En janvier dernier, huit géants du secteur alimentaire ont promis de poser des gestes pour réduire le gaspillage de moitié d’ici 2025. [Photo : Getty Images (épicerie)]
AGRI-AGRO. Au Canada, environ 58 % de la nourriture produite par an est jetée quelque part dans la chaîne alimentaire, indique Recyc-Québec. Cela représente 35,5 millions de tonnes d’aliments qui prennent le chemin de la poubelle. Cette quantité inclut une partie de résidus inévitables, comme les os ou les coquilles d’oeufs, mais au moins le tiers de ces aliments auraient pu être consommés.
Cet immense gaspillage détonne dans un contexte où des gens, au Québec comme ailleurs, peinent à se nourrir convenablement, faute de moyens financiers. Il présente aussi des coûts importants pour les ménages, en augmentant significativement leurs dépenses alimentaires et en frais supplémentaires de collecte et de gestion de la matière pour les municipalités. Sans oublier les conséquences environnementales. Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et la culture, le gaspillage alimentaire constitue le troisième plus grand pollueur mondial après les États-Unis et la Chine. En 2013, il rejetait 3,3 gigatonnes de gaz à effet de serre par an.
Comment expliquer ce problème ? «Le degré de planification des repas et les décisions d’achat constituent des facteurs importants de gaspillage», révèle Éliane Brisebois, coordonnatrice et agente de recherche de la Chaire de recherche UQAM sur la transition écologique. Son collègue René Audet, titulaire de la Chaire, et elle ont réalisé, l’an dernier, une étude sur le sujet. Ils ont distingué trois profils de consommateurs : les planificateurs, les conciliateurs et les improvisateurs. Si les premiers jettent très peu de nourriture et les seconds le font à l’occasion, les derniers se débarrassent plus souvent de moyennes ou de grandes quantités d’aliments.
Certaines pratiques commerciales n’aident pas. «Les aliments sont souvent emballés dans de trop grandes quantités, souligne Mme Brisebois. Il y a aussi le problème des dates de péremption, qui sont très mal comprises.» Elle rappelle que ces dates sont déterminées par le fabricant ou le détaillant de manière un peu arbitraire. La mention «meilleur avant» ne signifie pas que le produit n’est plus comestible ensuite. Des produits en conserve restent comestibles plusieurs mois après cette date.
Fixer des objectifs de réduction
Au Canada et au Québec, plusieurs s’organisent pour combattre ce gaspillage. Lancée dans la grande région de Vancouver, la campagne Love Food Hate Waste (LFHW) a été portée à l’échelle nationale en 2018. Au Québec, elle a pris le nom de «J’aime manger, pas gaspiller» et est appuyée par Recyc-Québec.
«Cette initiative avait connu un vif succès au Royaume-Uni, alors nous l’avons l’importée dans la région métropolitaine de Vancouver, explique Malcolm Brodie, maire de Richmond, en Colombie-Britannique, et président de l’organisme National Zero Waste Council (NZWC). Mais comme le problème est national, nous avons souhaité l’étendre à l’ensemble du pays.»
En plus d’offrir des trucs aux Canadiens pour réduire leur gaspillage, le NZWC milite pour une meilleure définition des dates de péremption et une harmonisation des règles encadrant leur usage. L’organisme demande aussi aux gouvernements fédéral et provinciaux de se fixer un objectif de réduction du gaspillage de nourriture de 50 % d’ici 2030. «Les États-Unis et des pays européens ont adopté cet objectif tout à fait réalisable», souligne M. Brodie.
Outiller les Québécois
En janvier dernier, huit géants du secteur alimentaire ont promis de poser des gestes pour réduire le gaspillage de moitié d’ici 2025. Parmi eux, on trouve notamment Loblaw, Métro et Walmart Canada. Plusieurs autres initiatives fleurissent un peu partout. Dans la région du Saguenay, les Gratuivores récupèrent des aliments que les épiceries ne peuvent pas vendre, les cuisinent et les offrent en échange d’une contribution monétaire volontaire. Loop fabrique de son côté des jus composés de fruits et de légumes jugés trop moches pour être vendus en épicerie.
Recyc-Québec s’emploie à aider les Québécois à mieux conserver et utiliser les aliments et à mieux planifier leurs repas. «Nous ne voulons pas les culpabiliser, mais plutôt les outiller pour réduire leurs pertes», explique Sophie Langlois-Blouin, vice-présidente, performance des opérations.
Les consommateurs trouveront sur le site web de la LFHW un guide du frigo, la mauvaise organisation du réfrigérateur étant responsable d’une partie du gaspillage. On y présente aussi des recettes et des manières de sauver les aliments. Vous croyez votre laitue fanée ? Un bon bain de glace d’une dizaine de minutes et la revoilà croustillante comme à ses meilleurs jours.
Recyc-Québec diffuse de nombreux messages sur les médias sociaux, en mettant l’accent sur les produits saisonniers. «Ce qui est bien avec les médias sociaux, c’est leur interactivité, précise Mme Langlois-Blouin. Les gens proposent leurs propres trucs, s’échangent des recettes, etc. L’idée est de placer la réduction du gaspillage alimentaire dans l’espace public afin de régler le problème.»