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S’allier à des partenaires externes pour innover

François Normand|Édition de la mi‑Décembre 2021

S’allier à des partenaires externes pour innover

Le PDG d'e2ip Technologies, Eric Saint-Jacques (Photo: Martin Flamand)

SPÉCIAL INNOVATION. Meilleur brassage d’idées, mise en marché plus rapide, réduction des coûts et répartition des risques : les avantages de travailler avec des partenaires externes pour innover sont nombreux. Vous seriez donc fou de vous en priver, comme en témoignent plusieurs entreprises.

C’est connu, les Québécois adéquatement vaccinés courent beaucoup moins de risque d’attraper la COVID-19, d’aller à l’hôpital et d’en mourir. Ce qui est moins connu, c’est qu’ils doivent cette protection à l’innovation ouverte, un processus dans lequel des pharmaceutiques concurrentes ont collaboré et partagé leurs connaissances sur le coronavirus afin de produire rapidement un vaccin. 

Cette démarche collaborative inspire de plus en plus d’entreprises dans le monde pour trouver des solutions à des problèmes ou pour développer de nouveaux produits ou services.

Le Québec n’échappe pas à cette tendance, notamment dans les secteurs de l’aérospatiale et de la biopharmaceutique. S’il n’existe pas de statistiques pour quantifier avec précision l’ampleur de l’innovation ouverte, des chiffres montrent qu’il se passe beaucoup de choses sur le terrain dans plusieurs industries.

« Les regroupements sectoriels de recherche industrielle (RSRI) ont appuyé des projets collaboratifs d’une valeur de 750 millions de dollars entre 2015 et 2020 », affirme Stéphane Ruggeri, conseiller en technologies et en innovation à PRIMA Québec, l’un des neuf RSRI dans la province qui soutiennent et animent l’écosystème des matériaux avancés.

La raison pour laquelle on voit se multiplier les initiatives d’innovation ouverte sur le terrain est fort simple, disent des spécialistes et des sources de l’industrie : les entreprises y voient de multiples avantages.

 

Exposition à des idées neuves

Innover avec d’autres entreprises élargit leurs perspectives, affirme Elsa Bruyère, cofondatrice et facilitatrice en innovation ouverte à la Fabrique_A, un organisme sans but lucratif qui aide les entreprises à optimiser leurs projets en transformation agile, en culture d’expérimentation et en innovation continue.

« Ça donne la capacité d’avoir accès aux meilleures pratiques. Nécessairement, vous allez bénéficier de ce que les autres ont fait », dit-elle. 

C’est la raison pour laquelle Rio Tinto Fer et Titane (RTFT) embrasse l’innovation ouverte. La multinationale la voit comme « outil complémentaire » à ses activités de recherche et développement (R-D) traditionnelles, notamment en matière de résolution de problèmes.

« Elle offre la possibilité d’aller au-delà de notre propre réseau et ainsi d’avoir de meilleures chances de trouver un éventail de solutions à un problème donné », explique Didier Arseguel, vice-président à la technologie à RTFT.

L’entreprise a d’ailleurs utilisé cet « outil » pour créer de l’aluminium-scandium, un alliage prisé par les industriels. Pour y arriver, RTFT a fait travailler ses chercheurs de son centre de technologie et minéraux critiques, à Sorel-Tracy, avec ceux du centre de R-D de Rio Tinto Aluminium (une autre division de la multinationale anglo-australienne), à Arvida. 

C’est le même son de cloche du côté d’Excel-Serres, un producteur de tomates en serre de Saint-Damase, en Montérégie. La PME participe actuellement au Défi innovation ouverte : serres, un programme lancé par InnovHQ (une division d’Hydro-Québec) et par Cycle Momentum pour accroître l’autonomie alimentaire du Québec et accélérer la transition énergétique. Sa propriétaire, Dominique Fortier, espère y trouver à terme des solutions concrètes afin « de mieux contrôler la lumière, la chaleur, l’humidité et la prolifération des maladies ».

Au terme d’un de tri de quelque 1 500 entreprises, 15 d’entre elles se sont finalement retrouvées en finale, puis 5 ont été retenues. Ce processus lui-même est aussi l’occasion de faire de belles découvertes, selon Patrick Gagné, PDG de Cycle Momentum. Même ces 10 entreprises non sélectionnées nous donnent un accès à un réseau important », fait-il remarquer.

Grâce à ce projet d’innovation ouverte, le PDG d’InnovHQ, Simon Racicot-Daignault, s’attend à plusieurs retombées positives en matière de productivité et d’efficacité énergétique pour l’ensemble des serristes du Québec. « Ça coche beaucoup de cases, dit-il. Pas dans un esprit de rentabilité, mais plutôt pour créer de la valeur. »

 

Réduction des risques

Innover en groupe permet aussi de réduire les risques de chacune des entreprises impliquées, affirme Louis-Félix Binette, directeur général du Mouvement des accélérateurs d’innovation du Québec. 

Lorsqu’elle s’implique dans projet collectif, une entreprise a déjà pris des risques de son côté pour développer par exemple un concept ou un produit qui s’intégrera à ce projet. En revanche, si elle avait travaillé seule sur ce même projet, elle aurait alors assumé tous les risques. « L’innovation ouverte permet donc de réduire les coûts pour prendre des risques ou de prendre plus de risques à coût égal », souligne Louis-Félix Binette. 

Miguel Garcia Claro, responsable du développement durable des produits chez Bombardier, constate que l’innovation ouverte permet de réduire les risques en dégageant les meilleures solutions de conception en amont du processus d’innovation.

« Ça réduit le nombre d’options, mais elles sont plus matures », précise-t-il. Bref, les idées retenues ont une probabilité plus grande de fonctionner que de faire long feu.

