François Legault veut améliorer les compétences numériques des entreprises afin d’accélérer leur transformation une fois la crise derrière nous. (Photo: Getty Images)
TRANSFORMATION NUMÉRIQUE. COVID-19 oblige, le premier ministre François Legault a décrété l’état d’urgence sanitaire à la mi-mars, puis il a «mis sur pause» toute l’économie du Québec. Cela a non seulement donné un coup d’arrêt brutal à nos façons habituelles de travailler et de faire des affaires, mais a a plombé le moral des entrepreneurs. Du jour au lendemain, le Baromètre des affaires de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) a fondu au Québec, de 44,5 points à seulement 15,7 points.
«Mars 2020 a été un mois sans pareil dans toute l’histoire économique du Québec, dit François Vincent, vice-président de la FCEI. Depuis la création du Baromètre, il y a 32 ans, la confiance en l’avenir des petites et moyennes entreprises n’est jamais tombée aussi bas, même durant les récessions économiques de 2008 et de 1990.»
C’est bien simple, il ne reste à présent plus que 5 % d’entreprises qui entendent embaucher à temps plein d’ici les trois prochains mois, selon les données de la FCEI. La grande majorité des autres sont, elles, passées en mode «licenciement temporaire», sachant que le «temporaire» en question est d’une durée indéterminée.
S’adapter à la nouvelle donne
Les seules à avoir tiré leur épingle du jeu sont les entreprises qui ont su réagir au quart de tour, qui se sont adaptées à la nouvelle donne sans hésiter. À l’image de Xpedigo et de Nationex, deux entreprises québécoises spécialisées dans la livraison de colis qui ont aussitôt décidé de nouer un partenariat d’affaires pour être en mesure de mieux répondre à la demande, laquelle allait nécessairement bondir puisque les Québécois étaient désormais contraints d’être confinés chez eux. «L’objectif était d’être capable de livrer n’importe quel colis à domicile le jour même dans le Grand Montréal, et le lendemain, partout au Québec et en Ontario», explique Jordan Arshinoff Foss, PDG de Xpedigo, en soulignant que l’«avancée numérique de chacun permettait une telle prouesse».
Trois groupes de clients à fort potentiel ont été ainsi ciblés par les deux nouveaux partenaires :
Les commerçants: «Comme ils ne pouvaient plus offrir un service régulier en magasin, la livraison à domicile devenait pour eux, en toute logique, la seule voie de secours, dit le PDG de Xpedigo. Nous pouvons les aider en ce sens et ainsi contribuer à faire tourner l’économie locale.»
Les services essentiels (épiceries, pharmacies, etc.): «Les gens devant limiter au maximum leurs déplacements à l’extérieur de chez eux, ou ne pouvant carrément plus sortir de leur domicile à cause de la quarantaine, nous pouvons assurer pour eux un service de livraison en mode ultrarapide», poursuit-il.
Les télétravailleurs: «Notre idée était aussi d’établir une passerelle entre les télétravailleurs et leur l’entreprise, voire leurs clients, afin de préserver un lien sécuritaire entre eux tous.»
Le succès a-t-il souri aux deux nouveaux partenaires ? «Il est trop tôt pour pouvoir l’affirmer, mais disons que notre seul vrai défi réside dans notre notoriété, qui n’est pas encore très élevée», confie Jordan Arshinoff Foss.
Tirer son épingle du jeu
Christine Gauthier Immobilier se présente elle-même comme une «petite» agence immobilière, par rapport aux grands joueurs que sont Re/max et autres Engel & Völkers. Avant la crise du nouveau coronavirus, elle offrait déjà la possibilité d’effectuer des visites virtuelles ou de consulter le plan architectural des propriétés à vendre. Mais en l’espace de quelques jours, elle est allée plus loin en ce sens, en ajoutant les visites immersives grâce à la réalité virtuelle.
«Dès que nous pourrons rouvrir nos portes, nos clients pourront découvrir la toute nouvelle salle de notre agence qui permet d’enfiler un casque et de visiter des propriétés en 3D, comme s’ils y étaient en vrai, et ce, de manière parfaitement sécuritaire, sans risque de contamination», raconte Mathieu Lagarde, copropriétaire et courtier immobilier résidentiel, de Christine Gauthier Immobilier. Et d’ajouter : «Cette innovation devrait permettre à nombre d’acheteurs de sauver un temps fou, un temps qui sera bientôt on ne peut plus précieux, le 1er juillet approchant à grands pas.» Établi à Laval, Hamster est un fournisseur de matériel de bureau qui réalise 80 % de ses ventes en ligne. Son réseau de cinq entrepôts situés dans les principales métropoles du Canada et d’une centaine de magasins lui permet d’assurer la livraison le lendemain de l’achat, à l’échelle du pays. «Nous évoluons dans un secteur en pleine mutation. Par exemple, les gens veulent pouvoir travailler debout pour rester en santé, si bien que nous sommes habitués à nous adapter sans cesse aux nouvelles réalités, en offrant de nouveaux produits (ex. : tables de travail dotées de mécanismes d’élévation), dit Denis Mathieu, président et chef de la direction, de Hamster. Voilà pourquoi nous percevons les derniers changements comme une occasion d’affaires.»
