Vincent Fluet, propriétaire de la ferme urbaine Écobourgeons à La Sarre, a installé une deuxième serre chauffée l’automne dernier pour accroître la superficie en culture dans sa cour arrière. (Photo: Émilie Parent-Bouchard, Initiative de journalisme local)
C’est par une journée printanière ensoleillée que Vincent Fluet nous accueille dans sa cour arrière, au cœur d’un quartier résidentiel de La Sarre. C’est ici qu’il a démarré il y a cinq ans Écobourgeons, un projet de maraîchage urbain écologique. Alors qu’il cultivait initialement ses légumes sous tunnel et avait l’ambition de les livrer à vélo, l’urbainculteur dispose aujourd’hui de serres et de chambres froides pour étirer la saison sous ces latitudes septentrionales.
Sécuriser et diversifier la production grâce aux paniers
«Mes cuisses n’auraient pas «toffé» La première année, je pense que j’avais 16 paniers. Rendu à 50, tu changes de concept», lance le fermier-cycliste en rigolant. Il montre les deux serres chauffées et automatisées qui lui permettent aujourd’hui de produire davantage de semis, dont des variétés très hâtives comme le gingembre, qu’il démarre sous des lampes installées dans le garage dès février.
Si l’ambition de la livraison à vélo n’a pas tenu la route très longtemps, la logique d’approvisionnement hyperlocal, elle, s’est davantage ancrée dans la philosophie de l’entreprise, mentionne l’agroéconomiste de formation, qui occupait au début le poste de chargé de projet en agroalimentaire à la Société d’aide au développement des collectivités (SADC) d’Abitibi-Ouest. C’est d’ailleurs sous sa gouverne que l’initiative Manger local Abitibi-Ouest a vu le jour.
Pierre-Paul Rocheleau, dont la Ferme est située à un jet de pierre de la ville de La Sarre, a reçu des plants d’asperges qu’il implante dans une portion de son jardin depuis quelques années.
«Initialement, c’était parce que personne en Abitibi-Ouest ne faisait de paniers de légumes alors que plein de formations disent que, pour un maraîcher, normalement, ça prend un revenu fixe de paniers et un revenu de marché qui fluctue en fonction de la demande et qui permet de gérer tes surplus», résume-t-il, précisant que l’accompagnement de la SADC s’est d’abord orienté vers des paniers collectifs assemblés par l’organisme à partir des surplus de production.
Puis, graduellement, les entreprises maraîchères ont elles-mêmes repris la gestion des paniers, poursuit-il. Des producteurs et productrices «complémentaires» se sont aussi ajoutés, diversifiant encore davantage la composition des paniers en se spécialisant dans des cultures délaissées par leurs collègues.
C’est par exemple le cas de la Ferme Pierre-Paul Rocheleau, située à un jet de pierre de la ville de La Sarre, et dont la production s’articule surtout autour de l’ail et de la pomme de terre. Ces cultures sont particulièrement bien adaptées aux champs de terre noire de l’agriculteur, contrairement aux sols argileux que l’on retrouve chez Vincent Fluet.
«On n’est pas assez diversifiés pour faire des paniers seuls. Les pommes de terre, ça prend de l’espace, donc c’était moins propice pour ceux qui sont sur de plus petites surfaces. Et la mise en marché de proximité, c’est important pour nous. On produit pour la population, pour nourrir directement le consommateur. Ce lien-là est important ; je ne me verrais pas faire des légumes et les vendre à un grossiste sans savoir où ça va», précise Pierre-Paul Rocheleau, qui mène ce projet avec sa conjointe, parallèlement à leur emploi respectif à l’extérieur de la ferme.
Vincent Fluet a pu recruter un travailleur pour son projet d’agriculture urbaine Écobourgeons. Son père vient aussi régulièrement lui prêter main forte. Bien qu’ils soient encore petits, ses enfants se mettent aussi à l’ouvrage à l’occasion.
Contribuer à la résilience alimentaire
Il ajoute être fier de la remise en production — d’abord pour améliorer la résilience alimentaire de sa petite famille — de terres très fertiles qui avaient été abandonnées depuis plusieurs années. C’est un peu dans le même esprit «familial» que des cultivatrices et des cultivateurs ont démarré la Coop de La Hutte, à Gallichan.
Cette nouvelle pousse a aussi permis d’élargir le réseau de distribution de Manger local Abitibi-Ouest. «Avant, on avait un point de chute à La Sarre. Maintenant, on est rendus avec un point de chute à la ferme à Gallichan et [au marché public de] Duparquet, en plus de Léonie [Courchesne, de Panier-Santé Abitibi] qui gère un point de chute à Roquemaure», explique Antoine Boissé-Gadoury, ajoutant que l’idée est aussi de réduire les déplacements en voiture, tant pour les entreprises que pour la clientèle.
Le nouveau point de chute à Duparquet, géré par la Coop La Hutte, permet également de rejoindre une clientèle qui n’avait pas l’habitude de s’approvisionner en légumes locaux ou qui n’y avait tout simplement pas accès.
«On émet des bons alimentaires pour les familles les moins nanties pour aider les citoyens avec l’inflation et tout. D’un sens, ça aide la population, mais ça aide aussi les producteurs à avoir un achalandage», poursuit-il, précisant que ces bons sont financés par le programme de sécurité alimentaire que gère le Centre intégré de santé et de services sociaux de l’Abitibi-Témiscamingue (CISSSAT).
De l’aide pour aller plus loin
Malgré ces avancées, les producteurs et productrices s’entendent pour dire que le peu de temps qu’ils et elles peuvent consacrer à Manger local empêche le projet d’atteindre son plein potentiel. On espère que la conclusion, avec le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation, d’une première entente du secteur bioalimentaire en Abitibi-Témiscamingue permettra de donner une nouvelle impulsion à l’initiative. Les gens du milieu aimeraient par exemple que l’enveloppe de 450 000 $ réservée aux projets portés par les MRC permette d’embaucher une personne qui serait responsable de coordonner l’achat collectif d’intrants agricoles ou de faire construire des infrastructures partagées.
À la SADC, on planche sur la mise sur pied d’une table territoriale pour alléger la charge des productrices et des producteurs. Selon le chargé de projet en agroalimentaire, Mathieu Guillemette, cette stratégie permettrait de mieux structurer l’offre et de défricher de nouveaux marchés.
«On espère regrouper les producteurs locaux pour avoir un terreau fertile aux synergies. Quand on parle du secteur HRI [NDLR : hôtels, restaurants et institutions], on regarde tout de suite les plus gros : le CISSSAT et Hydro-Québec. C’est complexe à ce niveau, ce sont beaucoup de portions de carottes, des critères très spécifiques. Mais il y a des RPA, des CPE qui ont souvent un peu plus de souplesse et d’agilité dans leur menu. Ça peut être des portes d’entrée intéressantes pour commencer à travailler sans prendre de trop grosses bouchées», explique-t-il en espérant que les restaurants ou organismes communautaires autour de la table pourront aussi, sait-on jamais, lever la main…