Selon Guy Morissette, directeur de la recherche et du développement pour la Division de l’optimisation à Bid Group, l’IA offre des occasions d’affaires. (Photo: Martin Flamand)
SPÉCIAL 300. Certaines n’ont encore que trempé les orteils dans cette mer de possibilités, tandis que d’autres naviguent à voiles déployées avec ces nouvelles technologies qui permettent d’automatiser des tâches, d’optimiser les données recueillies par l’entreprise, d’améliorer la productivité et la gestion du risque, d’accroître la fiabilité de la production et de mieux servir sa clientèle.
« L’IA procure des occasions d’affaires, affirme Guy Morissette, directeur de la recherche et du développement pour la Division de l’optimisation à Bid Group, qui fabrique des équipements pour transformer le bois (148e au classement des 300). Elle a fait augmenter nos revenus. C’est un argument de vente additionnel, car on amène un meilleur rendement à nos clients. »
Cette entreprise de Mirabel a développé en 2019 un outil de détection visuel entraîné avec de l’IA qui décèle des défauts dans le bois, comme des nœuds ou de la pourriture.
« Les performances sont supérieures aux algorithmes de vision traditionnels, ajoute-t-il. L’IA fait toute la différence. »
En plus d’être plus efficace dans la transformation du bois d’œuvre, cette innovation a permis d’effectuer une percée dans le bois franc. « On voit des applications pour des transformations secondaires et tertiaires, mentionne Guy Morissette. L’IA nous amène toujours plus près de la perfection. Le bois est complexe parce que c’est une matière naturelle. On est dans un domaine où on ne peut pas faire d’erreur. »
En partant d’une plateforme en source ouverte, elle a peaufiné son outil. Le résultat ? En plus de ce système de vision, Bid Group a utilisé l’IA pour la surveillance des chaînes de production et des opérations robotiques, tout en ayant des visées pour de l’analyse de données.
« Développer l’expertise au sein de l’entreprise a été très bénéfique, affirme le spécialiste. Pour y arriver, il faut une équipe multidisciplinaire solide, autant informatique que logicielle. Ce sont des millions de dollars investis, mais on est en avant de la parade. »
Les boîtes de discussion du futur
Des boîtes de discussion intelligentes qui répondent aux questions des employés ou des clients constituent une des avenues les plus prometteuses pour l’IA. « Cela va arriver plus vite qu’on pense », croit Anne Nguyen, directrice de l’IA au Conseil de l’innovation du Québec.
Cascades (27e au classement des 300) a récemment implanté un tel outil pour les employés de son service d’approvisionnement qui peuvent obtenir des réponses plus rapidement pour savoir quoi faire dans certaines situations particulières, comme la réception de matériel, les paiements d’urgence et l’approbation de dépenses importantes.
« Le bénéfice est de réduire le temps de traitement, car nos employés ont plein de questions, souligne Martin Constant, vice-président aux services partagés. Avant, pour avoir une explication, il fallait faire un billet et attendre, donc les employés étaient tannés de ça. On a donc aussi lancé cette initiative dans une optique de rétention du personnel. »
Avec des produits d’IBM, Cascades a ainsi fait ingérer et indexer par la machine des documents de formation, des protocoles et des politiques de l’entreprise en matière d’approvisionnement. Après avoir posé sa question, l’employé est invité à évaluer la qualité de la réponse de cette IA générative. Si la réponse n’est pas satisfaisante, l’agent virtuel va créer un billet afin qu’un humain puisse offrir de l’aide.
« Ce n’est rien de spectaculaire, mais cela optimise les opérations manufacturières et cela libère des tâches fastidieuses », juge-t-il. Pour une entreprise présente dans plusieurs fuseaux horaires en Amérique du Nord, cela simplifie également le travail. L’outil est disponible en tout temps !
Contrairement à des boîtes de discussions avec des réponses préenregistrées, cette IA générative comprend bien mieux les questions formulées qui n’ont plus besoin d’être aussi précises. « Dès le début, la proportion de bonnes réponses était de 50 %, avec un autre 15 % de réponses partiellement vraies, explique Martin Constant. Lorsqu’il y avait des erreurs, c’était souvent parce que les informations n’étaient pas bonnes dans les documents de base. On a donc pu s’en rendre compte et les corriger. »
D’ici quelques mois, Cascades vise un taux d’exactitude de plus de 85 %.
Cette initiative n’est qu’un début. Un tel instrument pourrait servir pour des formations, les ressources humaines, ainsi que pour installer une imprimante et configurer un poste de travail. Pour les clients, il serait utile pour fournir rapidement des documents ou une facture.
« L’IA fera partie de notre quotidien, affirme Martin Constant. C’est un partenaire d’affaires. »
Créer de la valeur avec l’IA
Chez Harnois (120e au classement des 300), l’IA n’est pas vue comme un outil visant à régler un problème, mais comme une occasion de générer de la valeur, en réduisant les pertes, en étant plus efficient et en maximisant l’expérience client.
Avec son réseau de stations-service et de dépanneurs ainsi que son service de distribution de produits pétroliers, Harnois utilise l’IA à toutes les sauces.
