Daniel Gobeil, président des Producteurs de lait du Québec (Photo: courtoisie)
AGRICULTURE ET AGROALIMENTAIRE. La dernière année et demie n’a pas été simple pour l’industrie du lait. Elle a dû gérer les effets de trois nouveaux accords commerciaux, une crise sanitaire et même le fameux «buttergate». «La pandémie a déstabilisé l’industrie en modifiant fortement la nature de la demande», analyse Maurice Doyon, spécialiste de l’économie agroalimentaire à l’Université Laval. Le secteur de l’hôtellerie, de la restauration et des marchés institutionnels privé et public (les HRI) s’est effondré d’un coup. Les transformateurs ont ainsi acheté beaucoup moins de lait aux producteurs, qui ont dû jeter des milliers de litres.
Au même moment, la demande des particuliers pour des produits comme le lait de consommation, le beurre et le fromage a augmenté de façon significative. «Mais les quantités achetées par des individus n’ont rien à voir avec celles qu’exigent les HRI, précise Maurice Doyon. Les transformateurs ont donc dû se mettre à fournir de plus petits formats.»Le professeur croit que la gestion de l’offre a permis d’adapter rapidement la production et de partager les pertes.
Au bout du compte, la demande canadienne dans l’industrie laitière a augmenté de 0,56% de septembre 2019 à septembre 2020, contre 3,76 % pour les 12 mois précédents, selon les Producteurs de lait du Québec. Le pire a donc été évité. Les ventes au détail de beurre (+13,4 %), de crème (+11,4 %), de fromage (8,1 %) et de lait de consommation (+3,6 %) sont parvenues à compenser la baisse du secteur HRI, qui compte normalement pour 35% des ventes au Canada.
Les producteurs compensés
En plus de la pandémie, les producteurs de lait ont dû composer avec une perte de marché de 8,4 %. Celle-ci résulte des concessions accordées par le gouvernement canadien dans le cadre des accords commerciaux signés récemment avec des pays de l’AsiePacifique et l’Union européenne ainsi que de la renégociation de l’accord de libre-échange avec les États-Unis et le Mexique (ACEUM).
En août 2019, le gouvernement fédéral a donc promis une indemnisation de 1,75 milliard de dollars sur huit ans, avant de remettre un premier versement à plus de 10 000 producteurs laitiers en décembre 2019 et en janvier 2020. En novembre dernier, le fédéral a annoncé que le reste des paiements sera finalement transmis sur une période de trois ans. En 2021-2022, les producteurs de lait québécois recevront ainsi 172 millions de dollars.
«Nous attendons maintenant de voir le niveau de compensation offert pour combler les pertes liées à l’ACEUM», souligne Daniel Gobeil, président des Producteurs de lait du Québec. Cet accord prévoit un accès additionnel au marché canadien pour 100 000 tonnes de produits laitiers, qui équivalent à environ 3,9 % de ce marché.
Daniel Gobeil a par ailleurs suivi la saga des ennuis financiers d’Agropur, qui semblent en voie de se résorber. «Agropur achète près de la moitié du lait du Québec, donc c’était inquiétant de le voir fragilisé», admet-il. La coopérative agricole a éprouvé des difficultés en raison de sa lourde dette, contractée en accumulant les acquisitions. Pour retrouver la santé financière, elle s’est délestée de certains actifs, dont sa division de yogourts (Olympic, Iögo), rachetée en décembre dernier par le géant français Lactalis. «Le marché du yogourt ne croît pas beaucoup au Québec et Iögo est une marque très jeune, donc je ne suis pas surpris qu’Agropur décide de se concentrer sur ses forces, comme le lait de consommation, le fromage et le beurre», explique Daniel Gobeil. Il ajoute que le plus important reste de s’assurer de ne pas perdre d’usine de transformation. Selon lui, Lactalis aurait apporté des garanties en ce sens.
Haro sur l’huile de palme
La tempête que personne n’avait vue venir, c’est le «buttergate». Le vent s’est d’abord levé au début du mois de février sur les médias sociaux, lorsque certaines personnes ont soutenu que leur beurre restait dur même à température pièce. Dans la foulée, d’autres ont affirmé que leur lait ne moussait plus ou encore que des fromages avaient changé de consistance. Rapidement, les suppléments palmitiques — des sous-produits de l’huile de palme ajoutés à l’alimentation des vaches par environ 22 % des producteurs laitiers du Québec — ont été désignés coupables.
Les acides gras servent à densifier l’énergie dans l’alimentation des vaches afin de soutenir leur métabolisme. «En début de lactation, une vache peut produire jusqu’à 50 kilos de lait par jour, donc elle a besoin de beaucoup d’énergie, explique Rachel Gervais, experte en alimentation des ruminants à l’Université Laval. On doit les nourrir en fonction de ce besoin et ces suppléments aident à y parvenir.»Rachel Gervais indique que l’acide palmitique est un acide gras déjà généré par la glande mammaire de la vache laitière. Ce n’est donc pas une molécule qui s’ajoute au lait à cause de l’utilisation de suppléments; elle y est toujours présente. Selon la chercheuse, il reste très difficile de savoir si ces suppléments peuvent faire durcir le beurre ni même si le beurre est vraiment plus dur qu’avant.
«Fondé on non, le “buttergate” a causé un réel problème d’image dans l’industrie», indique Maurice Doyon. Le Conseil des industriels laitiers du Québec, qui représente les transformateurs, a condamné l’utilisation de l’huile de palme et de ses dérivés dans l’alimentation des vaches. Quant aux Producteurs de lait du Québec, ils ont demandé à leurs membres de cesser de les employer.