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Face aux cryptos, les banques cèdent au syndrome «FOMO»

François Remy|Publié le 27 Décembre 2021

Face aux cryptos, les banques cèdent au syndrome «FOMO»

Même des établissements comme JP Morgan ont permis de s’exposer au BTC. (Photo: 123RF)

LES CLÉS DE LA CRYPTO est une rubrique qui décode patiemment l’univers de la cryptomonnaie et ses secousses boursières, industrielles et médiatiques. François Remy se donne pour mission d’identifier les entrepreneurs prometteurs, de décoder les progrès techniques et d’anticiper les impacts industriel et sociétal de cette monnaie numérique.


(Illustration: Camille Charbonneau)

 

L’année 2021 marque un fameux millésime pour les jeunes entreprises de la chaîne de blocs. Les rondes de financement explosent les compteurs un peu partout dans le monde. 
« Une année qui a déjà battu tous les records », mentionne l’entreprise d’analyse commerciale CB insights dans son nouveau rapport trimestriel L’état des lieux de la chaîne de blocs https://www.cbinsights.com/research/report/blockchain-trends-q3-2021. Le financement mondial des start-ups actives dans la chaîne de blocs et/ou les cryptomonnaies a continué son ascension (+384% par rapport à 2020) pour atteindre de nouveaux sommets : l’équivalent de 19 milliards de dollars (G$) canadiens depuis janvier. 
Un phénomène qui ne s’est donc pas arrêté aux frontières du Canada. Rien qu’au cours des trois derniers mois écoulés, les entreprises en croissance ont vu affluer près de 645 millions de dollars (M$), soit des montants dix fois plus conséquents qu’au trimestre précédent. 
Parmi celles-ci, citons l’entreprise vancouvéroise Dapper Labs, rendue célèbre à la fin de 2017 pour ses CryptoKitties https://www.cryptokitties.co/ (oui oui, des chatons numériques à élever, à collectionner ou à vendre), mais qui est passée en ligue majeure de l’industrie crypto avec les NBA Top Shot https://nbatopshot.com/ (de grands moments de joueurs de basket-ball immortalisés sous forme de NFT sur la chaîne de blocs). 
Forte de 220 employés et valorisée à 9,5 G$, la licorne Dapper Labs a ainsi réalisé en septembre dernier une méga-ronde de plus de 300 M$ https://venturebeat.com/2021/09/22/dapper-labs-raises-250m-and-seals-deal-with-laliga-for-soccer-nft-collectibles/, qui serviront entre autres à démocratiser davantage les objets digitaux de collection.
Un mois plus tôt, un autre acteur principal de l’écosystème du bitcoin avait aussi mené une méga-ronde de l’ordre de 261 M$ https://blockstream.com/2021/08/24/en-blockstream-secures-210m-series-b-financing/ , la société Blockstream siégeant à Victoria, en Colombie-Britannique. 
[CARTOGRAPHIE DES FINANCEMENTS]
Créée en 2014 en se donnant pour mission de « bâtir l’infrastructure financière du futur » en suivant l’innovation libre, l’entreprise s’est imposée en cheffe de file dans le domaine des technologies de la chaîne de blocs et de la recherche de pointe en cryptographie et en systèmes distribués. Il s’agit d’une nouvelle licorne, dont la valeur flirte désormais avec les 4 G$. 
Il faut dire qu’avec douze nouvelles licornes à l’échelle mondiale sur la période observée, ce « taux de natalité entrepreneuriale » n’a jamais été aussi élevé. Cela étant dit, le troupeau demeure très américain, avec 15 licornes sur les 31 répertoriées cette année.
Autre fait notable, alors que ce sont les « cryptobourses » qui ont attiré le plus de fonds par rapport à toutes les autres catégories d’activités cette année, le Canada n’enregistre aucun financement dans ce secteur précis.
Sur l’échiquier international du capital-risque, le Canada se distingue grâce à son dynamisme par rapport au reste du monde avec environ 10% des financements pendant le trimestre observé, et ce, alors que les opérations ne représentent que 2% des volumes globaux (286 deals). Bien plus grande, l’Europe affiche 15% des financements, tandis que l’Asie pèse pour 20%. Mais ce sont les États-Unis qui dominent largement (50%).
Pour conclure le top cinq trimestriel des financements au Canada, dans une mesure nettement moindre que leurs homologues, notons, tout d’abord, la société Figment, fournisseur torontois d’infrastructure pour le web décentralisé, qui a récolté pour 62 M$ https://figment.io/resources/figment-announces-50-million-in-series-b-funding/. Ensuite, on retrouve Horizon Blockchain Games, une autre entreprise de Toronto, qui comme son nom l’indique crée des jeux cryptos et des outils pour aider les autres à en faire de même, dont la somme obtenu s’élève à 5,6 M$. Enfin, le « groupe mondial décentralisé de développeurs passionnés » Fuel Labs, qui élabore des protocoles venant se greffer sur Ethereum, a reçu un soutien financier à hauteur de 1,9 M$ https://www.businesswire.com/news/home/20210921005286/en/Fuel-Labs-Announces-1.5-Million-of-Support-Led-by-CoinFund .
En somme, depuis le début de l’année, plus d’1,2 G$ canadiens ont déjà été injectés dans des start-ups et scale-ups liées à la crypto. Et la tendance ne devrait pas s’inverser de sitôt…
  