Généralisation du télétravail
Le télétravail est en effet devenu la norme pour nombre de travailleurs et est clairement appelé à gagner, demain, en popularité. Employeurs comme employés se doivent de mieux s’équiper pour maintenir leur productivité en dépit du fait que le travail se fait maintenant à distance. «Nous avons toujours considéré que la croissance passait par le commerce électronique, indique M. Mathieu. C’est maintenant plus vrai que jamais. Et nous nous félicitons d’avoir continuellement investi dans l’amélioration de nos services numériques, tout en veillant à optimiser la logistique du dernier kilomètre – le plus coûteux -, qui est le plus grand défi des distributeurs.»
«L’industrie de la bureautique – tout comme les autres industries, appelées, elles aussi, à se numériser à la vitesse grand V – est en mutation, et c’est à nous d’incarner, de transmettre et de propager ce vent de changement», souligne le président de Hamster.
C’est que la transformation numérique permet d’éviter la paralysie, celle qui frappe l’ensemble des entreprises et des travailleurs du Québec depuis plusieurs semaines en raison de la pandémie du nouveau coronavirus. Travaillent encore ceux qui sont en mesure d’offrir leurs services à distance ; pas les autres. Par exemple, les entreprises événementielles capables d’organiser des webinaires. Les consultants qui peuvent animer des rencontres Skype. Ou encore, les coachs doués pour les Facebook Live.
Pour remédier à cette situation, de multiples initiatives visant à faciliter l’accès aux outils de télétravail ont vu le jour, ici et là. «Nous avons créé une application, Taskade, qui permet de relier entre eux les gens qui travaillent à distance les uns des autres, dit John Xie, PDG et cofondateur de Taskade, depuis San Francisco (États-Unis). Elle permet notamment de dresser des listes de tâches, de suivre l’avancement du travail des uns et des autres, de faire du mind mapping et d’organiser des vidéoconférences. Les événements nous ont convaincus d’offrir à tout le monde la possibilité de l’essayer gratuitement, sur son cellulaire comme sur son portable, à partir de notre site Web.»
La start-up californienne soutenue par l’ange financier américain Y Combinator n’est pas la seule à sauter sur l’occasion pour prôner et favoriser le télétravail. Google, par exemple, a rendu gratuite l’utilisation de Hangouts Meet, qui permet les vidéoconférences, à tous ceux qui sont dotés de son application de télétravail G Suite. Idem , Cisco a enrichi son outil de travail à distance Webex, en offrant notamment le service d’assistance 24 h/24, 7 j/7, dans 44 pays touchés par la pandémie.
La clé ? Le numérique
Pas de doute, nous sommes à l’orée d’une nouvelle ère, celle de la généralisation de la transformation numérique. Tant pour les entreprises que pour les travailleurs. «De nos jours, le numérique est devenu un fertilisant essentiel pour le bon développement des organisations, estime Jamal Boukouray, vice-président au marketing et au développement des affaires à Multidev Technologies. L’avenir appartient aux caméléons qui ont d’ores et déjà amorcé le virage numérique en misant sur l’hybridité, l’apprentissage continuel et l’agilité organisationnelle. Et il ne manquera pas de sourire également à ceux qui s’y mettront au plus vite.»
«D’ailleurs, on note que les entreprises qui se sont montrées les moins affectées par les répercussions de la COVID-19 sont celles qui raisonnent en écosystème, qui se perçoivent comme un acteur bienveillant de l’environnement dans lequel elles évoluent, veillant à grandir en harmonie avec les autres, et non pas à leur détriment. Bref, qui pensent en termes de connexions.»
Aux yeux de M. Boukouray, l’objectif que chacun de nous doit désormais se fixer consiste à se changer en profondeur sur le plan numérique, et non à se livrer à une opération de «Botox numérique». Ce qui peut revenir, entre autres, à faire nôtre le futur Indice de culture numérique (ICN), un projet dévoilé en mars par l’assureur Croix Bleue du Québec et l’ESG-UQÀM. De quoi s’agit-il ? D’un outil qui permettra bientôt de mesurer le degré d’aisance des employés d’une organisation par rapport au numérique : leur degré de connaissance en ce qui concerne les outils technologiques mis à leur disposition, leur fréquence d’utilisation, etc. «Cet outil visera à mieux encadrer le développement des compétences numériques de nos équipes, puis sera offert gratuitement à toute autre organisation qui se lancera, comme nous en ce moment, dans une opération de transformation numérique», dit Sylvain Charbonneau, président et chef de la direction de la Croix Bleue du Québec.
«Entrepreneurs, vous avez la sensation d’être balayés par la COVID-19 ? Vous ne voyez pas comment vous parviendrez à vous en relever ? En vérité, vous n’avez aucune autre option : boostez votre transformation numérique, c’est là votre seule échappatoire», a lancé en mars Martin Sorrell, l’ex-PDG britannique du groupe publicitaire WPP, lors d’une entrevue accordée à la chaîne Sky News. Un conseil qui vient d’un homme considéré comme une «légende vivante» de la publicité et, de manière plus large, comme un «visionnaire» de l’entrepreneuriat, lui qui, parti de rien, a bâti un géant de la communication. Un conseil accompagné de cette sentence : «L’impact durable du virus, c’est qu’il aura accéléré la transformation numérique.»