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Les recruteurs prennent plus de risques

Samir Hamladji|Édition d'avril 2023

Les recruteurs prennent plus de risques

Le secteur du recrutement de cadres et de dirigeants évolue vers une prise en compte accrue du facteur humain. (Photo: 123RF)

RECRUTEMENT. Réputé pour son conservatisme, le secteur du recrutement de cadres et de dirigeants évolue vers une prise en compte accrue du facteur humain. Cette mutation, accélérée par la pandémie de COVID-19, enjoint les recruteurs et les gestionnaires à revoir leurs méthodes et à prendre davantage de risques dans le choix des équipes. Des personnes qu’il faut ensuite savoir bien accompagner. 

« Aujourd’hui, on ne recrute plus le bon profil, mais la bonne personne. » Une formule particulièrement évocatrice et savamment ciselée par Dominique Décarie, présidente du cabinet de recrutement Décarie. Fine observatrice et connaisseuse d’un secteur qu’elle arpente depuis maintenant plus de 25 ans, dont neuf années passées au sein du géant Korn Ferry, la présidente a eu tout le loisir d’observer la mutation du métier de recruteur, notamment l’évolution du rapport de force entre les organisations et les aspirants candidats. 

« Notre métier a toujours été un métier transactionnel parce qu’il y avait un équilibre entre l’offre et la demande, ce qui n’est plus vraiment le cas aujourd’hui », indique Dominique Décarie. Il lui a donc fallu s’adapter à cette nouvelle donne et, surtout, la faire comprendre aux organisations qui sollicitent les services de son cabinet, en faisant preuve de pédagogie et d’accompagnement. « Il n’y a plus de “short-list” avec tous les profils disponibles. Les candidats ont le choix, dit-elle. Les organisations doivent désormais se demander quel est l’homme ou la femme de la situation plutôt que d’essayer de remplir une case avec un profil prédéfini. »

 

Imposer ses exigences 

Les candidats, se sachant en position de négocier habilement, n’hésitent plus à faire valoir leurs exigences lors des discussions préalables. Leurs doléances sont essentiellement ciblées autour du sacro-saint équilibre vie personnelle/vie professionnelle. « Nous avons procédé à deux recrutements au sein de notre direction, fin 2022, et ces questions ont été abordées en toute transparence, se remémore Francis Desrochers, cofondateur de helloDarwin, un marché en ligne qui aide les entreprises à trouver des fournisseurs pour leurs projets marketing et technologiques. L’entreprise y a été particulièrement attentive, explique-t-il. « Le bien-être de nos équipes est une absolue nécessité. » 

Cette « évolution des mœurs » va dans le bon sens pour le jeune dirigeant. « En 2020, ces questions étaient moins présentes et nous avions engagé deux personnes qui ne comptaient pas leurs heures et se définissaient elles-mêmes comme “workaholic”. Mais travailler 60 ou 80 heures par semaine, si vous ne le faites pas dans la bonne direction, conduit à une impasse. D’ailleurs, cela n’a pas vraiment fonctionné avec ces deux personnes. »

 

La quête de sens, nouvelle boussole du candidat 

La quête de sens des candidats, l’équilibre ou encore la préservation de la santé mentale font désormais partie intégrante du bagage du candidat. « Auparavant, pour attirer les talents, les organisations privilégiaient une posture que je qualifierais de démonstration de force, avec énormément de superlatifs dans leurs discours tels que “venez dépasser vos limites, venez rencontrer le succès”. La pandémie nous a fait réaliser que la volonté de se recentrer sur soi était plus forte que le dépassement de soi », explique Claude Martel, directeur exécutif et associé chez Morgan Philips.

Frédéric Vignaud, directeur général de Morgan Philips souscrit pleinement à cette assertion. « L’employeur doit être plus attentif à la manière dont les employés doivent s’épanouir chemin faisant. » D’où la multiplication de processus d’accompagnement en interne pour les nouvelles recrues afin que celles-ci prennent leurs marques au sein de l’entreprise. À leur rythme, avec une véritable écoute de la part de leur direction.

 

L’humain d’abord

Après le recrutement au sens strict intervient le processus d’intégration qui, dans un monde post-COVID, est encore plus important qu’à l’accoutumée. « À la Banque Scotia, la formation des nouveaux employés est prise en charge de diverses façons : par les gestionnaires qui reçoivent une formation continue en matière d’encadrement et de mentorat, mais également par leurs pairs ainsi que par notre vaste équipe des ressources humaines qui offre un soutien aux nouveaux employés tout au long de leur parcours chez nous », détaille à Les Affaires, Mélissa Bouchard-Viau, gestionnaire principale et acquisition de talents de la Banque Scotia.

L’accompagnement interne est largement encouragé par les cabinets de recrutements, dont les prérogatives ne s’arrêtent pas à la porte de l’entreprise. « Il ne faut surtout pas faire l’erreur de proposer un accompagnement défini à l’avance sans tenir compte de la sensibilité de chacun, mais personnaliser davantage l’approche, reconnaît Frédéric Kieffer, vice-Président, conseil en recherche de cadres, AURAY Leadership, membre de Raymond Chabot Grant Thornton. On parle beaucoup de ce fameux équilibre vie personnelle/vie professionnelle, mais il n’est pas encore toujours bien appréhendé par l’entreprise malgré les discours de façade.»