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Dans les yeux des grands donateurs

Philippe Jean Poirier|Édition de la mi‑novembre 2020

Dans les yeux des grands donateurs

Les grandes fondations ont un rôle important à jouer pour que les organismes de bienfaisance restent à flot. Notamment, elles peuvent joindre leurs forces à celles de leurs semblables pour atteindre les objectifs de collecte. (Photo: 123RF)

PHILANTHROPIE. De l’avis de plusieurs experts, les grands dona-teurs joueront un rôle clé dans le soutien et la relance des organismes de bienfaisance pendant et après la crise sanitaire actuelle. Pour le moment, les fondations répondent à l’appel.

En mai dernier, lors de la campagne «Mardi je donne maintenant», un regroupement de fondations canadiennes s’est donné le défi de convaincre 100 de leurs consoeurs d’augmenter leur taux de dons annuel à 5 % de leurs actifs dans le cadre de l’initiative Donnez5.

«La loi canadienne oblige les fondations à verser au moins 3,5 % de leur fonds de don chaque année, donc la campagne invite les fondations à dépasser ce seuil», explique Sylvie Trottier, membre du conseil d’administration de la Fondation familiale Trottier, qui participe à Donnez5.

La fondation du philanthrope et entrepreneur Lorne Trottier compte d’ailleurs aller bien au-delà de la cible de 5 %. «Avec notre programme de changement climatique et notre fonds d’urgence destiné à la COVID, nous approchons déjà les 14 % de dons, affirme Sylvie Trottier. La crise se déroule maintenant, et c’est maintenant qu’il faut agir.»

Son organisme croit aussi à l’importance de maintenir et même d’augmenter ses engagements dans la lutte aux changements climatiques. «Contrairement à la crise sanitaire, qui a le potentiel de se résoudre par la création d’un vaccin, les dommages faits à l’environnement, eux, sont irréversibles», explique sa représentante.

Le président et chef de la direction de l’Institut Mallet, qui se consacre à l’avancement de la culture philanthropique, Jean M. Gagné, est le premier à saluer ce genre d’initiative. Il encourage les fondations à augmenter leurs taux de dons annuels, et les invite aussi à faire preuve de souplesse et d’agilité dans le déploiement de leur soutien aux organismes de bienfaisance.

«Les fondations ont un rôle important à jouer dans la réponse aux besoins de première ligne, rappelle-t-il, mais aussi dans l’avancement de certaines causes, en partageant leurs connaissances et en les portant à l’attention du public.»Dès les premiers jours du confinement, la Fondation Lucie et André Chagnon a envoyé un message clair aux organismes qu’elle soutient:non seulement elle respecterait ses engagements, mais, à brève échéance, les organismes pouvaient rediriger les dons déjà consentis vers les besoins qu’ils jugent les plus pressants.

«On voulait comprendre leurs besoins, donc on essayait de les contacter pour connaître leur plan d’action; mais à un certain moment, on a senti qu’ils n’avaient pas le temps de nous parler ou de documenter leur démarche», raconte Jean-Marc Chouinard, président de la Fondation.

 

S’allier à d’autres

Son équipe a alors décidé de prendre un pas de recul et de s’associer à d’autres partenaires pour coordonner le versement des dons. «Plutôt que de créer notre propre fonds d’urgence, nous avons décidé de faire affaire avec les Centraide du Québec pour canaliser des ressources déjà existantes, de façon à éviter la multiplication des demandes pour les organismes sur le terrain», précise-t-il.

La Fondation familiale Trottier s’est quant à elle associée à une dizaine d’autres fondations montréalaises – dont celle de l’investisseur immobilier Stephen A. Jarislowsky et celle de la famille Bronfman – pour déployer une approche «territoriale»inédite pour elle. «Nous avons ciblé les quartiers les plus touchés de Montréal, dit Sylvie Trottier, et nous avons travaillé en collaboration avec tous les acteurs présents dans ces communautés.»

Des comités de crise ont également été formés avec des intervenants locaux, municipaux et régionaux dans le but de prioriser les ressources. «Cette approche a entre autres permis le déploiement rapide de brigades de sensibilisation à la COVID-19, souligne-t-elle, pour informer les gens sur les mesures sanitaires et les inviter à se faire dépister lorsque nécessaire.»

 

Tirer des leçons

En septembre, la Fondation Chagnon a annoncé qu’elle bonifierait son engagement de verser 350 millions de dollars (M$) de dons sur cinq ans d’un 150 M$supplémentaire, afin de soutenir des projets «structurants»qui contribueront à la sortie de crise. Ces dons seront effectués en fonction des leçons tirées de la première vague.

«Nous avons deux volets, précise son président. D’une part, nous voulons connaître les lacunes révélées par la crise et déterminer les changements structurels qui pourraient solidifier les groupes d’aide. D’autre part, nous voulons comprendre les conditions qui ont permis à certains groupes de bien traverser la crise, afin de les aider à consolider ces conditions et de les rendre durables.»

Une tendance semble déjà se dégager, note Jean-Marc Chouinard:plus les organismes qui oeuvrent sur un même territoire ont un historique de pratiques collaboratives entre eux – ainsi qu’avec des acteurs locaux et régionaux –, plus ils ont été capables de se retourner rapidement et de déployer des plans d’action.