Le mot «mutualisation» renvoie à une panoplie d’actions liées au partage des ressources, de la plus petite, comme partager une photocopieuse, à la plus importante, comme la fusion d’organismes. (Photo: Joel Muniz pour Unsplash)
PHILANTROPIE. Les pratiques de mise en commun (partage de bureaux, d’employés, de compétences ou de stratégie commune) existent depuis des années dans les milieux philanthropique et communautaire, de manière plus ou moins informelle. Le contexte économique actuel remet toutefois de l’avant les réflexions sur la place de la mutualisation en philanthropie.
« Mutualisation ». Le mot peut sembler complexe. Il renvoie à une panoplie d’actions liées au partage des ressources, de la plus petite, comme partager une photocopieuse, à la plus importante, comme la fusion d’organismes. La Maison du développement durable ou encore la Foundation House, à Toronto, sont des exemples de mutualisation de lieux à vocation philanthropique et sociale. À Laval, les organismes en santé mentale Alpabem et Cafgraf partagent la même direction générale. Le Défi des générations rassemblait, lui, différentes fondations en santé pour une grande collecte de fonds. De son côté, le Collectif des fondations québécoises contre les inégalités s’échange compétences et réseaux de contacts. La Fondation Jeunes en tête et le Patro Villeray, eux, sont nés de l’intégration de différentes entités.
« Personnellement, j’aime mieux employer l’expression “pratiques collaboratives” », dit George Krump, gestionnaire issu du milieu des arts de la scène qui a étudié et documenté de nombreuses démarches de mutualisation. « Il y a tellement de variations. Les deux premiers points de base sont qu’il faut avoir quelque chose à partager et s’attendre à une certaine forme de réciprocité », dit celui qui, au fil des ans, est devenu une référence du sujet au Québec.
En 2022, Centraide du Grand Montréal faisait justement appel à George Krump pour la documentation de six démarches de mutualisation issues de son réseau et la rédaction d’un mode d’emploi présentant les étapes clés d’une telle démarche. En avril 2023, le consultant animait également le webinaire « La mutualisation : s’ouvrir à un monde de possibilités » pour Centraide. Le taux de participation a surpris les organisateurs.
« Ce projet-là, ça fait quelques années qu’on y travaille, dit Marie-Lyne Brunet, vice-présidente au développement social à Centraide du Grand Montréal. On commençait à voir des initiatives émerger des milieux et on trouvait cela pertinent de suivre leur progression. Ce qu’on observait également, c’est que ce sont des démarches qui étaient complexes pour certains organismes parce que les outils manquaient. »
Un nouveau vieux sujet
Le concept n’est pas nouveau pour le milieu philanthropique, mais mérite de réapparaître dans les discussions, croit Daniel Asselin, directeur principal du développement philanthropique de la Fondation de l’Université de Sherbrooke et fondateur de la firme d’experts-conseils en philanthropie Épisode, qu’il a vendue il y a trois ans. « La mutualisation, on en parlait déjà il y a 20 ans, dit celui qui cumule une quarantaine d’années dans le secteur. Mais c’est bien que Centraide la remette à l’avant-scène et explique ce que ça pourrait être. »
Le retour de ce concept dans les remue-méninges des organismes s’explique par la hausse des coûts que l’on observe depuis la fin de la pandémie de COVID-19. « Le dollar disponible pour les organisations rétrécit de plus en plus, dit Daniel Asselin. Le prix coûtant lié à la gestion quotidienne augmente. Donc on va vers quoi ? Il faut aller vers des alliances si on veut garder un niveau de frais d’administration assez bas pour continuer à intéresser nos donateurs. »
Une observation que Centraide fait également au sein de son réseau. « On a vu des fermetures d’organismes, il y a des réflexions en cours sur les offres de services, il y a de gros problèmes en ressources humaines, comme on sait, dit Marie-Lyne Brunet. Ça devient de plus en plus urgent de réfléchir autrement. Collaborer, pour certains, ça devient carrément une question de survie. »
///
Cinq avantages de se mutualiser
1. Du personnel qualifié. Partager des ressources humaines permet de pallier un manque. « Les petits organismes peuvent rarement se permettre des équipes hyperspécialisées. Si j’ai une personne aux communications seulement une journée et demie par semaine, on peut être plusieurs à bénéficier de ses compétences », dit George Krump.
2. Des économies. Plusieurs dépenses représentent un poids important. Daniel Asselin donne l’exemple des coûts grandissants en informatique. « C’est devenu une part majeure des budgets. Si on pouvait au moins mutualiser ça, ça enlèverait une pression. »
3. Une résilience. Pour George Krump, mutualiser favorise la résilience. «Quand on partage, on se fait des alliés, on va chercher des expertises, des connaissances chez les autres. On développe des complémentarités. »
4. Une communauté. De nombreux organismes vivent de l’isolement, particulièrement hors des grands centres, fait valoir George Krump. « Dans certaines régions, l’organisme le plus proche de toi est à 100 kilomètres. Quand tu es toujours tout seul, ça devient difficile. »
5. Des besoins. Se regrouper permet de mieux servir, croit Jean-Marc Fontan, professeur en sociologie à l’UQAM et codirecteur du PhiLab, le Réseau canadien de recherche partenariale sur la philanthropie. « Plusieurs organisations ont des populations cibles similaires et auraient intérêt à se regrouper, un peu comme dans l’entreprise privée, où on voit des concentrations, comme les mégas centres d’achat. On offre plus de services, avec un meilleur service à la clientèle. »