Les producteurs de veau de lait vendent près de 70 % de leur viande à des restaurants. Présentement, celle-ci prend plutôt le chemin du congélateur, en attente de jours meilleurs. (Photo: Iñigo De la Maza pour Unsplash)
AGRI-AGRO. La pandémie constitue un véritable défi pour l’industrie agroalimentaire. Le bouleversement des habitudes de consommation a fait exploser la demande pour les aliments de base et la livraison à domicile, mais a mis en pièces le marché des restaurants et des hôtels. La chaîne d’approvisionnement doit se restructurer à toute vitesse, tout en introduisant de nouvelles mesures sanitaires et en composant avec le manque de travailleurs. Comment l’industrie s’adapte-t-elle à la crise ?
La chaîne d’approvisionnement canadienne a montré sa force depuis le début de la crise, mais elle fait face à de nombreux défis. La fermeture de plusieurs abattoirs, le manque de travailleurs et l’effondrement de plusieurs marchés menacent même la survie de certains producteurs.
C’est d’abord du côté de la demande et non de l’offre que la pandémie de la COVID-19 s’est fait sentir dans l’industrie agroalimentaire. «Elle a changé de nature, explique Rémy Lambert, professeur spécialisé en économie agroalimentaire à l’Université Laval. Les producteurs de produits fins ou de fruits de mer, par exemple, qui vendaient beaucoup aux restaurants et aux hôtels, ont perdu leur marché, mais ceux qui fournissent des aliments de base, comme la farine, le pain et le riz vivent une explosion de la demande.»
Au départ, la chaîne logistique canadienne a montré sa résilience. Dans certains secteurs, elle donne toutefois des signes de vulnérabilité, notamment du côté de la viande. Depuis les années 1990, cette industrie s’est beaucoup concentrée dans de grandes usines, afin de diminuer les coûts de production.
«Cette concentration de la transformation pourrait devenir une faiblesse, estime Rémy Lambert. Lorsqu’une usine ferme, c’est un gros coup pour la chaîne d’approvisionnement.» Au Québec, une importante usine d’abattage de porcs d’Olymel a dû stopper ses activités pendant plus de deux semaines en raison d’une éclosion du coronavirus au sein de son personnel.
Embouteillage aux abattoirs
Dans l’Ouest canadien et américain, le coup a été encore plus dur. L’usine d’abattage de Cargill Ltée, située à High River, en Alberta, l’une des plus grosses du pays, a interrompu ses activités. À elle seule, elle achetait 4 500 bouvillons par jour. Aux États-Unis, au moins huit abattoirs ont dû cesser le travail depuis le début de la crise. Les producteurs reçoivent moins pour leurs bêtes de la part des abattoirs, mais la viande coûte plus cher une fois transformée, car on en trouve moins sur les marchés et la demande reste forte.
«La situation est meilleure dans l’est du pays pour les producteurs de boeufs, soutient Marcel Groleau, président général de l’Union des producteurs agricoles. Cargill a même augmenté ses opérations en Ontario.»
Les producteurs de veau de lait se portent moins bien, eux qui vendent près de 70 % de leur viande à des restaurants. Présentement, celle-ci prend plutôt le chemin du congélateur, en attente de jours meilleurs. Quant aux producteurs de porcs, «ils sont confrontés eux aussi à la fermeture d’usines d’abattage aux États-Unis et au Canada, ce qui provoque un embouteillage», explique Marcel Groleau.
Les mesures de distanciation physique et autres modifications dans les procédés de transformation de la viande viennent quant à elles augmenter les coûts de production, ce qui risque de se répercuter sur le prix des aliments.
Pénurie de travailleurs étrangers
Du côté des fruits et des légumes, la principale incertitude provient du manque de personnel. Pas moins de 10 000 ouvriers agricoles étrangers devraient arriver au Québec d’ici la fin du mois de juin. Ils seront tous confinés pendant 14 jours. Le gouvernement fédéral prévoit un montant forfaitaire de 1 500 $ par travailleur étranger pour les employeurs, afin de les aider à assumer les coûts du protocole d’isolement. Une mesure d’une valeur de 50 millions de dollars (M $).
Encore faut-il que les travailleurs puissent voyager jusqu’à nous. Environ 2 000 se trouvaient au Québec à la mi-avril. Les Mexicains et les Guatémaltèques éprouveraient des difficultés à obtenir leurs documents à cause d’un ralentissement dans la fonction publique de ces pays causé par la pandémie. Au Guatemala, il serait aussi compliqué de se déplacer à l’intérieur du pays en raison de restrictions touchant les mouvements entre les régions. Les travailleurs peinent donc à atteindre un aéroport.
Pour tenter d’aider les agriculteurs, le gouvernement québécois a débloqué 45 M $ en vue de bonifier de 100 $ par semaine le salaire des ouvriers agricoles qui travaillent au moins 25 heures par semaine. Cela s’ajoute à la bonification hebdomadaire de 100 $ consentie au personnel des services essentiels payé au salaire minimum.
La pandémie constitue donc une mauvaise passe pour bien des producteurs et des transformateurs ainsi que pour les agriculteurs. Marcel Groleau craint surtout pour l’avenir des entreprises de taille moyenne. «Les plus petites ont un marché plus local et des coûts plus bas, mais les moyennes jouent dans la cour des grands, sans posséder les mêmes ressources financières qu’eux, précise-t-il. Des entreprises pourraient disparaître dans ce segment.»