Le postulat de la pharmacogénétique est qu’en réduisant le nombre d’essais nécessaires avant de tomber sur la bonne molécule et le bon dosage, on accélère la guérison. (Photo: 123RF)
ASSURANCES COLLECTIVES ET RÉGIMES DE RETRAITES. La médecine personnalisée soulève l’épineuse question de l’impact financier des nouveaux médicaments plus efficaces, mais aussi de plus en plus coûteux pour les employeurs. Cette discipline révolutionnera-t-elle le domaine des assurances collectives?
Grâce à un simple échantillon de salive, il est aujourd’hui possible de prédire si un médicament sera efficace ou non pour un individu en particulier. Portée par les avancées en analyse de l’ADN, une discipline promet de révolutionner le monde de l’assurance collective : la pharmacogénétique.
«En testant certains marqueurs génétiques spécifiques, on peut déterminer si un médicament comporte des risques accrus d’être inefficace ou de causer des effets secondaires importants chez un patient en particulier», explique Michel Cameron, vice-président, Affaires scientifiques chez BiogeniQ, une entreprise québécoise qui offre de tels tests.
Une fois les résultats obtenus, le praticien est plus en mesure de choisir la molécule susceptible d’être la plus efficace pour ce patient et d’en prescrire la dose optimale. «Il s’agit d’un outil supplémentaire à la disposition du médecin, poursuit M. Cameron. On ne lui dit pas quel médicament prescrire ; on l’informe qu’un traitement en particulier risque d’être dangereux ou inefficace pour son patient.»
Le postulat de la pharmacogénétique est qu’en réduisant le nombre d’essais nécessaires avant de tomber sur la bonne molécule et le bon dosage, on accélère la guérison. Les assureurs et les employeurs espèrent ainsi réduire la durée des périodes d’invalidité des employés souffrant de certaines maladies.
Plusieurs assureurs ont d’ailleurs lancé des projets pilotes pour évaluer les économies qu’ils pourraient réaliser en remboursant de tels tests. Du côté de SSQ Assurance, par exemple, les employés de promoteurs de régime participants se voient offrir la possibilité de passer un test pharmacogénétique lorsqu’ils reçoivent un diagnostic de dépression, d’anxiété ou de trouble d’adaptation.
Si SSQ et d’autres assureurs tels que Manuvie, Sun Life et Croix Bleue Medavie ont d’abord articulé leur projet pilote autour des diagnostics de maladies mentales, c’est que les antidépresseurs mettent beaucoup de temps à agir : il faut généralement attendre de trois à quatre semaines avant de pouvoir évaluer leur efficacité.
«Notre hypothèse, c’est que l’utilisation de ces tests pourrait nous permettre de réduire d’environ deux semaines la durée d’invalidité liée à ces trois diagnostics», soutient Éric Trudel, premier vice-président, Stratégies et gestion de l’offre chez SSQ.
L’assureur veut aussi être en mesure de montrer aux promoteurs de régime le rendement de l’investissement qu’ils sont susceptibles d’obtenir en couvrant les tests pharmacogénétiques. En supposant que les prestations d’invalidité hebdomadaires varient en moyenne entre 500 $ et 600 $, l’économie pourrait se chiffrer entre 1 000 $ et 1 200 $ par cycle de paie, alors que l’analyse ne coûte que de 200 $ à 300 $.
«Les participants prennent aussi la médication moins longtemps, ce qui permet de réaliser des économies en assurance médicaments», ajoute M. Trudel. Sans compter que des médicaments sont souvent prescrits aux patients seulement pour réduire les effets secondaires causés par une autre médication. En atténuant l’intensité de ceux-ci, on pourrait diminuer la consommation de médicaments totale, ajoute M. Cameron.
Des craintes subsistent
L’édition 2019 du Sondage Sanofi Canada sur les soins de santé a révélé que 74 % des participants de régimes collectifs consentiraient à se soumettre à un test pharmacogénétique. Pour leur part, 65 % des promoteurs de régime se disent prêts à les couvrir.
Par ailleurs, 85 % des assurés approchés dans le cadre du projet pilote de SSQ ont accepté de passer le test.
Néanmoins, certains employés sont encore réticents à l’idée de partager certaines de leurs données génétiques. Employeurs et assureurs doivent donc miser sur la communication pour rassurer les participants. «Les résultats du test sont transmis à l’assuré, puis celui-ci peut donner l’autorisation à son médecin de les consulter. L’assureur et l’employeur ne reçoivent aucun résultat, insiste M. Trudel. En expliquant bien le fonctionnement du programme, ça rassure les gens.»
Les praticiens se montrent eux aussi de plus en plus ouverts à utiliser les résultats des tests génétiques. «Quand on demande aux médecins s’ils désirent savoir si leur patient va métaboliser plus lentement ou plus rapidement un médicament que la moyenne, la plupart répondent oui sans hésiter», souligne M. Cameron.
Du point de vue légal, Ottawa a adopté, en 2017, la Loi sur la non-discrimination génétique, qui vise notamment à empêcher qu’un assureur puisse utiliser les données génétiques d’un individu pour lui refuser une couverture d’assurance ou encore revoir ses primes à la hausse.
Au printemps 2018, la Cour d’appel du Québec a contesté la constitutionnalité de cette loi, arguant qu’il s’agissait d’un champ de compétence provinciale. En attendant le jugement de la Cour suprême du Canada, les articles de la Loi sont néanmoins toujours valides.
Dans tous les cas, la pharmacogénétique n’est pas réellement concernée par la Loi. «Les tests pharmacogénétiques sont totalement différents des tests génétiques prédictifs, précise M. Cameron. Ils analysent uniquement les gènes qui ont un impact sur la métabolisation des médicaments. Ils ne permettent pas de savoir si une personne a un risque accru de développer un cancer, par exemple.»