Gregory Patience, professeur au Département de génie chimique de Polytechnique Montréal. (Photo: courtoisie)
MOIS DU GÉNIE. La crise climatique sera au cœur des préoccupations des ingénieurs québécois durant la prochaine décennie. C’est entre autres ce que révèle une étude exhaustive des tendances et des besoins en main-d’œuvre dans les divers domaines du génie dans la province menée par Aviseo Conseil pour le compte de l’Ordre des ingénieurs du Québec (OIQ).
Dans le cadre de cette vaste analyse socioéconomique, dont « Les Affaires » a obtenu une version préliminaire, la firme de services-conseils a notamment interrogé 3206 membres de l’OIQ sur les tendances technologiques, environnementales, économiques, démographiques et sociales qui influeront sur leur profession au cours des 10 prochaines années.
Le sondage, qui a eu lieu l’automne dernier, place la transition énergétique et la lutte aux changements climatiques parmi les trois principales tendances qui auront la plus grande répercussion sur le génie à l’horizon 2030, avec l’intelligence artificielle. Plus de quatre répondants sur cinq (83 %) sont ainsi d’avis que la modification profonde des modes de production et de consommation d’énergie aura à tout le moins une incidence importante sur leur avenir.
« Les résultats sont prometteurs : nos membres sont plus que jamais conscients de l’urgence d’agir pour l’environnement. On sent que la prochaine décennie sera déterminante pour modifier nos manières de faire, beaucoup plus que si nous avions mené un tel exercice il y a 10 ou 15 ans », affirme Kathy Baig, présidente de l’OIQ.
Industries d’avenir
L’étude d’Aviseo Conseil indique également l’électrification des transports parmi les tendances de fond en génie dans les prochaines années. La fabrication de composants de véhicules électriques légers et intelligents — dont le nombre passera à 86,4 millions en Amérique du Nord d’ici 2030 selon la grappe sectorielle Propulsion Québec — « sera sans contredit un chantier économique majeur au Québec au cours de la décennie 2020 », lit-on dans le document.
En novembre dernier, le gouvernement du Québec faisait justement de l’électrification des transports l’un des piliers de sa stratégie pour atteindre ses cibles de réduction de gaz à effet de serre (GES) de 2030. Le gouvernement prévoit d’ailleurs l’apparition de 1,5 million véhicules légers électriques et de 3,3 millions de véhicules moyens, comme des camions urbains, sur nos routes d’ici là. Actuellement, les transports représentent près de la moitié (43,3 %) des émissions totales de GES de la province.
« L’électrification des transports fait clairement partie des industries d’avenir, tout comme la production et le stockage d’électricité verte ainsi que le développement de la filière de production d’hydrogène vert et de biocarburants. Les ingénieurs québécois ont toutes les connaissances pour contribuer à ces chantiers », assure Kathy Baig.
Renaissance du génie chimique
Les ingénieurs électriques, les ingénieurs et concepteurs en logiciel, de même que les ingénieurs chimistes seront tout particulièrement recherchés par l’industrie du transport électrique et intelligent. Les besoins pour leurs compétences augmenteront de 50 % et plus d’ici 2030, à en croire l’étude d’Aviseo Conseil.
L’exemple de l’ingénieur chimique est frappant. Son savoir-faire sera requis pour la fabrication de batteries, aussi bien en matière de composants que de procédés de transformation chimique, ainsi que pour la supervision des chaînes de montage. Il sera également au cœur du développement d’une filière de recyclage des batteries en fin de vie.
« À une époque pas si lointaine, on disait que le génie chimique était mort ; il était alors associé à l’industrie du pétrole et à ses nombreux dérivés, se souvient Gregory Patience, professeur au Département de génie chimique de Polytechnique Montréal. La tendance s’est renversée : on remarque une hausse constante des inscriptions depuis 15 ans, parallèlement à l’émergence de nouveaux procédés de transformation plus respectueux de l’environnement. »
Un engouement que constate aussi son collègue Oumarou Savadogo. « Que la relève souhaite se spécialiser dans les questions énergétiques est conséquent avec les questions sociales et économiques auxquelles nous sommes confrontés, souligne le professeur titulaire au Département de génie chimique de Polytechnique Montréal. On ne peut pas collectivement atteindre les objectifs de développement durable fixés par l’ONU sans s’attaquer à l’épineuse question de l’énergie. »
Les conclusions de l’étude de l’OIQ, intitulée « Profil de l’ingénieur d’aujourd’hui et de demain », seront rendues publiques au printemps.