La santé mentale est un autre grand sujet de préoccupation pour les experts en santé et sécurité au travail. (Photo: 123RF)
SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL. Nombreux sont les conseillers en santé et sécurité au travail qui, comme Samuel Fortin, ont « dû se réinventer » pour répondre aux impératifs de la pandémie. Celui qui œuvrait principalement dans la prévention d’accident au sein du fabricant de pièces pour véhicules Kongsberg Automotive, à Shawinigan, s’est soudainement retrouvé à se préoccuper plutôt de santé et d’hygiène au travail.
Une tendance perçue également par Marie-Ève Champagne, spécialiste de ces domaines au sein de Nucléi Conseils. « Durant la dernière année, la préoccupation des équipes de ressources humaines s’est nettement tournée vers la santé et le mieux-être des employés », affirme-t-elle. « On a dû se mettre à jour pour être à la fine pointe sur ces questions », confirme pour sa part Luc Meunier, directeur principal des relations professionnelles au sein du Mouvement Desjardins.
Rappelons que, selon les lois en vigueur au Québec, l’employeur a l’obligation de protéger la santé, la sécurité, la dignité et l’intégrité du salarié, et que ce dernier a l’obligation de protéger les siennes et celles de ceux qui l’entourent. « On parle ici de l’usage d’une machine dans une usine, mais aussi d’ergonomie au bureau ou en télétravail, de santé mentale, de saine méthode de travail… » énumère Katherine Poirier, conseillère en ressources humaines agréée (CRHA) et avocate associée chez Borden Ladner Gervais.
Bien s’équiper
Chez Desjardins, par exemple, une trentaine de capsules vidéo, abordant aussi bien la conciliation professionnelle et personnelle, la santé mentale et la méditation, ont été mises à disposition des salariés pour les aider à affronter cette crise sans précédent.
Une enveloppe de 1 000$ fut attribuée aux 80% des 50 000 employés qui ont basculé en télétravail, afin qu’ils investissent dans de l’équipement ergonomique et informatique pour la maison. À date, 27 400 d’entre eux y ont eu recours.
Pour le personnel obligé de fréquenter les bureaux, notamment dans le réseau des caisses, une rémunération supplémentaire de 10 % — en temps ou en argent — a été attribuée en guise de reconnaissance. En plus de la prise en charge des frais de gardiennage pour les familles avec enfant. « L’indice de bien-être employé, que l’on analyse chaque semaine, est resté assez élevé toute cette période », constate Luc Meunier.
Revoir ses pratiques en permanence
Les défis sont toutefois encore nombreux sur la route des employeurs et des responsables des ressources humaines, à mesure que la pandémie s’étire.
Déjà, les bonnes pratiques évoluent constamment. « Une mesure qui était à l’avant-garde il y a six mois peut être obsolète aujourd’hui, confie Geneviève Lord, directrice du département Personnes et culture du cabinet en gestion des affaires Pvisio. Il faut être très réactif aux recommandations de l’Institut national de santé publique du Québec. »
Bénédicte Calvet, professionnelle scientifique à l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail, pointe par exemple les risques musculo-squelettiques du travail hybride (à la maison et au bureau). « J’émets l’hypothèse que les équipes santé et sécurité ne peuvent pas aménager deux postes, et donc le salarié est à moitié installé chez lui et à son bureau… Surtout s’il n’a plus de poste fixe attribué », s’inquiète la cofondatrice de l’Association professionnelle des ergonomes du Québec.
Les changements en matière de santé mentale
La santé mentale est un autre grand sujet de préoccupation pour les experts en santé et sécurité au travail. Selon un sondage mené en mai 2020 par des chercheurs de l’Université Laval, près de la moitié des travailleurs québécois, en télétravail ou non, souffrirait d’un niveau élevé de détresse psychologique, qu’importe le type d’emploi occupé.
« La discussion autour de la santé mentale a radicalement changé en un an, affirme Marie-Ève Champagne. Le sujet était tabou auparavant ; on voyait ça comme un aveu de faiblesse et de fragilité. Alors que l’on se rend compte aujourd’hui que c’est plus une question de résilience face à différentes situations. »
Les raisons sont multiples, selon la spécialiste, « Arriver au travail le matin et se demander si c’est aujourd’hui qu’on attrape le virus, avec les conséquences que cela engendre, c’est stressant. Devoir se concentrer uniquement sur le travail en enlevant tout le relationnel et le côté amusant qui l’entoure, c’est pesant. Et, avec les restrictions actuelles, on les recharge avec quoi, ses batteries ? »
« Le paradoxe, c’est qu’on est à la fois hyper connecté et plus seul que jamais, ajoute Yarledis Coneo, CRHA et spécialiste en conciliation travail-famille. D’autant qu’il est difficile de décrocher de son travail quand l’ordinateur est posé sur la table de sa cuisine. »
« Une situation qui amène entre autres à se questionner sur le droit à la déconnexion — le moment où le salarié peut prétendre à éteindre son ordinateur et son cellulaire —, une notion sur laquelle il n’y a pas encore de législation claire », renchérit Katherine Poirier.