Miser sur des innovations permettrait entre autres de continuer à produire des fruits et légumes en hiver. (Photo: courtoisie Lufa)
AGRICULTURE ET AGROALIMENTAIRE. L’achat agroalimentaire local en a le vent dans les voiles. Sauf que dans le cas des fruits et des légumes, un grand pari demeure : en produire suffisamment pour répondre à la demande croissante, malgré le climat nordique. La culture en serre est vue par plusieurs comme la solution.
En janvier dernier, Alain Henry et Patrick St-Onge, deux entrepreneurs gaspésiens dépourvus d’expérience en agriculture, ont repris les serres de Savoura, à New Richmond. Ils voient une belle occasion d’affaires dans ce 1,5 hectare longtemps consacré à la tomate, notamment en raison de l’engouement des Québécois pour l’achat local et les produits biologiques. Ce n’est qu’un exemple parmi les nombreux nouveaux projets qui fleurissent dans l’industrie serricole.
« La superficie de culture serricole de fruits et de légumes au Québec a doublé entre 2010 et 2019, pour atteindre 128 hectares. Les recettes monétaires du secteur ont bondi de 70 % pendant la même période, pour s’établir à 148 millions de dollars (M$) », révèle Félicien Hitayezu, directeur adjoint des études et des perspectives écono- miques du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ).
Petite et grande diversification
La production se diversifie lentement, même si la tomate reste la reine des serres. Près de la moitié (46 %) de la superficie lui est consacrée, contre 22 % pour les concombres, 14 % pour les laitues, 6 % pour les poivrons et 12 % pour le reste, selon les données 2019 du MAPAQ. La fraise et les fines herbes affichent entre autres une certaine croissance.
Claude Laniel, directeur général des Producteurs en serre du Québec, scinde les producteurs en trois catégories. Les «petits» cultivent moins de 1000 m2 et vendent à des amis ou à des marchés de proximité. Leur chiffre d’affaires annuel reste inférieur à 100 000 $. Les «moyens», eux, touchent des revenus annuels de 500 000 $ ou moins avec des superficies allant jusqu’à 3 500 m2, et écoulent leur récolte dans un réseau régional.
Quant aux joueurs plus importants, leur chiffre d’affaires s’élève à plus de 1 M$ par année. Certaines cultivent plus de 30 hectares (300 000 m2). La valeur d’un hectare de production varie entre 1,25 M$ et 1,5 M$. « Les plus gros producteurs, comme Savoura/Sagami, Hydroserre, Demers ou Les Serres royales, génèrent à peu près 80 % de la production totale de fruits et de légumes en serre », souligne Claude Laniel.
Rattrapage canadien
L’industrie québécoise reste en rattrapage par rapport à d’autres provinces, notamment l’Ontario et la Colombie-Britannique. La superficie récoltée ici représentait 7 % de l’ensemble de la récolte canadienne en 2017, selon Statistique Canada. L’Ontario régnait alors en maître avec 69 % de la surface cultivée, suivie de la Colombie-Britannique, avec 19 %.
Québec a annoncé, en novembre dernier, qu’il souhaite passer de 41 000 à 82 000 tonnes de légumes produits en serres d’ici 2025. En comparaison, l’Ontario en récoltait déjà plus de 438 000 tonnes en 2017.
Financement et innovation
La serriculture fait face à de nombreux problèmes, qu’il faudra solutionner pour atteindre l’objectif du gouvernement. « Ce n’est pas un marché facile d’accès, notamment en raison de la lourdeur des investissements de départ et de la difficulté de trouver une main-d’œuvre spécialisée », admet Félicien Hitayezu. Démarrer la culture d’un hectare en serre coûte entre 3 M$ et 4 M$ de dollars, voire plus. C’est pour cette raison que les récents pro- grammes d’aide du gouvernement mobilisent des acteurs comme la Financière agricole et Investissement Québec, afin d’améliorer l’accès des entrepreneurs au financement.
Le MAPAQ soutient toutefois que le rendement et la valeur des récoltes en serre sont proportionnellement meilleurs que ceux de la culture au champ. Le rendement des tomates de serres, par exemple, serait 10 fois plus élevé qu’au champ, notamment en raison d’un environne- ment plus contrôlé.
Autre défi : l’innovation. Félicien Hitayezu reconnaît que l’industrie affiche un certain retard technologique qui nuit à sa productivité et l’empêche de passer à une plus grande échelle. « Nous avons besoin d’intensifier les efforts de recherche et de développement afin de moderni- ser les entreprises, mais aussi d’offrir des forma- tions pour avoir plus de spécialistes de la culture en serre capables de gérer des installations à la fine pointe de la technologie », croit-il.
Parmi les pistes pour y arriver, on peut citer le financement — à hauteur de plus de 3 M$ — de la Chaire de recherche en horticulture biologique sous serres et en environnement contrôlé de l’Université Laval, dont la création a été annoncée en novembre dernier.
Miser sur des innovations permettrait de vendre les fruits et légumes à des prix plus compétitifs et de continuer à produire en hiver. Elle aidera aussi à réduire les besoins de main-d’œuvre et la dépendance envers les travailleurs étrangers en automatisant une partie des opérations.
« L’innovation, c’est le nerf de la guerre, affirme Félicien Hitayezu. Grâce à elle, le doublement des volumes de culture en serre visé par le gouver- nement pourrait en fait déboucher sur un gain encore plus important en matière de quantité produite. »