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Il faut maintenir l’attrait pour les produits d’ici

Sophie Chartier|Édition de la mi‑juin 2024

Il faut maintenir l’attrait pour les produits d’ici

Les fondatrices de Bon Appétit Qc, Emmy Lapointe et Sophie Tremblay-Parent, toutes deux basées dans Charlevoix, célèbrent tout juste le premier anniversaire de leur initiative. (Photo: Bon Appétit Qc)

AGROTOURISME. La pandémie a eu un effet monstre en matière d’achat local. Depuis quatre ans, les ventes ont diminué, mais les Québécois ont su garder dans leur cœur une place spéciale pour les produits de chez nous. Une autre année marquée par la hausse des coûts pourrait-elle faire basculer ces bonnes habitudes de consommation ?

Véronique Leduc est rédactrice en chef des publications papier de Caribou, un magazine bisannuel axé sur la culture culinaire québécoise. Le magazine fêtera cet automne ses dix ans. Dix ans pendant lesquels la journaliste a pu constater une évolution de l’intérêt des gens pour les producteurs d’ici. « Au début, quand on disait qu’on démarrait quelque chose sur notre culture culinaire, on nous répondait : “vous allez parler de quoi ? De poutine ?”, se souvient-elle. Je pense que cette perception-là s’est beaucoup raffinée depuis. Je crois qu’aujourd’hui, c’est plus compris que la consommation locale, ça s’incarne dans le quotidien. »

Véronique Leduc donne l’exemple du vin du Québec, sujet aux moqueries il n’y a pas si longtemps encore. La situation a bien changé. « Caribou a fait deux numéros spéciaux sur notre industrie vinicole et ça a été nos meilleurs vendeurs », dit-elle.


Encourager l’achat local

L’entreprise Bon Appétit Qc a voulu profiter de cette vague d’intérêt pour le local, et surtout aider les amateurs de bons produits à en découvrir de nouveaux. Le passeport BonApp, vendu au coût de 49 $, consiste en une banque numérique de dix dégustations à essayer chez différents producteurs.

Les fondatrices, Emmy Lapointe et Sophie Tremblay-Parent, toutes deux basées dans Charlevoix, célèbrent tout juste le premier anniversaire de leur initiative. Pour Emmy Lapointe, il serait dommage que les effets de l’inflation fassent retourner les Québécois à leurs anciennes habitudes. « Avant, dans les mentalités, l’achat local, c’était cher, dit-elle. On dirait qu’avec la pandémie, les gens ont plus pris en considération nos entreprises gourmandes, ont commencé à acheter quelques articles par semaine. Ça serait dommage qu’après toute cette belle évolution, les gens délaissent nos producteurs parce que ça revient trop cher ».

Un sondage mené par Bon appétit Qc a révélé que les clients s’étant procuré un passeport BonApp dépensaient entre 20 et 25 dollars par visite chez les producteurs. Une somme intéressante pour ces derniers, selon Emmy Lapointe. Si les prix augmentent au-delà de ces montants, elle craint une perte de ventes. « Il faut que les gens aient encore cet incitatif à se déplacer chez les producteurs, à acheter et à vivre l’expérience qu’ils offrent ».

La durabilité comme motivateur

Carl-Éric Guertin est le directeur général (DG) de la Société du réseau Économusée (SRÉ). Selon lui, la situation économique actuelle met un voile d’incertitude sur la saison qui s’ouvre. « Est-ce que les gens vont avoir autant de sous à dépenser chez certains producteurs et dans les expériences gourmandes ? On a du mal à prédire le comportement des consommateurs, mais chose certaine, pour plusieurs, les budgets vont être davantage restreints. Les gens vont peut-être être portés à aller davantage dans les grandes bannières. »

Comme stratégie de distinction, la SRÉ a choisi cette année d’incarner de façon concrète la durabilité écologique, un chantier encore plus important pour son secteur, selon Carl-Éric Guertin. Au printemps, une dizaine d’Économusées, ainsi que la SRÉ, ont obtenu la certification GreenStep, un programme du Conseil mondial du tourisme durable qui récompense les efforts des entreprises touristiques en évaluant plus de 80 critères. La Société est la première association touristique sectorielle à obtenir cette certification. D’autres membres du réseau sont actuellement engagés dans cette démarche.

Carl-Éric Guertin souhaite attirer ainsi une clientèle qui valorise ce type de tourisme. « Actuellement, il y a une réflexion sur comment les destinations peuvent se distinguer les unes des autres. Plusieurs ont décidé de miser sur le tourisme durable, qui résonne particulièrement à l’ère du surtourisme ». Il insiste sur le fait que les entreprises en agrotourisme sont particulièrement touchées par les effets des changements climatiques. « Si par exemple, un gel tardif ou une inondation te fait perdre une partie de ta production annuelle, tu es sensible à ces questions-là », dit-il.

La production locale et l’agrotourisme sont des questions de société qui méritent un meilleur encadrement, croit le DG. « La pandémie a éveillé les consciences, mais il ne faut pas que ce soit une mode, dit-il. Le gouvernement et les partenaires du secteur ont un rôle à jouer pour rappeler l’importance de nos producteurs. On doit maintenir les communications sur ce sujet-là. Il en va de la vitalité de nos régions. »

Succès local
L’application Mangeons local, développée par l’Union des producteurs agricoles du Québec (UPA), qui recense et géolocalise les producteurs membres à travers le Québec, a particulièrement fait rayonner les entreprises en agrotourisme, selon le président du syndicat, Martin Caron. « On a 1100 fermes sur l’application, vous pouvez consulter un peu d’histoire, voir les produits, les élevages, les activités offertes », dit-il. Il semble que le public québécois lui donne raison : depuis le lancement de Mangeons local, il y a quatre ans, l’application a été téléchargée plus de 60 000 fois, et correspond à plus de 1,4 million de pages vues sur le Web, dit le président. « C’est un outil qui venait vraiment répondre à un besoin des gens de faire l’achat d’expériences en agrotourisme, et des producteurs qui voulaient en faire, dans nos différentes régions. Et chaque année, nous ajoutons des membres ! », se félicite Martin Caron.