Yves-Thomas Dorval est président et chef de la direction du Conseil du patronat du Québec depuis 2009. Il est administrateur entre autres à la Commission des partenaires du marché du travail, au Conseil consultatif du travail et de la main-d’oeuvre et au Conseil canadien des employeurs. (Photo: courtoisie)
Q&R. Le monde des affaires réclame depuis des années que Québec relève ses cibles annuelles d’immigration à 60 000 personnes pour combler les besoins en main- d’oeuvre partout dans la province. Or, la pandémie de COVID-19 a changé la donne, et le 10 avril, alors que Statistique Canada venait d’annoncer la perte de 264 000 emplois au Québec en mars, divers organismes économiques ont demandé au gouvernement Legault de réduire ses cibles d’immigration, établies pour cette année à un maximum de 44 500 personnes. Pourquoi un tel changement de discours ? Le président du Conseil du patronat du Québec (CPQ), Yves-Thomas Dorval, explique.
Les Affaires – Le gouvernement est une grosse machine à faire bouger. Dans un contexte où la reprise économique pourrait survenir d’ici 12 à 24 mois, est-on en train de manquer de vision à long terme en demandant à Québec de réduire ses cibles d’immigration pour 2020 et 2021 ?
Yves-Thomas Dorval – Du côté du CPQ, nous avons plutôt déclaré qu’il serait compréhensible que Québec réduise ses cibles d’immigration pour cette année et l’an prochain. On reconnaît que pour une période d’une année ou deux, on sera dans un contexte de surplus de main-d’oeuvre, sauf dans certains secteurs, comme les technologies de l’information, la santé et l’éducation. Cependant, il est raisonnable de penser que le gouvernement devra repenser la manière dont il établit ses cibles. Il a l’obligation de s’assurer de trouver des débouchés pour la main-d’oeuvre qui sera sans emploi. Il faut donc être agile, regarder les cibles et réaligner en fonction du contexte du marché du travail au Québec.
L.A. – Reste que, même en temps de crise, le Québec a besoin de main-d’oeuvre qualifiée, car les compétences des gens en quête d’un emploi ne correspondent pas nécessairement à celles qui sont recherchées par les employeurs.
Y.-T. D. – Au cours des dix prochaines années, le gouvernement du Québec estime qu’il faudra environ 1,2 million de personnes pour remplacer les postes à pourvoir. La croissance démographique n’est pas suffisante, tout comme le nombre de jeunes dans le pipeline de l’éducation. Malgré divers gains de productivité, il y a un écart qui nécessite un apport de main-d’oeuvre en provenance de l’étranger, sans aucun doute. Indépendamment de la situation, 80 % des postes à pourvoir d’ici 2030 ne sont pas liés à la création de nouveaux emplois, mais au remplacement des départs à la retraite. C’est une question incontournable, récession ou pas.
L.A. – Si Québec réduit les seuils d’immigration pour un an ou deux, le temps que la crise passe, il y aurait donc un important rattrapage à faire dans les années suivantes ?
Y.-T. D. – Il ne faut pas regarder la cible d’immigration comme un nombre. Il faut regarder les besoins dans les secteurs comme les technologies de l’information, la santé et d’autres encore. L’enjeu de la main-d’oeuvre pour réaliser le Plan québécois des infrastructures, par exemple, était très important avant la crise. Ce sera la même chose dans les écoles et la santé. Les questions de main-d’oeuvre vont limiter la capacité du gouvernement à réaliser ses objectifs. C’est ce que j’ai dit lors du budget (prononcé le 10 mars, NDLR) et je le maintiens, même si on est en crise.
L.A. – Sans toucher à l’immigration pour des motifs humanitaires, il faudrait donc que le Québec accueille un nombre plus important d’immigrants économiques ?
Y.-T. D. – C’est difficile pour certaines personnes d’en entendre parler. Je ne parle pas de l’immigration humanitaire. Tout ce que l’on demande, c’est une immigration économique pour répondre aux besoins du marché du travail.
L.A. – Si je vous comprends bien… En présumant que la croissance économique aura repris son rythme de croisière en 2022, le Québec devra accueillir davantage d’immigrants économiques à ce moment pour compenser le retard pris cette année et en 2021 ?
Y.-T. D. – Oui. Les besoins de main-d’oeuvre en 2022 et en 2023, en tenant compte des départs à la retraite, n’auront pas ralenti. À ce moment, le total annuel de 60 000 que l’on demandait avant la crise pourrait ne pas être suffisant.