Aussi, on comprend pourquoi les points de vue de ses partenaires (des fournisseurs aux clients) sont essentiels pour améliorer le cycle de vie de l’innovation des produits de Bombardier et pour réduire leur empreinte écologique.

 

Diminution des coûts et des délais

L’innovation ouverte permet aussi de réduire les coûts d’innovation et de commercialisation de plusieurs entreprises, sans parler d’une diminution des délais pour la mise en marché.

C’est notamment le cas chez e2ip Technologies, une société montréalaise qui élabore des solutions de surfaces intelligentes pour diverses industries et qui fait systématiquement de l’innovation ouverte. « Ça nous permet de diminuer le temps pour amener une idée au marché, et de réduire les coûts d’innovation et de commercialisation d’au moins 50% » affirme son PDG, Éric St-Jacques.

Pour l’essentiel, c’est le partage de l’expertise, des ressources (humaines et financières) et des tâches qui permettent de récolter ces gains.

L’entreprise collabore avec des centres de recherche, comme le Conseil national de recherches du Canada (CNRC), des partenaires d’affaires (par exemple, des firmes d’ingénierie), des clients et des …compétiteurs.

« Il est même logique de collaborer avec des concurrents », assure le patron de e2ip, sans pouvoir toutefois donner des détails en raison d’ententes de confidentialité.

Milena Sejnoha, directrice R-D au CNRC, Paul Trudeau, agent du conseil de recherches au CNRC et Loleï Khoun, agent de recherches au CNRC. (Photo: Martin Flamand)

 

Alignement sur les besoins du marché

Réalisée avec des clients et des partenaires clés, l’innovation ouverte permet aussi de mieux connaître et anticiper les besoins du marché. 

Consortium SAF+, un producteur montréalais de carburant d’aviation durables, l’a bien compris. Depuis sa fondation, il collabore avec des acteurs clés dans la chaîne de valeur de l’aviation, comme Airbus, Air Transat, Aéroports de Montréal (ADM) et Polytechnique Montréal afin de comprendre exactement leurs besoins.

« Il faut être avec le monde pour comprendre leurs besoins, et on ne peut pas le savoir si on n’est pas en contact avec eux », fait remarquer Jean Paquin, président et chef de la direction de la PME.

Leur objectif commun est de décarboner leurs activités grâce au carburant développé par SAF+, qui a été conçu en mélangeant du CO2 et de l’hydrogène vert (produit à partir d’électricité renouvelable).

Ce carburant — dont l’entreprise a commencé la production à petite échelle — a les mêmes propriétés chimiques que le kérosène, et il permet de réduire de 80% l’empreinte carbone des avions qui l’utilisent, selon Jean Paquin. 

L’alignement sur les besoins du marché est également capital pour Héroux-Devtek.

Le fabricant de trains d’atterrissage de Longueuil est d’ailleurs constamment associé à l’élaboration des avions, et ce, aussi bien avec le donneur d’ordres (l’avionneur) qu’avec les autres fournisseurs stratégiques.

En mai, Héroux-Devtek a par exemple signé un contrat sur plusieurs années avec la française Dassault Aviation pour concevoir, développer et fabriquer le système de trains d’atterrissage du nouveau « Falcon 10X », un jet d’affaires.

Cette collaboration permet à l’entreprise québécoise de s’adapter aux besoins de toutes les parties impliquées, souligne le président et chef de la direction, Martin Brassard. « On définit la conception de l’appareil, et chaque entreprise intègre son système. »

 

Les défis de l’innovation ouverte

Cela dit, tout n’est pas rose ; l’innovation ouverte comporte aussi plusieurs risques ou défis.

Il peut y avoir un manque d’alignement stratégique et une difficulté à faire un maillage opérationnel parmi les entreprises impliquées dans un projet collaboratif, comme l’explique Louis-Félix Binette.

Par exemple, une entreprise en démarrage sans feuille de route (un aperçu des objectifs et des livrables dans un projet) aura de la difficulté à travailler avec des entreprises qui en ont une. Or, cette situation peut entraîner une augmentation des délais et des coûts pour concevoir et commercialiser une innovation. 

Aux yeux d’Éric St-Jacques, la clé du succès repose sur la qualité des gestionnaires qui supervisent les projets.

« Leurs compétences en matière de collaboration, de communication, d’adaptation et de confort dans le chaos sont les facteurs les plus déterminants », dit-il, en précisant que ces compétences sont recherchées en priorité dans le processus d’embauche des gestionnaires chez e2ip. 

Pour sa part, Elsa Bruyère fait remarquer qu’il y a un risque à partager trop d’information lorsqu’on fait de l’innovation ouverte, et ce, pour des raisons de protection de la propriété intellectuelle.

Jean Paquin confirme qu’il s’agit d’une question cruciale. Elle entraîne aussi des coûts importants, car il faut prévoir des ententes de confidentialité entre les parties prenantes, qui sont préparées par des avocats. Pour autant, il affirme que ces ententes sont essentielles. « Ça clarifie les choses qu’on doit dire et les choses qu’on ne doit pas dire », dit-il.

Malgré la présence de ces risques, les intervenants de l’industrie s’entendent pour dire que les avantages surpassent de loin les inconvénients, quelle que soit la taille de l’entreprise. Des avantages qui ne sont d’ailleurs pas que commerciaux, font-ils valoir, puisque dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre, l’innovation ouverte pourrait se transformer en puissant levier pour attirer les meilleurs talents de son industrie, à la recherche de défis et d’un environnement stimulant.

 

Comment faire un tabac en ligne quand on a peu de moyens? Le confinement et les restrictions sanitaires ont contraint nombre de PME à développer leur présence virtuelle in extremis. Entre services offerts par vidéoconférence et achats en ligne, toutes ne sont pas égales dans cette transformation numérique.