laurin. «C’est devenu irréaliste de baser son développement économique sur la venue d’une grande entreprise, particulièrement en région», affirme le chercheur.
D’autant, ajoute-t-il, que la concurrence internationale pour attirer de grandes entreprises est tellement forte, alors que des villes et des gouvernements sont prêts à verser des dizaines de millions de dollars pour les séduire. Comme le montre l’exemple du géant Electrolux, dont la fermeture d’usine de production d’électroménagers à L’Assomption a causé la perte de 1 300 emplois dans Lanaudière en juillet 2014. La municipalité peine encore à s’en remettre.
À Boisbriand, en revanche, la fermeture de l’usine du constructeur automobile General Motors, en 2002, alors qu’il était implanté dans cette ville des Laurentides depuis les années 1960 et avait déjà employé jusqu’à 4 000 personnes, n’a pas été aussi catastrophique qu’anticipée. Principalement parce que de plus petites entreprises ont pris sa place. «On a aujourd’hui une multitude de PME qui sont spécialisées dans plusieurs domaines», constate Cynthia Kabis, directrice générale de la Chambre de commerce et d’industrie Thérèse-De Blainville. Au point où les parcs industriels de la MRC du même nom affichent presque complet, précise-t-elle.
Ceux-ci sont entre autres occupés par des entreprises faisant partie de l’importante grappe en agroalimentaire qui s’est développée dans la région. Les grappes ne sont plus seulement présentes dans les grands centres urbains, souligne d’ailleurs Louis Duhamel, conseiller stratégique chez Deloitte, qui parcourt les régions du Québec depuis quelques années afin de rendre compte de la vitalité des PME et du secteur manufacturier. «Les régions ont développé leur propre couleur, entre autres grâce aux PME», indique-t-il, citant notamment en exemple la région de Bellechasse et son secteur du plastique, celle de Saint-Hyacinthe et son volet agroalimentaire ou encore Shawinigan, qui mise sur la nouvelle économie.
Des modèles à suivre
Le dynamisme de Drummondville, et aussi de Victoriaville, fait en sorte que le Centre-du-Québec n’a plus rien à envier à sa région voisine, Chaudière-Appalaches. Celle-ci comprend entre autres le paradis de la PME et de l’esprit entrepreneurial qu’est la Beauce, ainsi que Thetford Mines, qui a mérité le titre de Ville entrepreneuriale de l’année au Québec en 2014. «Ce sont des régions baromètres dont on peut s’inspirer», estime le professeur Laurin, qui a réalisé une étude de cas sur l’impact des PME dans le Centre-du-Québec.
Le chercheur qui travaille à Trois-Rivières est également aux premières loges pour constater que les PME ont pris le relais de la création d’emploi en Mauricie, fortement touchée par la fermeture de grandes entreprises liées à l’exploitation et à la transformation des ressources naturelles amorcées depuis plusieurs années. «L’emploi y est revenu à un niveau d’avant les fermetures parce qu’il y a beaucoup de PME en croissance», note-t-il.
La reconversion économique de Shawinigan témoigne de ce nouveau dynamisme tourné vers l’émergence de PME et l’économie dite «de demain». «D’une ville mono-industrielle, capitale du chômage, la ville est en train de se transformer en capitale du numérique», constate M. Laurin.
L’écosystème des PME
D’ailleurs, on n’entend plus parler de la «fermeture des régions», comme le souhaitaient jadis certains, constate Stéphane Forget, PDG de la Fédération des chambres de commerce du Québec. À juste titre : «Les PME représentent 87 % de toutes les entreprises du Québec et environ 50 % de son PIB, précise-t-il. Elles constituent le principal tissu économique dans plusieurs régions du Québec et jouent un rôle majeur dans leur développement.»
Si on veut une économie forte, ça passe aussi par le dynamisme économique des régions et la présence de PME, renchérit M. Duhamel. «La croissance économique est plus forte au Québec qu’ailleurs au Canada parce que l’économie y est plus diversifiée, et ce, grâce entre autres à l’omniprésence de PME partout sur le territoire», dit-il.
La présence des PME en dehors des grands centres urbains est d’autant plus importante qu’elle favorise l’engagement des gens d’affaires, d’abord au sein même de leur entreprise, mais aussi dans le développement économique de leur région, selon Mme Noreau. «Les PME permettent de créer une communauté d’affaires, note-t-elle. La bonne marche économique d’une région est l’affaire d’un grand nombre d’entreprises qui amènent une plus grande synergie, une plus grande circulation d’idées.»
L’émergence et le développement des PME en région «constituent aussi un levier important pour attirer ou ramener des jeunes en région qui voient des occasions de carrière», ajoute Mme Noreau. «Non seulement parce qu’il y a des emplois à pourvoir, mais aussi des possibilités d’avancement et de faire une différence qui seraient plus difficiles dans une grande entreprise.»
M. Rémillard peut témoigner de l’attrait grandissant de Thetford Mines chez les jeunes. Depuis quelques années, la Ville organise des activités de bienvenue pour les nouveaux citoyens. Or, «l’an dernier, on a vu plusieurs jeunes familles avec des enfants. Et les courtiers immobiliers nous le confirment.»
La Mauricie, malgré son dynamisme, peine davantage à attirer la nouvelle génération. Pour l’instant du moins. «C’est un problème d’image : ils ont encore en tête les difficultés de la région, souligne le professeur Laurin. Il y a des jeunes qui veulent aller travailler à Montréal dans les technologies de l’information, alors que ce secteur d’activité est très fort en Mauricie. On pourrait doubler le nombre d’emplois s’il n’y avait pas de pénurie de main-d’oeuvre.»