Eric Girard, le ministre provincial des Finances (Photo: La Presse Canadienne)
LES CLÉS DE LA CRYPTO est une rubrique qui décode patiemment l’univers de la cryptomonnaie et ses secousses boursières, industrielles et médiatiques. François Remy se donne pour mission d’identifier les entrepreneurs prometteurs, de décoder les progrès techniques et d’anticiper les impacts industriel et sociétal de cette monnaie numérique.
(Illustration: Camille Charbonneau)
LES CLÉS DE LA CRYPTO. Spontanéité des débats parlementaires sans conséquence ou déclaration lourde de sens pour le sort des actifs numériques au Québec? En quelques termes perdus dans une longue réplique, le ministre des Finances a laissé transparaître des intentions offensives à l’égard de l’écosystème du bitcoin.
Le poids des mots. «On demande beaucoup à Revenu Québec de combattre les cryptomonnaies.» Cette phrase, on ne l’a doit pas à une source réclamant l’anonymat pour répéter ce qu’il se raconterait dans les couloirs de l’administration fiscale. Cette vérité un rien chicaneuse à l’égard des actifs numériques est tout droit sortie de la bouche d’Eric Girard. Au détour d’une longue intervention il y a moins d’un mois à l’Assemblée nationale alors que le ministre caquiste des Finances participait au débat sur l’approbation de la politique budgétaire du gouvernement québécois. L’argentier de la province contextualisait les nombreuses missions du fisc et justifiait de la sorte son besoin croissant de ressources.
Se pose ainsi la question rhétorique et légitime: est-ce bien le rôle d’un ministre des Finances d’envoyer ses agents livrer combat aux cryptomonnaies? Serait-ce une simple formule sans conséquence lâchée dans un monologue circonstancié face aux députés ou un détail de taille dans le durcissement des sphères gouvernantes face à l’univers du bitcoin?
Certes, le ministre Girard a pour mandat de veiller à la santé économique du Québec. Ou, pour reprendre ses termes, «l’efficacité économique en fonction de l’efficacité des finances publiques puis en fonction du bénéfice social». Ces objectifs s’atteignent, ou à tout le moins s’approchent, au travers d’un système fiscal aussi efficace qu’équitable et d’une économie préservée des risques financiers majeurs.
Le ministre laisse entendre que les cryptomonnaies peuvent interférer avec ces objectifs de bonne gouvernance financière. Mais le degré de dangerosité ou de gravité ont-ils seulement été objectivés? Un indécrottable lieu commun dans les cénacles politiques veut que les monnaies numériques servent à échapper à l’impôt, blanchir de l’argent et financer toutes sortes d’activités criminelles. Phénomènes qui, en théorie, priveraient les pouvoirs exécutifs de recettes importantes et nuiraient de surcroît à l’équité du système fiscal et à la sécurité publique.
Derrière de récentes mesures légales renforçant la «conformité fiscale», le ministre Girard avait exprimé son ambition de «doter le fisc québécois des outils nécessaires pour effectuer un meilleur contrôle de ce secteur». Traduction simultanée : permettre aux autorités de demander aux contribuables, particuliers comme entreprises, de dévoiler tout ce qu’ils touchent de près ou de loin dans l’écosystème crypto.
Pourtant, les chaînes de blocs n’oublient aucune transaction, offrent une traçabilité granulaire et une pleine rétroactivité de recherche pour le moindre échange. De bons outils et de bonnes analyses devraient dissiper cette aura occulte autour des jetons numériques. Partant des 790 millions de dollars de gains en cryptomonnaies au Canada estimés pour l’année passée, une règle de trois suffirait déjà à relativiser la taille de ces troupes ennemies des finances publiques.
Un raisonnement théorique veut certes que, vu leur aspect spéculatif, les cryptomonnaies voient leur valeur fluctuer énormément. Ce qui en fait des investissements risqués pouvant entraîner des pertes financières importantes pour les investisseurs, et en particulier… pour les particuliers.
Et si bitcoin et consorts se trouvaient largement adoptés, la situation pourrait menacer la stabilité du système financier, en concurrençant les monnaies nationales et réduisant le pouvoir des gouvernements (en troublant leur contrôle de la masse monétaire).
Cela étant dit, avec de pareilles vues de l’esprit, on doit aussi accorder du crédit aux contre-arguments théoriques: «combattre les cryptomonnaies» pourrait nuire à l’innovation. Ces technologies révélées par Bitcoin ont un potentiel de perturbation indéniable (on n’en jaserait pas ici sinon et Revenu Québec pourrait chasser d’autres lièvres). Étouffer l’innovation, c’est étouffer l’appropriation des technologies et leurs vertus pour la société.
Lutter contre les cryptos risquerait de se révéler inefficace et pourrait involontairement les rendre plus attrayantes. Pas seulement pour les criminels. Ce qui, à force, ternirait possiblement la réputation d’une juridiction, d’un régime politique, d’un pays. Il n’est jamais bon de se retrouver taxé d’archaïsme ou d’hostilité au progrès. Certainement pas en termes d’attractivité pour les entreprises et les investissements.
Il existe des moyens plus efficaces d’aborder les cryptoactifs que de bêtement les combattre. Clarté fiscale, sécurité juridique, soutiens aux développements socialement bénéfiques. Détruire reste toujours plus facile que construire.
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