Vieillissement de la population: le marché d’exception du Québec
Claudine Hébert|Édition de la mi‑novembre 2020Groupe Sélection affirme que plus de 400 personnes ont déjà montré un intérêt pour le nouvel immeuble de 306 logements dans le secteur du Plateau, à Gatineau, dont la construction doit se terminer en février 2021. (Photo: courtoisie)
RÉSIDENCE POUR AÎNÉS. Depuis une quinzaine d’années, le marché des RPA, au Québec, connaît une expansion qu’on ne voit nulle part ailleurs au Canada.
Le Québec compte actuellement plus de 133 000 logements en RPA. C’est un bond de près de 40 % depuis 2008, où on en recensait moins de 96 000, indique un récent rapport signé par le chercheur Louis Demers. Au cours des 10 dernières années, ce professeur à l’École nationale d’administration publique s’est penché sur le marché des RPA au Québec, particulièrement sur la situation des petites résidences.
Cette croissance est d’ailleurs loin d’être terminée, croit Joanie Fontaine, économiste chez JLR solutions foncières. « Si les baby-boomers se comportent comme la génération qui les a devancées en matière de choix de logements, ce sont entre 5000 et 6000 nouveaux appartements en RPA qui devront être construits par année d’ici 2029, afin de maintenir le taux d’inoccupation moyen actuel », explique-t-elle en précisant que ce taux se situe à un peu moins de 7 % dans la province, selon les données de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL). Évidemment, note-t-elle, ces prévisions datent d’avant la pandémie. « Il faudra voir comment la COVID-19 affectera ou non ce marché. »
Une formule qui plaît… ou non
D’après les données de la SCHL, publiées en juin dernier, la proportion de la population québécoise âgée de 75 ans et plus vivant dans une RPA frôle désormais les 20 % (18,4 %). Dans certaines régions, notamment Chaudière-Appalaches, Estrie et Laval, ce pourcentage avoisine même les 23 %. « Ailleurs au pays, la proportion varie entre 5 % et 10 % », compare Francis Cortellino, économiste à la SCHL.
Cette différence, dit l’économiste, s’explique en grande partie par la formule de logement autonome pour aînés qui s’est déployée au Québec. « Dans les autres provinces, les RPA incluent généralement les repas et les soins », souligne-t-il.
Yves Vaillancourt, professeur émérite de l’École de travail social de l’Université du Québec à Montréal, est d’un autre avis. « Les RPA autonomes et semi-autonomes prolifèrent parce qu’il y a peu d’options qui s’offrent aux personnes âgées qui souhaitent demeurer chez elles, tout en n’ayant plus la charge d’une propriété privée. » Ce dernier a cosigné ce printemps des articles sur la marchandisation de l’hébergement, du logement et du soutien à domicile offerts aux aînés, en collaboration avec le professeur à l’École de travail social de l’Université de Montréal, Christian Jetté.
Les données du chercheur Louis Demers appuient ses propos. Plus de 90 % des quelque 133 000 logements en RPA relèvent justement d’un modèle de gestion à but lucratif. Un pourcentage, précise-t-il, qui était autour de 81 % il y a 15 ans.
Selon Yves Vaillancourt, la croissance du modèle des RPA marchandes au Québec relève en grande partie des politiques gouvernementales dictées au cours des six dernières années. « Les nouveaux logements sociaux accordés dans les budgets annuels ont été réduits de 3000 à 1500 dans deux des quatre budgets du PLQ, et de 3000 à zéro dans les deux premiers budgets de la CAQ, rappelle-t-il. En parallèle, les crédits d’impôt – qui peuvent représenter jusqu’à 35 % des dépenses admissibles en résidence – ont continué de favoriser les RPA marchandes. » Sans pour autant renier le modèle privé et lucratif, cet expert en politiques sociales recommande d’explorer d’autres modèles d’affaires et d’établir de meilleures balises pour les activités et le développement de cette industrie.
Une rentabilité inquiétante
En attendant, la rentabilité des RPA à but lucratif demeure inquiétante, tient à nuancer Yves Desjardins, PDG du Réseau québécois des résidences pour aînés (RQRA). « Les marges bénéficiaires de plusieurs de nos 792 membres affichent une moyenne de 4 %. Et certaines de celles qui comptent moins de 60 logements subissent des pertes financières de milliers de dollars depuis cinq ans. » Ces marges bénéficiaires, insiste-t-il, « devraient être d’au moins 10 % pour assurer leur survie ».
Le vieillissement de la population qui habite les RPA est en grande partie responsable de la réduction de ces marges, estime Yves Desjardins. « La COVID-19 a d’ailleurs mis en lumière ce que l’on savait déjà dans le milieu : il y a une forte pénurie de main-d’œuvre depuis au moins trois ans. »
Selon des outils de calcul fournis par la Régie du logement, les hausses de loyers en RPA ne devraient pas dépasser les 1,5 %, avise Yves Desjardins. « En contrepartie, les dépenses liées aux salaires des employés qui veillent aux opérations et aux services des résidences ont augmenté de près de 5 %, soulève le directeur général du RQRA. L’annonce du gouvernement Legault de porter à 26 $ de l’heure le salaire des préposés aux bénéficiaires risque de créer un fort déséquilibre dans notre industrie. » Et si les rendements baissent au sein des RPA, les investisseurs qui prêtent aux gestionnaires vont finir par regarder ailleurs, craint-il.
Volet immobilier toujours payant
Yves Desjardins reconnaît toutefois que le volet du développement immobilier rapporte encore aux promoteurs. Ce que confirme Groupe Sélection, un des trois grands gestionnaires de RPA au Québec. « Notre modèle intégré verticalement – qui inclut notamment le développement, le design, l’ingénierie et la construction – permet d’être plus efficaces et de réduire nos coûts de production. Cela plaît aux investisseurs », explique Philippe-Olivier Bouclin, vice-président au développement immobilier du groupe lavallois.
Bien qu’il refuse de dévoiler les marges obtenues pour le volet immobilier, il précise que le taux de rendement courant pour la gestion des opérations annuelles des quelque 11 000 logements en RPA du groupe ne dépasse pas les 6 %.
Groupe Sélection prévoit construire plus de 2000 nouveaux logements au cours des deux prochaines années. La demande est palpable, pandémie ou non, soutient ce promoteur. « Certes, le confinement du printemps a ralenti le nombre de visites de logement. Mais le marché est reparti. » À ce propos, il affirme que plus de 400 personnes ont déjà montré un intérêt pour le nouvel immeuble de 306 logements dans le secteur du Plateau, à Gatineau, dont la construction doit se terminer en février 2021. « C’est au-delà de nos objectifs ! » se réjouit Philippe-Olivier Bouclin.