Tendance lourde cette année face aux actifs numériques, l’angoisse de rater un événement important (Fear Of Missing Out) a rongé les institutions bancaires, des divisions de gestion de fortune aux services des clients de détail. D’avis d’experts, la plupart devraient dès lors adopter plus largement les cryptomonnaies en 2022.

La nature et la structure de nos systèmes monétaires n’avaient jamais été aussi largement remises en question. L’argent était émis par les gouvernements et tranquillement géré par les banques, fin de l’histoire. Puis vint Bitcoin, une nouvelle façon de concevoir notre rapport à l’argent, désormais transférable numériquement sans intermédiaire de confiance. Mais décideurs monétaires et politiques crurent bon de simplement l’ignorer. Jusqu’à il y a peu.

« En 2021, cette ignorance béate est soudainement devenue impossible », affirme dans sa tribune rétrospective Michael J. Casey, vétéran du Wall Street Journal et actuel directeur du contenu pour le site spécialisé CoinDesk.

Il s’agissait d’un phénomène particulièrement attendu pour cette année, car de nombreuses grandes enseignes bancaires avaient commencé en 2020 à rendre publiques leurs stratégies en matière de cryptomonnaies. Naturellement, les banques d’investissement avaient jusqu’alors été les acteurs les plus dynamiques.

 

Peur du désavantage concurrentiel

En 2021, sous la pression de clientèles fortunées attirées par la surperformance des cryptos, des banques privées ont offert des moyens d’accéder à cette classe d’actifs émergente. Même des établissements comme JP Morgan, pourtant dirigée par le détracteur du bitcoin notoire Jamie Dimon, ont permis de s’exposer au BTC. (Permettant au passage de capter des frais élevés et des marges importantes dans un environnement où la compression des frais devient la norme.)

Tout ceci a marqué une étape dans l’adoption des bitcoin, altcoin et autres jetons numériques. Progressivement, ce n’était plus le fait de disposer de tels produits crypto qui constituait un avantage concurrentiel pour les banques, mais le fait de ne pas s’investir dans la crypto qui constituait un désavantage.

« Nous voulons participer à (l’expansion de cette industrie). Nous avons conscience des risques que cela impose, mais nous estimons que le plus gros risque est de ne pas y participer », a récemment avoué le CEO de la Commonwealth Bank of Australia. L’institution a entre autres noué un partenariat avec Gemini, le géant américain de la conservation de monnaies numériques, afin que ses clients puissent gérer des crypto-actifs directement à partir de leur app bancaire.

Car une idée a fait son chemin : les cryptomonnaies forment les piliers d’une économie numérique dans laquelle les consommateurs peuvent participer à une nouvelle création de valeur.

 

La logique de l’adoption

Des millions de clients peuvent ou pourront très bientôt accéder aux cryptomonnaies en passant directement par leur banque. Encore dernièrement, une banque communautaire américaine a lancé un programme crypto-intégré à son environnement, en collaboration avec la plateforme new-yorkaise de gestion d’actifs numériques Bakkt.

«Déployer de nouveaux accès innovants à cette économie en plein essor, en permettant d’acheter, de vendre et de détenir des cryptos, est le prolongement de la relation du consommateur avec sa banque de confiance» s’est félicité par voie de communiqué Sheela Zemlin, directrice des revenus de Bakkt.

Justement, au terme d’une année 2021 historique pour l’écosystème du bitcoin, Henri Arslanian, directeur crypto pour le groupe de consultance PwC, livre ses prédictions de saison pour la nouvelle année qui suit et s’annonce tout aussi mouvementée.

«De nombreuses grandes banques (privées) ont méprisé le bitcoin comme n’étant pas un actif sérieux. Le fait de ne pas avoir à vendre de produits liés aux cryptomonnaies n’a probablement pas aidé. Mais nous devrions nous attendre à ce que la plupart d’entre elles fassent un virage à 180° et lancent des offres crypto en 2022» prévoit Henri Arslanian.

 

 

 

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