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ASSURANCES COLLECTIVES ET RÉGIMES DE RETRAITE. Les avancées dans le domaine pharmaceutique ont permis d’améliorer la qualité de vie de millions de patients, mais elles ont aussi fait exploser le coût des régimes d’assurance médicaments. Pour garantir la pérennité de ceux-ci, assureurs et décideurs publics se tournent de plus en plus vers la pharmacoéconomie.
En 2018, le médicament le plus cher en vente au Québec, le Vimizim, coûtait annuellement 887 000 $ par patient, selon Telus Santé. La molécule, utilisée dans le traitement d’une rare maladie génétique nommée syndrome de Morquio, n’est que l’exemple extrême d’une tendance maintenant bien installée : les médicaments dont le prix se chiffre en dizaines – voire en centaines – de milliers de dollars se multiplient.
Trouver le bon ratio
Trouver l’équilibre entre l’accès des patients aux médicaments novateurs et la viabilité financière à long terme des régimes d’assurance est donc devenu impératif. L’évaluation économique des médicaments, aussi appelée pharmacoéconomie, est un outil de premier plan pour atteindre cet objectif.
«On passe en revue tous les nouveaux médicaments approuvés par Santé Canada, explique Frédéric Leblanc, pharmacien à iA Groupe financier. Notre comité interne prend en compte différents facteurs pour déterminer si on ajoute ou non une nouvelle molécule à notre liste de médicaments remboursés. La valeur thérapeutique est le facteur le plus déterminant, mais on considère aussi des critères pharmacoéconomiques.»
Pour mesurer le rapport coût-efficacité d’une nouvelle molécule, les assureurs la comparent avec les médicaments existants qui traitent la même pathologie. «Quand on prend la décision de ne pas ajouter un médicament à notre liste, c’est généralement parce qu’il ne démontre pas une valeur thérapeutique suffisante, ou que celle-ci est moindre par rapport aux médicaments comparables», précise M. Leblanc.
Les gouvernements ont eux aussi recours à la pharmacoéconomie pour déterminer la liste de médicaments remboursés par les régimes publics. Au Québec, c’est l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS) qui réalise ces évaluations. Les critères pris en considération incluent la valeur thérapeutique, le rapport coût-efficacité et l’incidence budgétaire du remboursement d’une molécule.
Les assureurs suivent de près les décisions prises par l’INESSS, mais la perspective des payeurs privés est différente de celle des payeurs publics, note M. Leblanc. «On essaie d’offrir une couverture plus élargie pour répondre aux attentes de nos clients employeurs. Nous avons aussi une sensibilité accrue aux conditions qui peuvent affecter spécifiquement les travailleurs.»
Les régimes privés peuvent par exemple se montrer plus ouverts à couvrir certains traitements pour la migraine, car cette dernière réduit la productivité des travailleurs, ce qui engendre des coûts importants pour les employeurs.
«L’évaluation économique des médicaments est utile dans certains cas précis pour comparer le ratio coût-efficacité de deux médicaments, mais elle n’est pas toujours pertinente et elle ne représente qu’un élément parmi d’autres dans la prise de décision, tempère le pharmacien. Lorsque aucune solution de rechange n’existe pour un médicament extrêmement coûteux, mais que celui-ci permet de sauver ou de prolonger la vie du patient, on va le rembourser sous certaines conditions.»
Il assure que chaque fois qu’un médicament ne figure pas sur la liste d’iA Groupe financier, «c’est qu’une molécule comparable est couverte».
Étirer l’élastique
Bien qu’elle existe depuis longtemps, la pharmacoéconomie s’est surtout développée à partir des années 1990, avec l’arrivée, sur le marché, de médicaments extrêmement coûteux. «Même si j’ai des réserves sur certains modèles utilisés pour faire l’évaluation économique des médicaments, on n’a pas le choix d’y avoir recours aujourd’hui», affirme Jean-François Bussières, professeur titulaire de clinique à la Faculté de pharmacie de l’Université de Montréal et chef du département de pharmacie au CHU Sainte-Justine. «Il faut toutefois faire attention de ne pas tomber dans le panneau d’une étude subventionnée qui soutient qu’un nouveau traitement coûteux en vaut la peine.»
Le problème actuel, poursuit-il, est que l’industrie pharmaceutique a déplacé le seuil de tolérance au coût des médicaments en amenant les prix de référence à une tout autre échelle. «Un médicament qui coûte 2 000 $ a presque l’air d’une aubaine à côté d’une fiole qui coûte 118 000 $, s’exclame-t-il. Les gens ont perdu leurs repères, ce qui complique la prise de décision. Dans une petite boîte de fioles, on a l’équivalent de deux maisons !»
D’où l’importance d’établir des critères économiques rigoureux. Encore faut-il être en mesure d’assumer le coût astronomique des médicaments évalués. «L’élastique ne peut pas s’étirer éternellement, insiste M. Bussières. Même si un modèle économique conclut qu’un médicament de 1 milliard de dollars pour traiter un seul patient a du sens, que la valeur thérapeutique est au rendez-vous, il faut se demander si ça a vraiment du sens d’un point de vue sociétal de payer 1 G$ pour un seul patient.»