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Le secteur philanthropique cherche son nouveau souffle

Sophie Chartier|Mis à jour le 13 juin 2024

Le secteur philanthropique cherche son nouveau souffle

Pour Claude Pinard, le changement de culture doit nécessairement passer par l’abandon du paradigme axé sur la subvention. (Photo: 123RF)

PHILANTHROPIE. De la charité orchestrée par les religieux aux grandes fondations privées, en passant par l’État-providence, nos manières de nous soucier des plus vulnérables ont évolué au fil du temps. Après les difficultés de la pandémie et à la veille de l’un des plus importants transferts de patrimoine de l’histoire (celui des baby-boomers), plusieurs acteurs du secteur appellent, ces derniers temps, à un renouvellement de culture en philanthropie.

« Je ne pense pas qu’on va voir une grosse cassure avec un avant et un après, dit Daniel H. Lanteigne, vice-président au talent, à la stratégie et à l’impact pour la firme de consultation BNP Performance philanthropique. Mais je pense que la philanthropie doit assurément s’adapter dans ses approches, ses formes de sollicitations. C’est comme si tout le secteur avait besoin d’une bonne injection, d’une campagne de marketing, parce que j’ai l’impression qu’on observe comme une crise d’image actuellement. »

 

Être des catalyseurs

Claude Pinard, PDG de Centraide du Grand Montréal, a lui aussi récemment tenu un discours incitant au renouveau, par la publication, en avril, d’un texte d’opinion dans The Philanthropist Journal intitulé « Redéfinir la philanthropie par une collaboration radicale et communautaire ». Il y appelle à l’implantation d’un modèle basé sur la « philanthropie catalytique » : « Je crois que la collaboration, telle que nous l’avons conçue jusqu’à maintenant, ne suffit plus. Il faut maintenant parler de collaboration radicale », écrit-il.

« Quand je parle de philanthropie catalytique, explique Claude Pinard, c’est de penser comment on est capables d’intervenir à des moments clé dans la vie d’un projet, d’un organisme, dans le but de catalyser les bons changements. Par exemple, c’est de réfléchir à quelles sont les sources de la pauvreté et agir à ce niveau-là. Pour ça, il faut briser les silos et amener tout le monde autour de la table. Il n’y a personne qui aura la solution tout seul. »

Le PDG donne l’exemple de la crise du logement qui sévit actuellement au Québec, une source indéniable de pauvreté. « On voit de plus en plus de jeunes professionnels fréquenter les banques alimentaires, dit Claude Pinard. On peut aller soutenir les banques alimentaires, bien sûr, et on le fait, mais c’est parce que leur logement leur coûte trop cher que de plus en plus de gens ont recours à l’aide alimentaire. Mais si on agit sur le logement, on s’intéresse aux causes, plus qu’aux symptômes. Et là, on peut avoir des résultats plus durables. »

 

Oser l’audace des gros montants

L’Université de Montréal est venue elle aussi donner un coup d’électrochoc à nos vieilles mentalités cet hiver, avec le lancement public de sa nouvelle grande campagne, intitulée L’heure est brave. Son objectif est audacieux : récolter 1 milliard de dollars, un montant historique pour une université francophone n’importe où dans le monde. La campagne souhaite également inciter les diplômés à poser plus de 200 000 gestes de bienfaisance envers leur université.

« C’est un discours que j’entends beaucoup, que la campagne est audacieuse, dit le recteur de l’université, Daniel Jutras. Les gens me disent “wow, c’est ambitieux !” mais ils nous font quand même un don. Disons que le côté confiant est attirant. Alors c’est un peu ce qu’on recherche : non seulement aller chercher des résultats dans le cadre de cette campagne, mais également changer une certaine culture philanthropique. »

Le recteur espère que l’audace dont son alma mater fait preuve avec L’heure est brave aura un effet de ruissellement sur d’autres organismes philanthropiques. « Je pense que pendant un peu trop longtemps, on s’est appuyés sur le gouvernement pour la survie de ces grandes organisations que sont les universités, les hôpitaux, les services communautaires. Toutefois, la réalité, c’est que sans la philanthropie, ces infrastructures ne pourraient pas fonctionner actuellement, dit-il. Alors pour nous, c’est important aussi d’encourager le travail qui est fait dans d’autres fondations, et de travailler de concert avec elles. »

L’ampleur de la campagne de l’Université de Montréal la rend en effet difficile à ignorer, croit Daniel H. Lanteigne, ce qui est déjà un objectif en soi. « Je trouve cela très audacieux, ça frise presque l’insolence, dit-il. Comme société, si on n’est pas à l’aise avec une campagne avec un tel objectif pour une université, et pas n’importe laquelle, il y a peut-être un petit repositionnement à faire. Parce que lorsque c’est McGill qui sollicite 1 milliard, personne ne lève les sourcils. Ça nous pousse à nous demander la place que joue et doit jouer la philanthropie. »

Pour Claude Pinard, le changement de culture doit nécessairement passer par l’abandon du paradigme axé sur la subvention. « On doit arrêter d’être des bailleurs de fonds et on doit se transformer plutôt en acteurs du changement », dit le PDG.