Pour que les échanges sur les enjeux de santé mentale puissent avoir lieu, les canaux de communication doivent déjà exister au sein de l’entreprise. (Photo: LinkedIn Sales Solution Unsplash)
SANTÉ MENTALE DES EMPLOYÉS. La détresse occasionnée par la pandémie et les périodes d’isolement qui se sont succédées a été telle que certains patrons ont été le «dernier rempart de confiance» qui séparait un employé de commettre un geste fatal, constate Jesse Larose, PDG de l’Agence LB, spécialisée en marketing web, qui s’est retrouvé dans cette position.
Ayant lui-même déjà été affecté par un profond sentiment d’impuissance et d’isolement, Jesse Larose s’est fait un devoir d’ouvrir le dialogue avec ses 18 salariés sur leur état psychologique, et ce, pratiquement chaque mois depuis mars 2020. Cette main tendue a été salutaire.
Or, toutes les entreprises ne parviennent pas à créer des environnements de travail propice aux confidences sur sa santé mentale. Selon une étude menée par l’agence de recrutement Robert Half, 45 % des 500 Canadiens interrogés en 2022 se sentaient toujours inconfortables à l’idée d’aborder ce sujet avec leur organisation.
Stigmatisation persistante
Ce résultat ne surprend pas Marilyn Grand’Maison, spécialiste principale de recherche et analytiques à Solutions Mieux-Être Lifeworks. Selon les plus récentes données issues de l’Indice de la santé mentale de l’entreprise, souffrir de troubles de santé mentale est encore stigmatisé pour bon nombre d’employés.
« Même si on en entend plus parler [dans les milieux de travail], les gens ne sont pas plus à l’aise, fait-elle remarquer. Beaucoup demeurent convaincus que ça pourrait leur nuire si c’était su qu’ils avaient des problèmes de santé mentale. » Près de 40 % des répondants à son étude sont de cet avis, alors que le pourcentage atteint 50 % chez les gestionnaires.
« Si on a l’impression de travailler avec des robots “rouleaux compresseurs”, l’entreprise a du chemin à faire », illustre la conseillère en relations industrielles agréée (CRIA) Marie-Ève Champagne, lorsqu’on lui demande comment déterminer si une culture d’entreprise permet réellement le développement d’un environnement émotionnellement sécuritaire.
Un examen approfondi
Chaque organisation devrait mener à un examen de conscience concernant l’encadrement des personnes ayant rencontré des soucis de santé mentale par le passé.
Prendre le temps de poser un tel diagnostic est en soi un bon départ pour rendre son milieu de travail sécuritaire, estime Marilyn Grand’Maison. Cependant, elle met en garde les individus responsables de l’opération envers leurs propres biais.
En effet, les données de Santé Mieux-Être Lifeworks illustrent que les gestionnaires des ressources humaines ont une bien meilleure opinion des pratiques de leur entreprise en matière de santé mentale que n’ont le reste de leurs collègues. « C’est normal qu’ils soient de cet avis, étant bien souvent plus proches de la direction, ou ayant les deux mains dans les programmes d’aide offerts, note-t-elle. Ça démontre simplement l’importance de s’assurer que l’information [sur les programmes mis à leur disposition] circule parmi tous les membres de l’organisation. »
C’est pourquoi il lui semble primordial de demander aux principaux intéressés ce qu’ils pensent des gestes posés en ce sens par leur entreprise. « Rien ne se passera si on n’a pas de climat de confiance, si les gens ne sont pas assurés de la confidentialité de leurs réponses », ajoute-t-elle.
Des intentions claires
Exprimer haut et fort l’intention de l’organisation d’épauler ses travailleurs comme le fait Jesse Larose, et rappeler les programmes mis à leur disposition est un autre moyen de créer un environnement où un employé se sentira à l’aise de partager son état psychologique. Il est d’autant plus important de le faire si un changement de culture s’opère.
« Je tente de les faire réfléchir au fait qu’ils ne sont pas seuls, raconte le PDG de l’Agence LB. Leur rappeler que l’entreprise est présente pour eux et que des ressources leur sont offertes. Aussi, que s’ils ne se sentent pas en mesure de le faire, nous pouvons les épauler pour démarrer le processus d’aide. »
Or, pour être en mesure d’avoir de tels échanges, les canaux de communication doivent déjà exister au sein de l’entreprise, soutiennent les deux expertes consultées. « Quand la personne s’ouvre, on accueille et on écoute. Il faut créer un climat de sécurité psychologique, où on sent qu’on a le droit d’exister avec nos défauts, nos erreurs, nos états d’âme sans conséquences négatives… avec quelques nuances », explique Marie-Ève Champagne, également chargée de cours en santé et sécurité au travail à l’Université de Montréal.
La personne qui recevra d’abord l’employé chamboulé sera bien souvent son gestionnaire ou un collègue. D’où l’importance de former l’ensemble du personnel, afin que chacun sache tendre l’oreille avec empathie et réorienter l’individu vers les ressources disponibles.
« Il faut normaliser la recherche d’aide et nommer les problèmes avant de parler des solutions », affirme la spécialiste en mieux-être en milieu de travail. Elle ajoute que les témoignages des gestionnaires sur leurs propres embûches de santé mentale peuvent rendre leurs collègues plus confortables.
Un accompagnement personnalisé
Ce ne sont pas tous les employés qui souhaitent partager leurs défis au travail et il peut être difficile de déceler leurs signes de détresse. Mais certains ne mentent pas, notamment une baisse performance générale, des changements physiques ou de comportement et de l’absentéisme.
« Tout ceci peut nous aider à ouvrir la conversation… qu’on ne pourra forcer, prévient Marie-Ève Champagne. On n’entre pas dans la vie privée de l’employé s’il ne nous y invite pas ».
Surtout que cette personne peut être convaincue que la façade qu’elle s’efforce de maintenir cache bien ses soucis. La chute n’en sera alors que plus vertigineuse lorsque son gestionnaire lui démontrera le contraire. « On sort les mouchoirs et la compassion », résume la CRIA.
Dans tous les cas, l’entreprise doit éviter de tenter de poser un quelconque diagnostic et s’en tenir à des observations. En faisant preuve de bienveillance et d’honnêteté, la personne-ressource doit rappeler à l’employé qu’elle est là pour lui – même sans connaître les détails de la situation – et rendre faciles d’accès les services d’aide offerts, indique Marilyn Grand’Maison
« On a fait du chemin en deux ans de pandémie, concède Marie-Ève Champagne, mais il nous reste beaucoup de croûtes à manger » en matière d’environnement de travail propice aux échanges sur la santé mentale.