L’industrie doit-elle s’inquiéter des tensions avec la Chine?
Kévin Deniau|Édition de la mi‑avril 2019[Photo: 123RF]
AGRI-AGRO. « Les importateurs chinois ne sont pas disposés à acheter des graines de canola canadiennes pour le moment. » Le ton du communiqué, publié ce 21 mars, est laconique et l’inquiétude bien réelle du côté du Conseil canadien du canola (CCC), qui représente cette industrie au pays. D’autant que, selon l’organisme, « les discussions techniques n’ont pas indiqué qu’une résolution immédiate soit possible ».
Le 1er mars dernier, Richardson International, un important fournisseur de canola basé à Winnipeg, voyait son permis d’exportation révoqué par la Chine. Quelques semaines plus tard, c’était au tour de l’entreprise Viterra de connaître le même sort. Officiellement, les autorités douanières chinoises ont prétexté la présence de « parasites dangereux » dans les récoltes.
Il est toutefois difficile de ne pas y voir des mesures de représailles de la Chine, après l’arrestation, en décembre dernier, de la vice-présidente de la société chinoise Huawei, Meng Wanzhou, à Vancouver, à la demande des autorités fiscales américaines. Washington soupçonnerait cette dernière de violation des sanctions américaines contre l’Iran. Des accusations démenties par Huawei et, depuis, Pékin ne cesse de réclamer sa libération.
Rappelons que, dans la foulée, la Chine avait déjà arrêté deux Canadiens, soupçonnés d’avoir menacé la sécurité nationale, et condamné à mort un troisième, reconnu coupable de trafic de drogue par la justice chinoise.
Une mesure symbolique et économique
« Richardson a été directement ciblé. Nous pensons que cela fait partie d’un problème plus vaste entre le Canada et la Chine, et nous espérons que le problème sera réglé rapidement », avait ainsi indiqué, début mars, Jean-Marc Ruest, vice-président de Richardson International. « Il n’y a pas de raison scientifique pour expliquer cette mesure », soulignait pour sa part la ministre des Affaires étrangères Chrystia Freeland.
« Ce geste est extrêmement symbolique, car le canola est une des plus belles réussites canadiennes en biotechnologie et contribue à hauteur de 27 milliards de dollars environ à l’économie du pays », rappelle Sylvain Charlebois, directeur du laboratoire de recherche en sciences analytiques agroalimentaires à l’Université Dalhousie, à Halifax.
Concrètement, le Canada exporte près de 40 % de ses produits de canola vers la Chine, son plus important importateur et, en 2018, ces exportations de semences ont représenté 2,7 G$.
D’autres productions touchées prochainement ?
« L’impact est dramatique pour l’Ouest canadien », indique Ramzy Yelda, analyste principal des marchés pour les Producteurs de grains du Québec. Côté québécois, la production de canola reste modeste : 35 000 tonnes, comparativement aux 20 millions de tonnes à l’échelle du pays. « Cette situation peut toutefois devenir un problème pour nous aussi, car cela peut très bien déraper vers d’autres cultures, par exemple le soya, qui est nettement plus important au Québec », poursuit, inquiet, M. Yelda.
« D’autres actions de Pékin ne sont pas à exclure, confirme M. Charlebois. On exporte pour environ 7 G$ de denrées agroalimentaires en Chine et les mesures chinoises pourraient s’étendre par exemple aux productions de soya, de porcs, de bœufs ou de homards. » Ce qui serait un vrai coup de semonce, d’autant que, selon l’Alliance canadienne du commerce alimentaire, la Chine est en passe de devenir le plus grand importateur du monde de produits agricoles et est déjà le deuxième plus important marché d’exportation du Canada en la matière.
De nombreuses incertitudes sur l’avenir
Pour Éric Mottet, professeur de géopolitique à l’UQAM et codirecteur de l’Observatoire de l’Asie de l’Est, la situation est cependant loin d’être surprenante. « Pour des raisons de politique interne, le président chinois Xi Jinping, qui a des problèmes au sein de son parti, doit se montrer fort et est obligé d’imposer des sanctions. Mais la Chine aurait pu frapper encore plus fort, dans l’immobilier ou le tourisme, par exemple. »
L’universitaire rappelle également que les relations diplomatiques sino-canadiennes s’étaient nettement refroidies, notamment après l’échec des négociations de libre-échange, en décembre 2017, alors que le premier ministre Justin Trudeau voulait un traité progressiste sur le plan de l’environnement ou des conditions de travail. L’arrestation de la dirigeante de Huawei n’aurait fait qu’envenimer les choses, à un moment où le gouvernement est, en plus, affaibli par l’affaire SNC-Lavalin.
Lors d’une conférence de presse, le 22 mars dernier, M. Trudeau a dit prendre ce problème de blocage chinois « très au sérieux », avant d’assurer qu’il était « optimiste de pouvoir faire des progrès cette année ».
Un espoir loin d’être partagé par les observateurs. « Je ne vois pas comment cela pourrait s’améliorer », constate M. Charlebois. « L’évolution de la situation peut dépendre de plusieurs paramètres, qui ne sont pas tous strictement canadiens, affirme quant à lui M. Mottet. Il y a évidemment les prochaines élections fédérales, mais aussi la concrétisation, ou non, de l’accord commercial entre la Chine et les États-Unis. » À suivre donc.