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Les superhéros braillent aussi

Céline Gobert|Édition de la mi‑octobre 2022

Les superhéros braillent aussi

«Je me souviens, je me changeais trois à quatre fois par jour dans mon camion, comme Superman, dit Bertrand Plante. J’allais voir un client avec une cravate, un veston et des souliers noirs, puis je remettais ma tenue pour aller cirer le plancher quelque part.» (Photo: courtoisie)

300 PME: SANTÉ MENTALE DES DIRIGEANTS. Bertrand Plante sait ce que ça veut dire que de prendre une moppe dans ses mains ou de laver un tapis. Pendant dix ans, avant d’être à la tête d’Entretien Capital, qu’il a fondée en 1991 à Québec, il a fait le ménage lui-même. Une humilité qui lui assure le respect de son équipe, dit-il, et qui le pousse aujourd’hui à s’ouvrir davantage sur ce qu’il nomme « ses faiblesses ».

« Je me souviens, je me changeais trois à quatre fois par jour dans mon camion, comme Superman, dit le dirigeant. J’allais voir un client avec une cravate, un veston et des souliers noirs, puis je remettais ma tenue pour aller cirer le plancher quelque part. »

Comme un superhéros. Solide. Inébranlable. « J’ai toujours caché mes insomnies et mon anxiété, car je voulais garder cette armure. »

Pourtant, la nuit, Bertrand Plante ne dort pas. Ou très peu. « Cinq heures, je suis en feu ! » Il se rappelle ses nuits de petit garçon, passées au pensionnat, à regarder les autres élèves qui dorment tandis que lui repasse ses journées dans la tête. À 56 ans, les choses n’ont pas beaucoup changé et continuent de tourbillonner sous son crâne. « Je remue le passé, je le décortique pour l’analyser, en même temps que je crains l’avenir. »

 

Trop intense, trop sensible

La raison de ces nuits blanches ? L’anxiété. « J’ai pu être trop sensible quant à mon entreprise, je prenais tout personnel. Ce n’est pas normal que, quand tu perds un client, ça te fasse une boule comme si tu avais une peine d’amour. On est dans les affaires ! Y’a des bons coups, des moins bons coups, il faut apprendre et aller de l’avant. »

Il lui a donc fallu « se déprogrammer », apprendre à mieux communiquer. Pour cela, le dirigeant a multiplié les lectures aux titres évocateurs : « Unfuck yourself », « The Charisma Myth », « The Power of Now ». Il vient même de découvrir une application qui lui résume du contenu sur son téléphone. « En 30 minutes, je peux passer à travers un livre. »

Malgré tout, la pandémie le frappe de plein fouet. « La nuit, je faisais des plans d’action pour accompagner mes clients dans la COVID-19. » Il doit tout modifier, tout le temps : les contrats, les facturations, les horaires. Très vite, c’est « l’écœurantite », dit-il. Et là, tout le rattrape.

 

La voix de sa fille comme guide

Du jour au lendemain, les émotions passées sous silence ces dernières années remontent à la surface. L’accouchement « dramatique » de sa blonde en 2012 où il avait failli les perdre, elle et le bébé. « Pendant deux ans, j’étais pas capable d’en parler sans brailler, et je suis pas un gars qui braille. » Puis, les morts consécutives de ses deux parents, en 2014 et en 2015. « J’avais mis mon anxiété sur la glace. À toujours montrer une façade solide, t’oublies de te gérer et les choses s’accumulent. »

En 2020, Bertrand Plante va au travail la tête pesante. « J’avais le moton, je voulais juste voir mes enfants, je n’étais heureux que quand je les serrais contre moi. » Au boulot, ça ne va plus vraiment. « J’avais l’impression que j’avais créé un navire et que j’avais perdu le contrôle. Il était rendu trop gros, et j’avais de la misère à naviguer. »

Pour se rappeler l’essentiel, le patron affiche les visages de ses enfants sur son tableau de bord et n’écoute plus la radio « trop anxiogène ». À la place, il se passe un enregistrement audio de sa fille. « J’entendais son rire et sa voix, et ça me menait au bureau. »

 

Lâcher prise

Cet épisode, durant lequel il a dû se médicamenter, le pousse à reconnaître ses limites. Il choisit alors d’accélérer la nomination de deux dirigeants et de lâcher les opérations quotidiennes pour s’occuper des contrôles financiers, des ventes et des stratégies d’entretien. « Mes enfants ont pesé dans la balance, dit-il, heureux de pouvoir passer plus de temps auprès d’eux. Ma fille se présente comme présidente de classe, je l’aide à faire sa campagne, c’est fou raide ! C’est là que ça se passe ! C’est là l’important ! L’argent que tu fais, c’est pour prendre soin de tes enfants. »

Désormais, Bertrand Plante médite, apprend à respirer, se nourrit avec des aliments santé, continue la boxe, l’entraînement, les voyages, tout ce qui lui fait du bien. Aussi, il ne travaille plus que 40 heures par semaine. « Je fais partie de l’ancienne école, je suis en train d’apprendre les nouvelles façons de faire. Il faut donner l’exemple maintenant. » Quant au travail sur lui-même, il se poursuit « constamment », dit-il.