Nouveau Guide alimentaire: quels impacts pour les producteurs?
Jean-François Venne|Édition de la mi‑avril 2019[Photo: 123RF]
AGRI-AGRO. Lancée le 22 janvier dernier, la nouvelle mouture du Guide alimentaire canadien a fait couler beaucoup d’encre. Généralement assez bien reçu, il a tout de même suscité quelques bémols, provenant surtout des producteurs laitiers.
Le nouveau Guide mise sur une démarche très différente de ses éditions précédentes. Finis les fameux groupes alimentaires (lait et produits laitiers, viande et substituts, etc.) et les recommandations de portions. Basée sur les plus récentes connaissances scientifiques, la nouvelle méthode tente ainsi d’éviter les simplifications abusives et certains écueils dénoncés depuis longtemps par les nutritionnistes.
Les groupes alimentaires, par exemple, plaçaient sur un même pied des aliments dont l’impact sur la santé pouvait être très différent, comme la viande rouge, les charcuteries, les poissons et les légumineuses, tous rassemblés dans le groupe viande et substituts.
Le Guide offre une vision plus holistique de l’alimentation, laquelle ne se limite pas au simple choix des aliments, mais concerne l’ensemble de la relation à la nourriture. Ainsi, en plus de conseils plus traditionnels, comme manger beaucoup de fruits, de légumes et d’aliments protéinés ou choisir des aliments à grains entiers, le Guide met l’accent sur d’autres aspects, comme cuisiner plus souvent ou prendre le repas en compagnie d’autres personnes.
Ces changements ont ravi l’Ordre professionnel des diététistes du Québec (OPDQ), lequel s’est réjoui de l’accent mis sur la qualité et non la quantité. Plutôt que de prescrire des aliments et des portions, le document renseigne quant à l’importance des choix faits à l’épicerie et aux restaurants, des compétences culinaires et de notre relation avec nos repas. «Le Guide est une occasion exceptionnelle à la fois de réfléchir sur nos habitudes alimentaires et de poser les gestes pour prévenir, maintenir et rétablir la santé à l’aide notamment d’aliments sains et peu transformés», a affirmé Paule Bernier, présidente de l’OPDQ, en réaction à la présentation du nouveau document.
Les Éleveurs de porcs du Québec, dont 70 % de la production est exportée, ne se sont pas émus des changements. «Le nouveau Guide s’harmonise bien avec notre démarche, visant à inciter les consommateurs à utiliser la viande de porc, fraîche et non transformée, comme une source d’alimentation saine et équilibrée», avance le président David Duval. Il souligne que le Guide ne conseille pas d’éliminer les sources de protéines d’origine animale, mais simplement d’augmenter les sources d’origine végétale.
Et la production locale ?
Marcel Groleau, président général de l’Union des producteurs agricoles (UPA), s’est dit peu surpris des changements apportés au Guide. «Depuis plusieurs années, les nutritionnistes réclamaient que l’on fasse plus de place à la diversité des aliments, notamment des sources de protéines», rappelle-t-il.
Il ne lui a pas échappé que l’abolition des groupes a relégué le lait et les produits laitiers au rang de sources de protéines parmi d’autres, alors qu’ils constituaient auparavant leur propre catégorie. De la même manière, l’insistance du Guide sur le fait que l’eau devrait devenir la boisson courante des Canadiens, plutôt que le lait ou les jus de fruits, pourrait avoir un impact négatif sur des producteurs québécois.
«Le Guide aurait pu insister davantage sur les produits locaux, avance M. Groleau. Le lait et les produits laitiers constituent une bonne source de protéines et sont produits sur notre territoire. De la même manière, on a au Québec des fabricants de jus de fruits entiers sans ajout d’eau ou de sucre, dont les produits se retrouvent amalgamés à l’ensemble des boissons sucrées.»
Le lait, d’ailleurs, est peut-être le grand éclopé de ce nouveau Guide. Alors que l’ancienne version recommandait d’en consommer de deux à quatre portions par jour, la nouvelle propose d’en consommer moins. Les Producteurs laitiers du Canada ont affirmé craindre un impact négatif sur leur secteur, qu’ils affirment déjà affecté par les concessions sur la gestion de l’offre accordées dans les récents accords de libre-échange avec l’Union européenne, les États-Unis et le Mexique. Quant aux producteurs de lait du Québec, ils ont déploré que Santé Canada ait ignoré des études, financées par l’industrie, montrant les bienfaits du lait.
M. Groleau rappelle que dans d’autres pays, comme le Brésil, ce type de guide favorise des sources de protéines locales. Si l’on place sur le même pied au Québec les protéines laitières et les protéines de soja ou d’amandes, on passe sous silence les coûts financiers et environnementaux du transport de ces produits importés de l’étranger. Selon lui, le Guide a un fort impact à long terme, car il modifie l’offre d’aliments dans les écoles et contribue donc à former les habitudes alimentaires des prochaines générations.