Antonious Petro, directeur général de l’organisme sans but lucratif Régénération Canada (Photo: courtoisie)
AGRI-AGRO. Contrairement à ce que son nom laisse entendre, l’agriculture régénératrice n’a rien d’ésotérique, explique Antonious Petro, directeur général de l’organisme sans but lucratif Régénération Canada. Entrevue.
Les Affaires : Qu’est-ce qui différencie l’agriculture régénératrice de celle dite durable ou de conservation des sols ?
Antonious Petro : Dans la pratique, bien peu de choses. Il est question, dans tous les cas, de principes et de pratiques agricoles qui permettent d’améliorer la résilience des fermes relativement aux défis auxquels elles font face, par exemple en améliorant l’écosystème du sol et en restaurant sa biologie. La récente synthèse de tous les rapports publiés depuis 2018 par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat l’indique clairement : nous nous dirigeons vers un monde plus chaud de 1,5 °C, probablement d’ici au début des années 2030. Pour les agriculteurs québécois et canadiens, les conséquences de ce réchauffement climatique sont déjà concrètes et se traduisent entre autres en périodes de sécheresse entrecoupées de fortes précipitations. Un sol en bonne santé résistera mieux à ces nouvelles réalités.
L.A. : Les producteurs agricoles ont donc tout intérêt à se convertir à ces principes et pratiques ?
A.P. : Oui. On n’a qu’à penser aux effets de l’augmentation faramineuse du prix des fertilisants et des engrais dans la dernière année, depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Inverser la tendance courante de dégradation des sols est une manière d’atténuer l’incidence de notre dépendance aux intrants chimiques russes. Autre exemple : dans certaines fermes, la réduction du recours à la machinerie agricole se traduit en économies de l’ordre de 90 $ par acre par année. Pour une ferme québécoise d’une taille moyenne de 400 acres, ce sont des gains majeurs ! De manière générale, les pertes de rendement au début d’un processus de conversion à une agriculture plus « verte » sont rapidement compensées par des économies importantes dans plusieurs postes de dépenses.
L.A. : Le Québec se distingue-t-il du reste du Canada en matière d’agriculture régénératrice ?
A.P. : Comme il n’existe pas de statistiques officielles, il est impossible de se prononcer avec certitude. Cela dit, nous répertorions [sur notre site web] et soutenons des dizaines de fermes dans la province qui ont adopté des pratiques régénératrices et qui en font la promotion. Les exemples abondent, et ce, dans toutes les filières — maraîchère, bovine, etc. Au moment de la fondation de notre organisation, en 2017, l’agriculture régénératrice était surtout l’affaire de quelques primo-adoptants. Aujourd’hui, c’est de moins en moins le cas.
L.A. : Qu’est-ce qui vous fait croire ça ?
A.P. : Nous voyons que certains programmes aux orientations, disons, plus conservatrices s’inspirent de l’agriculture régénératrice. Je pense notamment au Fonds d’action à la ferme pour le climat du gouvernement du Canada et au Plan d’agriculture durable du gouvernement du Québec. Ce sont des premiers pas dans la bonne direction, même si c’est loin d’être suffisant à notre avis. Par exemple, au Québec, nous sommes frileux lorsque vient le temps de parler de gestion des animaux sur pâturage, c’est-à-dire en troupeaux denses qui se déplacent fréquemment. Les animaux se nourrissent, fertilisent par leur fumier, piétinent le sol, puis se déplacent, laissant le pâturage récupérer. Cette pratique améliore le bien-être animal, mais permet aussi l’absorption du carbone atmosphérique dans le sol.
L.A. : Que faites-vous concrètement pour accélérer le mouvement ?
A.P. : Outre nos missions de promotion et d’éducation auprès des producteurs agricoles et des citoyens, nous collaborons à des projets de plus grande envergure. C’est par exemple le cas du projet pilote des fermes laitières régénératrices du Québec, mené par General Mills en partenariat avec Régénération Canada et la firme québécoise Logiag. Cette initiative a pour objectif de faciliter l’adoption de pratiques régénératrices par les exploitations laitières du Québec dans une optique de réduction de l’empreinte environnementale du secteur et d’augmentation de la rentabilité et de la résilience des fermes relativement aux changements climatiques. En 2022, 32 fermes ont entamé la première étape du projet en complétant leurs stocks de GES. D’autres leur emboîteront le pas d’ici à 2026.
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955 millions
Budget que consacrent Québec et Ottawa à leur nouveau partenariat en matière d’agriculture — une compétence partagée — pour les cinq prochaines années. Il servira à financer les divers programmes d’assurance pour les agriculteurs ainsi qu’à subventionner les pratiques durables à la ferme. Il s’agit d’une bonification de 25 % par rapport à la précédente mouture de 2018-2023.