Le Québec redevient un leader en santé et sécurité au travail
Kévin Deniau|Publié le 19 novembre 2021Marcel Curodeau, président de la firme de consultation en SST Medial Services-Conseils (Photo: courtoisie)
SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL DANS LES PME. Sept mois, 37 séances en commission parlementaire, 186 heures de débats, près de 300 articles… Les chiffres associés au projet de loi 59 visant à la modernisation du régime de santé et sécurité au travail (SST), déposé en octobre 2020 et adopté le 30 septembre dernier par l’Assemblée nationale, donnent une idée de son ampleur. Il s’agit en effet de la plus importante refonte de la Loi sur la santé et la sécurité du travail et de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, qui remontent respectivement à 1979 et 1985.
« Aujourd’hui, on peut réellement dire que le Québec redevient un leader en santé et sécurité au travail », s’est félicité Jean Boulet, le ministre du Travail et de l’Emploi, lors de son adoption. Un avis non partagé par les trois partis d’opposition – qui ont voté contre – ni par le Conseil du patronat du Québec et la FTQ-Construction, qui se sont dits déçus des nouvelles dispositions prévues.
Des mesures de prévention élargies
La nouvelle loi comprend plusieurs changements en matière de la prévention à retenir pour les PME.
D’abord, les mécanismes de prévention jusque-là réservés à certains secteurs prioritaires (bâtiment et travaux publics, mines, industrie du bois, etc.) seront étendus à l’ensemble des établissements québécois de plus de 20 travailleurs, peu importe leur secteur d’activité.
Concrètement, à compter du 6 avril 2022, ces entreprises devront avoir élaboré un plan d’identification des risques, mis en place un comité SST et désigné au moins un représentant en la matière. « C’est un virage majeur qui va toucher des dizaines de milliers d’employeurs », indique Marcel Curodeau, président de la firme de consultation en SST Medial Services-Conseils, qui affirme avoir suivi l’ensemble des travaux en commission parlementaire.
Les établissements employant moins de 20 travailleurs sont également concernés. Ils auront, eux aussi, l’obligation de consigner un plan d’action en prévention et de désigner un agent de liaison en SST, un nouveau rôle créé par la loi.
Autre nouveauté phare du projet de loi 59 : l’introduction du concept d’intégrité psychique. « Partout dans la loi où l’on parlait d’intégrité physique, on a ajouté le volet psychique », explique Marcel Curodeau. Ainsi, l’article 51 stipule que « l’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour protéger la santé et assurer la sécurité et l’intégrité physique et – désormais – psychique du travailleur ».
Il est question ici de violences et de harcèlements au travail, mais aussi de risques psychosociaux. « Pour nous, c’est manifestement l’élément le plus porteur de cette loi », confie Manon Poirier, directrice générale de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés du Québec.
Mentionnons que la nouvelle législation comprend la création d’un comité scientifique sur les maladies professionnelles, dont la mission sera de mettre régulièrement à jour la liste de celles-ci.
La question de l’applicabilité
« Les PME risquent d’être surprises, car je ne pense pas qu’elles sont au courant de ces nouvelles obligations qui vont vite s’appliquer », avance Marcel Curodeau. Ce que confirme Alain Ponsard, conférencier, formateur et coach en SST : « Pour le moment, je n’en ai encore jamais entendu parler sur le terrain. »
La Fédération canadienne des entreprises indépendantes a de son côté dénoncé « l’importante bureaucratie imposée aux microentreprises » par voie de communiqué. « Tout le monde se pose la question à savoir comment ce douteux projet de loi va concrètement pouvoir s’appliquer », s’empourpre Michel Pérusse, professeur associé à l’École de gestion de l’Université de Sherbrooke.
« Un projet de loi inapplicable ? Je n’irais pas jusque-là, tempère Marcel Curodeau. Un défi, oui. Le ministre Boulet envoie une commande lourde. Mais un éléphant se mange une bouchée à la fois. »
« Le vrai test de son efficacité va résider dans le soutien apporté aux PME, qui n’ont bien souvent pas de personnel spécialisé en ressources humaines pour porter ce type de projet », juge Manon Poirier.
« La Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) a donc rôle important à jouer, rappelle-t-elle. Mais va-t-on lui donner des ressources supplémentaires pour qu’elle puisse en avoir les moyens ? » Elle souligne qu’un changement de paradigme sera nécessaire dans la relation entre les entreprises et la CNESST, afin que cette dernière remplisse davantage un rôle d’accompagnement.
Par ailleurs, la CNESST – dont le conseil d’administration est paritaire entre associations d’employeurs et syndicales – dispose désormais trois ans pour adopter un règlement précisant le déploiement concret des mécanismes de prévention prévus dans la nouvelle loi, notamment concernant les comités SST. Faute de quoi, ce sera au gouvernement d’en adopter un.