Il n’existe pas actuellement de stratégie d’intervention en matière de patrimoine immobilier au Québec. (Photo: 123RF)
ARCHITECTURE. Les architectes le disent et le redisent : le patrimoine bâti, c’est bien plus qu’un simple classement de quelques vieux bâtiments. C’est un concept englobant qui mérite une réflexion approfondie. «Pour les architectes, le patrimoine représente une notion vivante, toujours en développement. C’est un héritage qu’on transmet aux générations futures», souligne Anne Carrier, présidente de l’Association des architectes en pratique privée du Québec (AAPPQ).
C’est pourquoi la gestion du patrimoine devrait, selon elle, aller au-delà du classement établi par le ministère de la Culture et des Communications (MCC) et s’inscrire dans une gestion globale de l’aménagement du territoire québécois. «La notion de préservation du patrimoine devrait être moins aléatoire et discrétionnaire», précise-t-elle.
Cette notion devrait également être cohérente pour tous les intervenants, autant les citoyens que les instances principales et les municipalités, en s’appuyant sur des expertises et des critères rigoureux, renchérit la présidente de l’AAPPQ. «Gérer notre patrimoine, c’est gérer durablement nos territoires et notre identité culturelle.»
Anne Vallières, architecte spécialisée en patrimoine à la firme STGM architectes, abonde dans le même sens. Elle considère que le classement de bâtiments et la désignation de sites par le MCC ne représentent pas l’unique solution pour protéger et valoriser le patrimoine bâti. «Cette approche s’applique à environ 1 % des ressources patrimoniales du territoire québécois, et ses méthodes d’intervention peuvent être inappropriées quand il s’agit d’opérer sur l’architecture mineure», indique celle qui est aussi chargée de cours à l’École d’architecture de l’Université de Laval.
Tout comme Anne Carrier, elle insiste sur l’importance de redéfinir la notion de patrimoine bâti. «Un changement de paradigme devrait favoriser une approche globale sur l’ensemble du territoire québécois, qui pourrait s’inspirer des principes du développement durable.»
Le temps d’agir
La Vérificatrice générale du Québec (VGQ), Guylaine Leclerc, a souligné, dans le tome de juin 2020 du rapport du VGQ, qu’une stratégie d’intervention en matière de patrimoine immobilier – actuellement absente – «aiderait notamment le MCC à susciter l’adhésion collective et à résoudre des enjeux de sauvegarde qui existent depuis des décennies».
Cela dit, il existe déjà des solutions pour y parvenir, estime Anne Carrier. Comme la Stratégie québécoise de l’architecture, dont l’élaboration a été lancée en 2019 par le MCC et qui est fortement attendue par l’Ordre des architectes (OAQ), ou encore la Politique nationale d’aménagement du territoire et de l’urbanisme proposée par l’Alliance Ariane. Créé en 2015, ce regroupement d’experts et d’organismes a interpelé le gouvernement du Québec en 2018 pour qu’il adopte cette politique d’ici cette année. L’Alliance Ariane avait alors publié une déclaration de principe intitulée «Pour une politique nationale d’aménagement du territoire et de l’urbanisme», signée à ce jour par 3214 personnes. Vingt municipalités du Québec l’ont également adoptée, dont Montréal, Sherbrooke et Trois-Rivières.
«Ce sont des moyens de donner suite aux recommandations de la VGQ, car la Stratégie et la déclaration de principe proposent une vision plus globale de l’environnement bâti, qui tient compte des bâtiments dans leur milieu et leur contexte, fait remarquer celle dont la firme, Anne Carrier architecture, possède une expertise dans les bâtiments patrimoniaux. Le patrimoine, ce n’est pas simplement un bâtiment ancien isolé. C’est un tout qui contribue au développement durable. Et il faut veiller à son entretien, à la qualité de ses rénovations et à sa pérennité.»
L’OAQ estime d’ailleurs que la Stratégie québécoise de l’architecture, dont l’élaboration a été mise sur pause, devrait être utilisée pour répondre aux recommandations de la VGQ. «La Stratégie a amorcé une réflexion sur le patrimoine qui permettrait d’accompagner le plan d’action du MCC, qui est en cours de rédaction», précise le président de l’Ordre, Pierre Corriveau.
Les architectes devraient également être interpelés davantage en matière de patrimoine, et pas uniquement au moment de la préservation, estime Anne Carrier. «Ceux qui jugent la pertinence d’une intervention architecturale ne possèdent pas toujours les compétences appropriées ; c’est donc important d’aussi faire appel aux experts au moment de prendre des décisions sur le patrimoine. Et ce sont les architectes qui préparent les dossiers justificatifs pour les promoteurs immobiliers.» – Anne-Marie Luca