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Prêt pour la transparence salariale?

Sophie Chartier|Mis à jour le 13 juin 2024

Prêt pour la transparence salariale?

Mélissa Pilon rassure les employeurs: la transparence n’est pas une donnée que l’on a ou pas: «c’est comme un gradateur. Quand on ouvre une lumière, ce n’est pas opaque ou limpide. Il y a un spectre entre les deux». (Photo: courtoisie)

RÉMUNÉRATION GLOBALE. À l’heure où de plus en plus de territoires se dotent de lois en matière de transparence salariale, le Québec n’a toujours pas légiféré. Pourtant, le sujet de la transparence risque de faire partie des plus grandes tendances en rémunération dans les prochaines années. Et certains ne pourraient plus s’en passer !

« J’ai énormément de demandes d’organisations qui veulent emboîter le pas, dit Mélissa Pilon, experte-conseil en rémunération et fondatrice de la firme Rémunération & Co. Il y a au moins une vingtaine d’États américains qui ont déposé une loi ou un projet de loi sur la transparence salariale, dont New York et le Massachusetts. Au Canada, l’Île-du-Prince-Édouard et Terre-Neuve-et-Labrador ont amorcé des démarches. En Colombie-Britannique, les employeurs sont obligés d’inclure des fourchettes salariales aux offres d’emploi depuis novembre dernier. » Pourtant, dit-elle, les PME québécoises ont encore beaucoup de travail à faire pour atteindre la transparence. Selon une enquête de Rémunération & Co datée de 2022, « encore 69 % des organisations interrogées ne partagent pas d’information chiffrée avec les employés », cite Mélissa Pilon.

 

De l’air du temps

L’experte-conseil rassure les employeurs : la transparence n’est pas une donnée que l’on a ou pas : « c’est comme un gradateur. Quand on ouvre une lumière, ce n’est pas opaque ou limpide. Il y a un spectre entre les deux ».

Jonathan Brunelle est directeur pour le Québec de l’équipe de consultation Carrière à Mercer. Selon lui, le sujet de la transparence salariale n’est pas une nouveauté et serait même en constante évolution depuis des années. Toutefois, il attire particulièrement l’attention actuellement, pour plusieurs raisons. « Il y a différentes tendances qui semblent discrètes, mais qui brossent un portrait très clair de façon plus large, dit-il. On voit une prolifération des bases de données permettant de partager de l’information relative à la rémunération en ligne, comme Glassdoor, ou Payscale. Ensuite, selon nos sondages, 53 % des membres de la génération Z auraient déjà révélé leur salaire à leurs collègues. Chez les 35 ans et plus, on parle plutôt de 40 %. Ajoutons à cela les lois sur la transparence qui apparaissent et on voit que c’est quelque chose d’important ».

L’expert ajoute que 40 % des Canadiens affirment qu’ils ne se porteront pas candidats à un poste sans connaître l’échelle salariale associée.

 

Dis-moi combien tu gagnes

Elsa Giguère n’a pas attendu que le sujet soit à la mode pour être adepte de cet outil. Elle en a même fait un cheval de bataille de son entreprise, la startup de solutions d’infrastructures numériques en santé Clinia. La directrice Talents et Culture croit d’ailleurs en l’entreprise libérée, raison pour laquelle l’entreprise l’a recrutée. « Au début, on était seulement quatre employés, donc la transparence, c’était facile, dit Elsa Giguère. Mais au fur et à mesure que l’entreprise grossissait, on a fait évoluer cette valeur à l’échelle de toutes les équipes de l’entreprise. »

Chez Clinia, qui compte 32 employés, le processus d’embauche implique tous les membres d’une équipe. « Tous les développeurs, par exemple, vont prendre part à la négociation salariale d’un nouveau développeur, dit-elle. L’équipe en poste se rassemble et évalue : “voici nos salaires, voici ce que cette personne va nous apporter, ses compétences, est-on prêt à accepter qu’elle soit payée tant ?”. Pour les candidats, c’est toujours un peu surprenant, les gens ne sont pas habitués à fonctionner comme ça. Mais ça permet un grand climat de confiance. »

 

Un leadership courageux

La jeune maman suggère aux entreprises désireuses de se familiariser avec la transparence et de commencer par faire preuve d’honnêteté. « Dans les grandes entreprises, ça se peut qu’on retrouve des “pop corns”, des personnes dont le salaire a été gonflé à l’embauche. Je leur suggère de faire amende honorable, de s’assumer et de dire : “en effet, tel et tel salaires ne font pas de sens”. Il faut commencer par expliquer les décisions passées pour partir sur les bonnes bases. Il faut reconnaître où on n’a pas été équitables. Mais ça prend un leadership courageux ».

Également défenseure de la transparence, Mélissa Pilon sait que peu d’entreprises sont mûres pour le type d’ouverture que Clinia a mise en place. C’est pourquoi elle conseille aux dirigeants de procéder par étapes et de fournir le plus d’informations possible tout au long du processus. « Rémunération et perception, ça ne rime pas pour rien, dit-elle. Qu’est-ce qui arrive quand quelqu’un manque d’information sur son salaire ? La personne va essayer de combler ce vide en cherchant l’information elle-même, sur internet ou auprès de ses collègues. Et souvent, ça ne sera pas la bonne information, ce sera basé sur ses propres perceptions. Et c’est comme ça que naissent les frustrations. »