Le traitement d’image permet par exemple de minimiser les cas de vols de carburant dans les stations-service autonomes. L’analyse du comportement des clients par les images permet aussi d’en apprendre davantage sur leurs habitudes. Lesquels ne font que mettre de l’essence sans entrer dans le dépanneur ? Où se dirigent ceux qui vont à l’intérieur ? « Cela nous offre l’occasion de mettre les produits avec les plus grandes marges là où passent le plus de clients, confie Stéphane Turbide, vice-président à l’innovation et aux solutions d’affaires chez Harnois. C’est utile pour le marketing et pour répondre aux désirs de notre clientèle. »
Pour la section prêt-à-manger, l’IA analyse les ventes de chacun des dépanneurs afin de mieux répondre à la demande en fonction du secteur ou de la saison.
« Le but principal est de générer de l’achalandage et de minimiser les pertes de nourriture dans les cuisines de l’entreprise, explique le dirigeant. On maximise aussi la satisfaction du client : s’il veut un sandwich au poulet, on veut qu’il l’ait ! »
Selon lui, ces modèles sont « excessivement performants » pour comprendre les habitudes de consommation des clients. L’entreprise essaye également l’IA générative Copilot de Microsoft pour la traduction.
Toutefois, il y a certains bémols. « On s’est rendu compte que cela pourrait créer des brèches importantes pour la sécurité de l’information », révèle Stéphane Turbide. Il note qu’il faut faire attention avec les plateformes web pour la confidentialité des données, surtout avec la loi 25 sur la protection des renseignements personnels.
Malgré tout, l’IA est devenue un des piliers de la stratégie d’innovation de Harnois.
« Cela fait partie du quotidien de tous les directeurs, relève Stéphane Turbide. Cela n’a pas un début ou une fin. J’ai comme vision que notre unité est génératrice de valeur pour l’entreprise. »
Le dirigeant supervise une soixantaine d’employés dans sa division. « Je me glorifie par la valeur qu’on apporte à l’organisation, pas au nombre de personnes dans notre unité, dit-il. Je ne me lève pas le matin en me disant que c’est la journée de l’IA aujourd’hui. Notre culture d’innovation est un travail constant, au quotidien. »
Il estime que l’IA continuera de prendre davantage de place dans son entreprise durant les dix prochaines années. « Si tu ne le fais pas, tu seras moins productif, croit-il. C’est une question de rentabilité et de coût de revient. Sinon, tu vas te faire manger tout rond. »
Fructifier le capital humain
La crainte que la machine remplace l’humain demeure bien présente dans notre imaginaire collectif.
Toutefois, pour une firme d’ingénierie comme CIMA+ (56e au classement des 300), l’IA est considérée comme un catalyseur afin d’améliorer le travail des ressources humaines, tant du point de vue de la performance que du bien-être.
« Pour nous, c’est le tableau Excel de demain, mais à la puissance 100, affirme Steeve Fiset, chef de la direction stratégique de l’entreprise lavalloise qui a des bureaux dans presque toutes les provinces du pays. L’IA peut servir pour des applications simples, mais aussi plus poussées. C’est une gamme d’outils. »
Afin de pallier le manque chronique de main-d’œuvre, de favoriser la collaboration des quelque 3000 employés répartis de bout à l’autre du Canada et d’automatiser certains processus qui demandent du temps et de la répétition, l’entreprise a commencé à s’intéresser à ces technologies il y a environ un an et demi.
La traduction et la rédaction de documents ont été les premiers domaines touchés, une expérience concluante selon le dirigeant.
« On a déployé un ChatGPT pour l’entreprise avec une fenêtre accessible sur les ordinateurs des employés, mentionne-t-il. Cela aide à préparer des présentations, à synthétiser des idées, à rédiger tout en favorisant la gestion de la documentation. Cela démocratise aussi la traduction de qualité. Comme entreprise bilingue, on doit avoir des traductions rapides. On a vu des gains tout de suite. La beauté de la chose, c’est que ces outils sont de plus en plus performants. »
Rassurer les troupes
CIMA+ s’est assurée que ces innovations commerciales respectent les données confidentielles des clients en les préservant dans des environnements sécurisés qui ne sont pas sur le Web. L’équipe des TI et le groupe de technologie opérationnelle et numérique ont déployé ces solutions.
Un des défis a été de rassurer les employés. « Il y avait beaucoup d’appréhensions et de méconnaissance, juge Steeve Fiset. On a dû bien expliquer le rôle complémentaire et facilitateur de l’IA, qui est un outil, pas une solution de remplacement. »
CIMA+ a opté pour une approche progressive dans l’exploration et l’implantation de ces technologies. L’entreprise a été notamment accompagnée par la firme américaine Gartner, qui a fourni des conseils et de la formation.
Steve Fiset voit beaucoup de potentiel pour l’IA en ingénierie. « L’IA nous permettra de réaliser les tâches répétitives de manière beaucoup plus efficace, croit-il. Par exemple, pour évaluer l’espacement optimal des barres d’armatures dans des dalles de béton, un travail fastidieux qui exige beaucoup de calculs pour respecter les normes. »
À terme, ces innovations bouleverseront le travail dans cette industrie. « L’ingénieur de demain validera davantage les intrants et les méthodes, tout en effectuant moins de calculs, estime Steeve Fiset. Il s’assurera de la qualité des intrants et des extrants, et il aidera l’IA à se corriger en cas d’erreur. Cela libérera le potentiel du capital humain afin de plus se concentrer sur la valeur ajoutée en mettant l’accent sur le talent de nos gens. »