Une vache, ça ne s'interrompt pas comme un puits de pétrole. «La production laitière, c'est une grosse locomotive, ce n'est pas facile à arrêter», confirme Éric Bruneau, de la ferme Bruneau et Fils, à Saint-Henri-de-Lévis. (Photo: 123RF)
AGRI-AGRO. La pandémie a frappé de plein fouet l’industrie laitière. Les changements dans la demande ont mené à du gaspillage, mais aussi à des dons d’une ampleur inédite. Les producteurs attendent maintenant de voir ce que les prochains mois leur réservent.
Les images de millions de litres de lait jetés faute de pouvoir être vendus ont choqué bien des Québécois. D’autant qu’au même moment, des épiceries limitaient la quantité par client de certains produits laitiers, de peur d’en manquer.
Ce paradoxe s’explique par les répercussions de la pandémie et du confinement sur la demande. En temps normal, seulement 55 % des produits laitiers sont écoulés au détail, selon les Producteurs de lait du Québec. Pas moins de 35 % prennent plutôt le chemin des hôtels, des restaurants et des institutions (HRI). Or, ce marché s’est effondré en l’espace de quelques jours en mars.
La demande au détail, généralement stable, est aussi devenue très volatile. Les ventes de lait à boire ont augmenté de 20 % dans la semaine du 13 au 20 mars, avant de retomber. «La chaîne de transformation et de distribution n’arrivait plus à assumer toute la production laitière, c’est pour ça que certains producteurs se sont retrouvés avec un surplus», explique Linda Labrecque, productrice de lait biologique à Lotbinière.
Le problème n’est pas qu’une question de quantité. Les HRI n’achètent pas les mêmes produits que les particuliers. En moyenne, 59 % de la crème et 42 % du fromage sont vendus dans ces commerces. Au contraire, 87 % du yaourt et 71 % du lait s’écoulent au détail. Donc, pas question de simplement détourner les livraisons normalement faites aux HRI vers les épiceries et dépanneurs. Il fallait modifier le type de produit transformé et réduire la production de lait.
Un lent freinage
En temps normal, les dirigeants de l’industrie laitière au Québec informent plusieurs mois à l’avance les fermes laitières des variations attendues dans la demande, afin qu’elles s’ajustent. Cette fois, les changements ont pris tout le monde de court. Et une vache, ça ne s’interrompt pas comme un puits de pétrole. «La production laitière, c’est une grosse locomotive, ce n’est pas facile à arrêter», confirme Éric Bruneau, de la ferme Bruneau et Fils, à Saint-Henri-de-Lévis.
Les producteurs disposent de deux options pour réduire le flot du lait. La plus rapide est le tarissement. Une vache a une montée de lait à la suite de la naissance d’un veau et en génère chaque jour davantage, jusqu’à un sommet qu’elle atteint le 60e jour. La production décline ensuite. Les producteurs cessent de traire une vache environ deux mois avant qu’elle vêle et modifie son alimentation afin qu’elle ne produise pas de lait. On peut donc allonger un peu la période de «vacances» d’un certain nombre de bêtes. «Mais pas trop longtemps, explique M. Bruneau. Au-delà de trois mois, les vaches auront trop engraissé et risquent d’avoir des problèmes de santé et même de mourir lors du prochain vêlage.»
L’autre option consiste à changer l’alimentation en réduisant la part de grains dans l’alimentation. Cela peut faire passer la production des vaches de M. Bruneau de 36 à 31 litres par jour. «Mais ça signifie qu’elles produiront moins de lait tout au long de leur période de lactation, donc si la demande remonte, on ne pourra pas revenir en arrière», précise Éric Bruneau. Un beau dilemme pour les producteurs. Ils ne veulent pas gaspiller de lait, mais ne souhaitent pas non plus rater la reprise. En attendant, l’industrie a augmenté considérablement les dons de lait pour réduire les pertes. Les fermes laitières doivent respecter des quotas de production. En règle générale, elles peuvent les excéder un peu, mais cette pratique s’est vue interdite pour un certain temps. Au rayon des rares bonnes nouvelles, les quotas de lait biologique ont été augmentés, alors que ceux des autres producteurs ont été baissés. «La demande est forte au Québec pour le lait biologique», conclut-elle.